Le nouveau tour de vis des grandes surfaces
Les grandes enseignes de la distribution n’ont pas failli à leur réputation : pression sur les prix, demandes de services et contributions renouvelées.
Rude ! Voilà comment on peut qualifier le cru 2014 des négociations commerciales entre fournisseurs et grandes surfaces de distribution. Jusqu’à la date limite imposée par la loi de 28 février, la tension est montée. Au lendemain, l’Ania s’est lâchée : «un climat de négociation intense, menaçant, agressif», «très hostile», des relations «extrêmement tendues avec une pression très forte sur les tarifs», «des demandes démesurées loin de toute réalité économique», etc. Voici un échantillon de témoignages d’entreprises, cités par l’Ania après une enquête auprès de ses membres.
«Les abus les plus graves et généralisés sont réitérés en 2014», rapporte-t-elle : non-respect des conditions générales de vente et des tarifs, alors qu’elles doivent être le point de départ de la négociation ; absence d’engagements des enseignes dans les contrats et de contreparties proportionnées aux avantages accordés par les fournisseurs ; demande d’alignement sur les prix des concurrents de la part de certaines enseignes ; demandes de compensations de marges.
Compensation
Ce sentiment est confirmé tous azimuts. Cela a été dur pour les PME qui subissent le jeu de la compensation : «Les distributeurs ne font plus de marge sur les grandes marques. Alors ils se rattrapent sur les petites entreprises», explique Dominique Amirault, président de la Fédération des entreprises et entrepreneurs de France.
Le secteur laitier a symbolisé les tensions qui ont marqué ces négociations commerciales. Il a, semble-t-il, fallu que la Fédération nationale des producteurs de lait (Fnpl) «s’y invite», entre les 25 et 27 février, la dernière semaine de discussion, pour faire bouger les choses, à minima. «Nous avons observé une détente dans la position des distributeurs qui ont bien pris conscience de la nécessité d’augmenter le prix du lait pour les éleveurs et de restaurer la capacité économique des entreprises de transformation», expliquait Dominique Chargé, président de la Fédération nationale des coopératives laitières. Mais les négociations sont restées «difficiles, avec un refus de monter le prix du lait au niveau de l’environnement économique européen».
En décembre 2013, le lait était payé aux éleveurs 391 €/1 000 litres en Allemagne, 427 €/1000 litres aux Pays-Bas, 410 €/1 000 litres au Royaume-Uni. en France, le tarif plafonnait à 361 €/1000 litres, selon le ministère de l’Agriculture.
Pour 2014, les tarifs obtenus par les industriels ouvrent la voie à un prix annuel moyen de 380 euros les mille litres payés au producteur, espère la Fnpl. Mais rien n’est encore sûr ou acquis pour tous.
Dernière minute
D’autant que ces hausses de dernière minute n’ont pas profité aux petites laiteries, qui négocient leurs tarifs en avance. Les plus gros industriels, qui commercialisent des marques «psychologiques», fortement promotionnées, dont les magasins peuvent difficilement se passer, savent pousser la discussion jusqu’à la dernière minute. En revanche, «je doute que beaucoup de PME aient pu bénéficier des hausses annoncées», explique le directeur commercial d’une fromagerie de l’Ouest.
Les grandes unités ne sont pourtant pas toujours épargnées. Les enseignes semblent utiliser le «déréférencement» pour faire pression sur des industriels trop gourmands. Des journalistes de BFMTV ont par exemple constaté l’absence de produits Danone chez Carrefour, le 5 mars. une information que Danone «dément», tout en refusant de commenter les négociations commerciales, qui sont «confidentielles».
Baisse dans la viande
Les tarifs ! Tous les fournisseurs les trouvent trop bas mais peu d’entre eux acceptent d’en donner les niveaux. Dans la viande, Pierre Halliez, directeur du Sniv-Sncp, constate que les tarifs acceptés ont été plutôt… à la baisse. La raison ? durant l’année 2013, les cours des viandes ont légèrement diminué. Les distributeurs le savent bien et l’ont fait savoir à leurs fournisseurs. «Le problème c’est qu’ils ont l’obsession de la part de marché à court terme», regrette Pierre Halliez. Tant que la loi de modernisation de l'économie n’est pas touchée, explique-t-il en substance, il n’y a pas de raison que cela change.
«Les négociations ont été difficiles dans des productions, comme la volaille, très dépendantes des céréales, lesquelles ont connu une légère baisse de prix, signale le directeur du pôle animal de Coop de France, Jacques Poulet. Cet élément a focalisé l’attention des distributeurs, alors que le coût de production en intègre d’autres : l’énergie, la main-d’œuvre, même si les abattoirs sont robotisés…».
Coop de France anticipe donc des difficultés supplémentaires dans ces filières animales. «Les distributeurs, pris individuellement, sont prêts à faire des efforts sur les prix, glisse Jacques Poulet. Ils reconnaissent les difficultés des filières animales. Mais leurs bonnes intentions s’évanouissent dans la bagarre entre enseignes».
ZOOM
Tout ne passe pas pas les prix
La pression des grandes surfaces, lors des négociations commerciales, passe par les prix mais pas seulement. Coop de France mentionne trois types de pratiques entretenant un déséquilibre dans les rapports entre transformateurs et industriels.
• La compensation de marge, une pratique qui fleurit depuis deux ou trois ans, s’est imposée lors des négociations tarifaires de 2014, au point de devenir un préalable aux négociations, rapporte Coop de France.
Le principe de la compensation de marge, pour un distributeur, consiste à dire au fournisseur : «J’ai perdu ma rentabilité sur tel produit, vous devez compenser». Par «compenser», il faut entendre «compenser avec un autre produit», mais aussi et surtout «compenser financièrement». «On ne s’intéresse plus au produit, mais aux marges dégagées par les produits», décortique Rachel Blumel, de Coop de France. La loi Consommation prévoit d’interdire cette pratique, mais elle ne tombera sous le coup de la loi que pour les négociations de 2015.
• La pratique des stocks déportés, apparue il y a trois ou quatre ans, s’étend. Elle consiste pour des enseignes à externaliser la fonction de stockage : le distributeur ne stocke plus, il demande au fournisseur de livrer les produit à un prestataire de stockage. La règle du jeu la plus courante est la suivante : le fournisseur reste propriétaire du produit tant qu’il ne sort pas du stock ; c’est le distributeur qui choisit le prestataire ; le fournisseur ne gère pas les conditions de stockage et en supporte les coûts et les risques.
• La formule des flux tendus répond à une volonté des distributeurs de ne plus stocker les produits. Le distributeur se fait livrer plusieurs fois par semaine au lieu de deux, ce qui contraint le fournisseur à accroître ses flux de transports. Dans le détail, cela signifie que l’enseigne, qui jusque-là recevait des palettes d’un même produit en grande quantité, et qui les éclatait dans les différents magasins, demande maintenant au fournisseur de lui livrer des palettes alloties, c’est-à-dire comprenant une panoplie de produits, et ce dans chaque magasin.