Les agriculteurs bio s’acclimatent aux caprices des marchés
Après des années ensoleillées, le marché bio s’assombrit. Pour la première fois, il enregistre une baisse de ses ventes. Dans la Somme, les agriculteurs cherchent des solutions pour tirer leur épingle du jeu.
Après des années ensoleillées, le marché bio s’assombrit. Pour la première fois, il enregistre une baisse de ses ventes. Dans la Somme, les agriculteurs cherchent des solutions pour tirer leur épingle du jeu.
Cette année, les carottes et les oignons bio de plein champs ne pousseront plus dans les terres de Fortuné Rougegrez, exploitant à La Vicogne. Les surfaces de betteraves rouges seront elles aussi réduites. La faute au manque de débouchés. «Je voyais le dynamisme du marché ralentir progressivement. Mais je ne m’attendais pas à quelque chose d’aussi brutal», avoue-t-il.
Pour la première fois, les ventes de produits bio sont en recul. Après des années d’euphorie, où la consommation connaissait une croissance à deux chiffres en supermarchés, plusieurs filières enregistrent un vrai décrochage. «Cela a été très rapide selon les filières, concède Jean-Baptiste Pertriaux, co-directeur de Bio en Hauts-de-France. Ce décrochage est à nuancer par filières, et même par cultures.» Les légumes, notamment, sont passés d’un extrême à l’autre, entre le confinement où la demande a été exceptionnelle, et le déconfinement, où cette dernière a dégringolé. Selon Interfel, la consommation de fruits et légumes bio aurait chuté de 11 % en un an. En région, selon une enquête de Bio en Hauts-de-France, 70 % des producteurs bio – qui vendent principalement en circuit court – ont été affectés par des chutes des ventes, avec pour la plupart 10 à 30 % de perte de chiffre d’affaires.
Pour les experts, cette situation conjoncturelle est à la confluence de multiples facteurs. «D’abord, dans un contexte inflationniste, le budget alimentaire est souvent la variable d’ajustement pour les ménages. Les prix du bio étant supérieurs au conventionnel, ils subissent encore plus la baisse du pouvoir d’achat.» Pour Jean-Baptiste Pertriaux, le bio souffre également de la concurrence des labels qui se multiplient (HVE, zéro résidu de pesticides…), de l’explosion des coûts des engrais, avec des agriculteurs conventionnels qui se tournent vers les engrais organiques, etc.
De leur côté, les producteurs se démènent pour conserver la viabilité de leur exploitation. Après un hiver consacré à la recherche de filières dans lesquelles il pourrait s’engager, Fortuné Rougegrez est empli d’espoir. Même s’il n’est sûr de rien, son nouvel assolement est une chance. «Dès le mois d’octobre 2021, je m’engageais dans des contrats de pomme de terre. En plus des céréales, j’emblave aussi des betteraves à sucre, de la chicorée, des endives et du maïs.» Ces plans B offrent une valeur ajoutée moindre, alors que l’exploitant avait monté l’irrigation sur ses 167 ha, tous convertis en bio depuis cette année, mais ils sont plus simples à produire et moins gourmands en charges. «On espère que la bineuse fera bien le boulot, et qu’on pourra réduire le désherbage manuel. Pour conserver les carottes, il aurait fallu que j’investisse dans des réfrigérateurs. Ça attendra une embellie du marché.»
Le pari de l’innovation
À Méharicourt, les associés de la SCEA Biosources se sont aussi gratté la tête pour établir leur assolement. En 2019, ceux-ci ont entamé une conversion bio pour 163 ha, soit 20 % de la surface du GIE au sein duquel ils sont associés. «On sait que la campagne va être compliquée avant même de semer. Mais nous sommes moins impactés que d’autres, car des contrats auprès des coopératives nous apportent une certaine assurance», confie Fabien Deguehegny, associé. En 2022, néanmoins, 70 ha sont dédiés aux légumes plein champ (carottes oignons, pommes de terre à chair ferme, plants de pommes de terre, betteraves rouges et haricots), au lieu de 82 ha espérés. Pour réduire leurs charges, principalement liées à la main-d’œuvre, eux ont fait le pari de l’innovation, avec le robot FD20 de chez Farmdroïd, qui fonctionne à l’énergie solaire. «Il a effectué les semis des 13 ha d’oignons. Il devrait ensuite tourner très régulièrement pour le désherbage, qu’il effectue grâce à un système GPS.»
Chez les éleveurs, le jonglage est aussi un sport obligatoire. Philippe Pluquet, installé à Saisseval, a dû mettre un terme à son activité d’élevage de poulets de chair bio. «J’ai trouvé un nouveau débouché avec les poulettes, futures poules pondeuses bio», souffle-t-il. Des travaux ont dû être réalisés dans le poulailler pour répondre au cahier des charges, avec par exemple l’installation de perchoirs. Mais le jeu en vaut la chandelle. «C’est un revenu fixe, chaque mois, qui me rémunère à hauteur du travail accompli.»
L’optimisme reste de mise
Pour accompagner les producteurs, Bio en Hauts-de-France a identifié des leviers. «Le premier est la diversification des circuits de commercialisation, affirme Jean-Baptiste Pertriaux. Le regroupement de producteurs est aussi souvent gage de réussite. Investir dans la communication semble également important. De notre côté, à travers le Plan bio, nous menons des actions auprès du grand public, comme la fête du lait bio le 12 juin.» Le conseil technique est plus que jamais pertinent. «Nous menons une analyse des marges afin d’aiguiller la stratégie d’assolement. Les cultures innovantes, comme le tournesol, le soja les haricots et les pois chiches semblent intéressantes.»
Jean-Baptiste Pertriaux se veut rassurant. «L’agriculture bio connaît un pallier, comme elle en a toujours vécu. Mais avec 10 à 12 % de consommation bio dans certains pays, et moitié moins en France, on est loin d’atteindre un plafond.» En région particulièrement, même si les cinq dernières années ont été fortes en termes de conversion, le bio représente à peine 3 % de la SAU, contre plus de 10 % au niveau national. «Les marges de progrès sont réelles.»
«Le flou autour de la nouvelle Pac n’aide pas»
Une première déconvenue a été subie avec le plan de développement du bio proposé par la Commission européenne. Les eurodéputés n’ont pas conservé l’objectif de 25 % de surfaces cultivées en agriculture biologique d’ici 2030 fixé par Bruxelles, préférant se prononcer pour «un développement équilibré, en fonction de la capacité du marché à absorber la production biologique afin de préserver la rentabilité du secteur». Le texte reconnaît par contre que «les avantages environnementaux de l’agriculture biologique ne devraient pas seulement être soutenus par les consommateurs de produits biologiques disposés à payer un prix plus élevé, mais que le budget de la Pac devrait également récompenser correctement les agriculteurs biologiques pour les biens publics spécifiques qu’ils fournissent».
Pour Jean-Baptiste Pertriaux, ces sujets sont essentiels. «L’agriculture bio n’est pas qu’une question de marché. Elle répond aussi à des enjeux environnementaux, de création d’emploi...» Des arguments entendus en région. «Nous avons des signaux favorables du conseil régional, de la Draaf et des Agences de l’eau.» Un deuxième Plan bio doit être en place dès 2023 pour conforter et développer davantage l’agriculture bio en Hauts-de-France.