Société
Les agriculteurs peinent à conserver leur poids politique local
S’ils parviennent à se maintenir à la tête des municipalités, les agriculteurs sont absents des nouvelles formes de gouvernance comme les intercommunalités et les Pays.
Leur pouvoir n’a pas diminué avec leur nombre. Les agriculteurs ont en effet continué à briguer et à gagner des mairies malgré leur déclin démographique. Car s’ils ne représentent aujourd’hui qu’environ 8% de la population active en milieu rural, 17% des maires de France sont agriculteurs. «Ce qui signifie qu’ils sont en comparaison deux fois plus présents dans les mairies, note le sociologue Roger Le Guen, enseignant-chercheur à l’Ecole supérieure d’Angers (ESA). Et bien qu’en 1979, ils fussent 40% de maires à être issus du milieu agricole, on peut dire qu’ils sont relativement parvenus à se maintenir à la tête des communes». Réputés pour leur connaissance du territoire, leur grande stabilité sociale et territoriale, les agriculteurs continuent à en effet être sollicités pour animer et gérer des communes rurales : «Ils sont souvent nés dans la commune dont ils sont maires, ils y travaillent, ils en connaissent les moindres espaces. On souligne aussi leur relative disponibilité, leurs capacités pour des activités d’animation collective locale et leur expérience liée à leurs mandats professionnels», explique le sociologue Philippe Bidet.
Des élus plus âgés avec des mandats plus courts
Mais s’ils sont toujours autant convoités, les agriculteurs ont, eux, tendance à réfréner leur participation active à la vie politique. Ils sont en effet maires de plus en plus tard, «certains attendent même d’être proches de la retraite pour accepter l’écharpe», constate Roger Le Guen. La durée de leur mandat est aussi plus courte. Jusqu’en 1995, les maires agriculteurs avaient des carrières de plus d’un mandat. « Le décrochement arrivait après deux ou trois mandats. En 1983, 20,1% en ont quatre ou plus, ils ne sont plus que 11,2 % en 2008», observe Philippe Bidet. Ces désaffections précoces relèvent, selon les experts, des nouvelles conditions de l’exercice politique, moins compatibles avec le métier.
Les agriculteurs sont en effet confrontés à une double tension : d’un côté des responsabilités locales plus exigeantes et de l’autre des exploitations chronophages. «Ils sont de plus en plus accaparés par leur métier», estime François Bidet. Par ailleurs, la conjointe qui auparavant assurait souvent «l’intendance» sur l’exploitation pour son mari élu, travaille de plus en plus à l’extérieur et ne peut ainsi pallier ses absences. Et si la forme sociétaire peut être un avantage pour l’exploitant maire qui peut facilement se faire remplacer par ses associés, elle est aussi un risque de déséquilibre entre les nouveaux partenaires.
Les nouvelles instances décisionnelles boudées
Bref, les freins se multiplient : «Progressivement, l’on assiste d’une part à un retrait des agriculteurs des mairies. Et d’autre part, l’on s’aperçoit que les agriculteurs s’intéressent très peu aux nouvelles formes de débat, de gouvernance et de décision que sont les intercommunalités, les Pays, les régions et les agglomérations urbaines par ailleurs. Les agriculteurs sont très peu présents dans ces quatre instances», constate le sociologue Roger Le Guen.
Le phénomène se ressent tout particulièrement parmi les jeunes agriculteurs : avec un métier de moins en moins représenté dans leur commune, accaparés par le fonctionnement économique d’exploitations conséquentes, ils sont moins disposés et disponibles que leurs aînés pour briguer ces mandats. Pourtant, détenir un mandat dans les structures intercommunales représente un enjeu essentiel, rappellent les deux sociologues. «Les maires agriculteurs risquent de perdre de nombreuses responsabilités de délégations, au profit des maires urbains et périurbains», argumente Philippe Bidet.
«L’hyper masculinité» à l’origine d’un capital en crise
Pour endiguer ce phénomène de désertion, une évolution du statut des élus locaux, qui accorderait des périodes sabbatiques, pourrait être une solution, ainsi que la mise en place d’une formation politique systématique pour les agriculteurs, proposent les deux chercheurs. Autre voie possible : la féminisation des responsables originaires de l’agriculture. «La crise du capital politique des agriculteurs est en réalité aussi liée, dans une certaine mesure, à leur hyper masculinité, pointe Roger Le Guen. Il y a très peu de femmes issues de l’agriculture dans les organisations professionnelles et les pouvoirs politiques locaux. Les considérer accroîtrait le potentiel». Sans ces évolutions, le pouvoir local risque de s’éloigner des citoyens, prévient le sociologue Philippe Bidet, et devenir progressivement une affaire d’experts urbains ou périurbains. Et le devenir de la terre, principal enjeu, de passer entre leurs mains.