Les arbres têtards et leurs secrets révélés
Emblématiques du bocage, les trognes – c’est l’un des autres noms de l’arbre têtard – sont à la fois refuge de biodiversité et outil de production.
On l’appelle chez nous «arbre têtard» ou trogne, mais il existe en réalité autant de noms pour l’identifier que de régions françaises, «voire plus» expliquait le 17 février Dominique Mansion, lors d’une conférence-débat organisée à Desvres (62) sur les origines et les richesses de l’arbre têtard. En guise d’introduction, le Parc naturel des caps et marais d’Opale proposait une projection du film «Trognes, les arbres aux mille visages» réalisé par Timothée Janssen pour une découverte de ces arbres plus complexes qu’il n’y paraît. «L’intérêt de conserver ces arbres est patrimonial, mais leur conservation est aussi un enjeu d’avenir», expliquait Philippe Mageot, technicien du PNR des caps et marais d’Opale.
Réservoir de biodiversité
«Fabriquer» un arbre têtard d’abord, puis l’entretenir, sont un art. La manière dont la trogne va évoluer au fil des ans va, en effet, conduire à l’apparition d’un creux «sans que celui-ci ne remette en cause la vitalité de l’arbre», souligne Dominique Mansion. Si le naturaliste garde en tête les souvenirs de taille de son père pour obtenir des trognes dans ses arbres, lui a choisi de les dessiner. Et constate «que la trogne se retrouve finalement partout en Europe». Au travers de ses dessins et de reportages, Dominique Mansion entend «montrer la création d’une trogne et sa vie pour que les gestes ne soient pas oubliés». Tailler un arbres en têtard n’est pas, poursuit-il, «une mutilation, comme certains peuvent le penser... même s’il peut y avoir des accidents quand cela est mal fait». Au fil des ans et des tailles, la trogne devient un réservoir de biodiversité. Oiseaux, petits mammifères, insectes, chauve-souris et autres micro-organismes viennent y trouver refuge et s’y développer. La trogne offre aussi des branches rectilignes. Pour Philippe Mageot, quand ces arbres sont correctement entretenus, l’utilisation de ses branches coupées deviennent multiples : «pour la vannerie, quand il s’agit de branches de saules, pour fabriquer du charbon, des planchers... Quasiment tous les arbres peuvent être taillés pour être conduits en trogne».
Des arbres nourriciers
En agriculture, les branches jeunes issues d’une trogne peuvent servir de fourrage primaire «en complément. C’est une habitude à retrouver». Dans le département de la Vienne, l’Inrae mènerait actuellement des études sur la qualité fourragère d’une cinquantaine d’essences arbres.
Une fois déchiquetées, les sections les plus grosses peuvent aussi être utilisées en paillage de litière. «Quelques éleveurs qui profitent de cette ressource le pratique, constate M. Mageot. Le paillage de bois remplace la paille de céréales dans les zones herbagères.» Néanmoins, rappellent technicien et naturaliste, «la reprise d’une trogne abandonnée pendant plusieurs années n’est pas évidente. Pour certaines essences, cela peut condamner l’arbre». Paradoxe de la trogne : «Ce sont les arbres les plus mal en point qui réagissent le mieux à une reprise en main de leur entretien par l’homme.» Sans opération de trognage, certains arbres ne produiraient pas de fruits : c’est le cas, par exemple, de l’olivier. «Si on mange des olives, c’est parce que les arbres ont été trognés. Sur d’autres arbres, la trogne sert aussi à porter des greffons», explique Dominique Mansion.
Pour ses caractéristiques, ses références patrimoniales et son utilité dans le maintien de la biodiversité ordinaire, certains naturalistes rêvent de voir la trogne être un jour inscrite au patrimoine mondial naturel de l’Unesco. Dominique Mansion en fait partie : «La démarche est en cours et les choses ne sont pas simples. Mais si cela arrive, ce serait alors exceptionnel.»