Les contours du plan «énergie, méthanisation autonomie azote»
Avec pour objectif de multiplier par dix le nombre d’installation, le gouvernement finalise un plan «méthanisation».
Situé au carrefour du plan de soutien à l’élevage, de la future loi d’avenir pour l’agriculture, du «projet agro-écologique» et du plan biogaz, un plan «énergie, méthanisation, autonomie azote» est en cours de préparation. Baptisé EMAA, ce plan devrait être présenté d’ici à la fin mars et est présenté comme une partie du plan de soutien à l’élevage.
Volet méthanisation, volet azote
Il comprendra un volet sur la méthanisation et un volet sur l’azote. Le volet méthanisation devrait être destiné à «encourager la méthanisation à la ferme, qu’elle soit collective ou individuelle, plutôt qu’industrielle». Il s’agira aussi de voir comment le cadre actuel – réglementaire, tarifaire, administratif – peut être optimisé. Un second volet important portera sur l’azote, notamment sur les moyens d’inciter à remplacer l’azote minéral, que les éleveurs achètent pour fertiliser leurs cultures, par de l’azote organique fertilisant, notamment celui qui est contenu dans le digestat, résidu du procédé de méthanisation. À la clé : davantage d’autonomie, et a priori, des économies.
La méthanisation décolle en agriculture
L’enjeu en vaut-il la chandelle ? Bien qu’il soit encore très restreint, en France, «dans le secteur agricole, le parc est en développement», constate Julien Thual, de l’Ademe. On y distingue les unités de méthanisation dites «à la ferme», gérées en autonomie par un agriculteur, d’une puissance généralement inférieure à 500 MWélectriques (MWe) et alimentés essentiellement par des déchets agricoles, et des unités dites centralisées, (puissance supérieure à 500 MWe), qui sont alimentées par des déchets variés récoltés sur le territoire. Ces unités centralisées sont tantôt des projets menés par des agriculteurs regroupés, tantôt portés par des collectivités locales. Fin 2012, la France comptait 88 unités à la ferme et 15 unités centralisées en fonctionnement, pour des puissances installées de 15 MWe pour les premières et de 17 MWe pour les secondes.
Une idée «séduisante»
L’Ademe et l’APCA partagent cet enthousiasme. Les chambres d’agriculture avancent pour le biogaz agricole un «potentiel considérable» de 1,18 million de tonnes équivalent pétrole (Mtep). Pour comparaison, la «ferme France» consomme 11 Mtep, soit 4% de l’énergie consommée par la France. De fait, la méthanisation en agriculture présente plusieurs intérêts, détaille Julien Thual : «Pour l’agriculteur, elle permet de gérer des déjections animales, elle présente une possibilité de diversifier l’activité et les sources de revenus. Sur le plan environnemental, la méthanisation permet de réduire l’émission de gaz à effet de serre par rapport à un simple stockage des fumiers et lisiers». Cette réduction, l’Institut de l’élevage l’a chiffrée : elle atteint 6% pour l’élevage laitier. La méthanisation offre la possibilité de produire une énergie de source renouvelable, donc «de retrouver une certaine autonomie sur l’exploitation», par ailleurs, une partie de l’azote minéral peut être remplacée par l’épandage de digestat. Enfin, «l’intérêt est aussi territorial», note Julien thual : elle constitue un service rendu à la société, puisque des déchets non-agricoles peuvent avantageusement être ajoutés dans le méthaniseur, qu’il s’agisse de déchets organiques industriels ou issus des espaces verts des collectivités. La France vise l’objectif de produire 36,3 Mtep à partir de ressources renouvelables en 2020. En 2011, l’hexagone en produisait 20,6 Mtep. La voie semble donc ouverte. Mais pour que la méthanisation dans le secteur agricole puisse s’y inscrire réellement, certains freins restent à lever, en particulier sur le plan économique (voir encadré). L’enjeu du plan méthanisation sera donc de dépasser ces problèmes et de poser un cadre qui, à la fois, favorisera un développement des unités à la ferme en harmonie avec le reste des opérateurs et des projets des territoires, améliorera réellement l’autonomie des exploitations agricoles en énergie et en fertilisant, et dégagera une rentabilité satisfaisante pour eux.
LES CINQ FREINS A LA METHANISATION
- La rentabilité économique
L’équilibre économique des installations de méthanisation est délicat à trouver. Aujourd’hui, ces unités servent surtout à réaliser des économies sur les coûts de gestion des déchets et sur l’électricité ou la chaleur. D’une part, les investissements dans des unités de méthanisation sont lourds (de l’ordre de plusieurs millions d’euros), donc pas à la portée de tous les élevages. Ensuite, si quelques dossiers, en 2012, se sont montés sans subventions publiques (Etat, région, Feder), la grande majorité des projets ne sont rentables sur un pas de temps satisfaisant que grâce aux subventions. Selon l’Ademe, elles représentent en moyenne 17% des montants investis. Au-delà des subventions, les tarifs de rachat de l’électricité impactent bien évidemment la rentabilité. En élevage laitier, par exemple, «les unités de petites puissances ne sont pas rentables», explique Alicia Chapiot, responsable de projets «Bâtiments d’élevages» à l’Institut de l’élevage. «Pour une unité de 43 kilowatts, il faudrait une augmentation de l’ordre de 20% du tarif de rachat de l’électricité pour obtenir un retour sur investissement au bout de 10 ans», chiffre-t-elle.
- La question des digestats
C’est une des grandes questions que pose le plan EMAA. Une question aussi technique que cruciale, et qui reste en suspens : aujourd’hui, en effet, le digestat, qui a un statut de déchet peut-être épandu sur les terres agricoles, dans le respect des règles des plans d’épandage. Il a en effet des vertus fertilisantes, en particulier parce que «l’azote qu’il contient est plus facilement assimilable par les plantes que celui contenu dans les lisiers ou fumiers», explique Julien Thual, de l’Ademe. Homologués ou normalisés, ils peuvent être exportés d’une région à l’autre, valorisés ou commercialisés. Seulement, entre un déchet et un produit normalisé, les responsabilités diffèrent : le producteur du déchet est responsable de son effet sur l’environnement ; pour un produit normalisé, c’est l’utilisateur et les leçons tirées de l’épandage des boues de station d’épuration, à leurs débuts, ont laissé des traces dans les esprits.
- La valorisation de la chaleur
Le biogaz issu de la méthanisation à la ferme se fait le plus souvent en cogénération : on produit à la fois de la chaleur et de l’électricité.
Une chaleur qu’il faut pouvoir utiliser. «La valorisation de la chaleur est plus facile pour le porc et la volaille», rappelle Alicia Chapiot. Ces productions ont en effet des besoins pour le chauffage des bâtiments d’élevage. Mais, pour les vaches laitières, cette question ne se pose pas : les exploitants doivent donc trouver de nouveaux débouchés. «Il y a des solutions : collège, école, bureau, procédé industriel, transformation fromagère, séchage de fourrage, champignonnière, séchage de tabac, bois, etc.», énumère Alicia Chapiot. «Mais cela nécessite une réelle implication de l’éleveur et on a l’impression qu’ils sont effrayés», regrette-t-elle. Pour Julien Thual, de l’Ademe, les solutions sont effectivement à trouver en lien avec la collectivité, ou dans la création d’une nouvelle activité liée à la présence de cette chaleur… Même si cette dernière voie est rédhibitoire pour certaines délégations régionales de l’Ademe, qui ne subventionnent que les projets qui substituent des consommations d’énergie, et non qui en créent.
- Le risque de concurrence
Plusieurs acteurs le soulignent : à mesure que l’intérêt pour la méthanisation s’accroît et que se multiplient les projets de méthanisation, des concurrences apparaissent. Concurrences pour les déchets qui peuvent entrer dans les méthaniseurs comme compléments pour le processus biologique, et concurrences à la sortie du méthaniseur pour l’usage des digestats et sur les surfaces d’épandages capables de recevoir les digestats. La question est d’actualité puisque le gouvernement n’entend pas favoriser uniquement la méthanisation en milieu agricole. Les centres d’enfouissement technique, les stations de traitement de déchets industriels ou d’eau usées urbaines, et certaines unités de traitement des ordures ménagères produisent également du biogaz, avec un potentiel important de développement pour certains segments. D’ailleurs, les trois quarts du biogaz produit en France sont actuellement issus des décharges.