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«Les éleveurs laitiers sont comme des mineurs, au fond du trou»

«Nous, on veut juste pouvoir vivre de notre métier, et avoir un peu d’argent pour nous faire remplacer le week-end.» Joël et Charles Seigneur, père et fils, éleveurs laitiers à Ercourt, tirent la sonnette d’alarme. Ils témoignent de leur malaise. 

À trente-quatre ans, Charles Seigneur est un passionné d’élevage laitier. Mais il se pose très sérieusement la question  de poursuivre l’activité. «La rémunération est loin d’être cohérente avec la charge de travail.» 
À trente-quatre ans, Charles Seigneur est un passionné d’élevage laitier. Mais il se pose très sérieusement la question de poursuivre l’activité. «La rémunération est loin d’être cohérente avec la charge de travail.» 
© Alix Penichou

Chaque jour, le réveil de Joël et Charles Seigneur, éleveurs à Ercourt, sonne à 5h30. «On se lève tôt, et on ne sait jamais à quelle heure on va rentrer.» Joël est parti de pas grand-chose. «J’ai repris la ferme familiale en 1999, avec 35 ha et 36 vaches.» Désormais, les 100 VL (1 Ml de lait) installées dans un bâtiment de 2009, leur suite, et les 120 ha remplissent plus que bien leur journée, malgré un salarié en charge de la traite la semaine… Mais pas leur compte en banque. «On ne compte même plus nos heures. J’ai fait le calcul, après déduction des impôts, il me reste 495 par mois pour vivre. Ça fait bizarre», s’étonne encore Joël. Ce 26 novembre, ils recevaient Sébastien Grymonpon, responsable amont de leur coopérative Lact’Union pour exprimer leur désarroi. «Nous ressentons un vrai mal-être, et nous ne sommes pas les seuls. Nous voulons le dire haut et fort pour tenter de faire changer les choses.»

 

«On nous donne ce qui reste»

Pour eux, la principale cause de leurs maux est le prix du lait, «qui ne rémunère pas le travail à sa juste valeur». Dernier paiement en date : 340 €/1 000 l prix de base, soit 10 € de moins que le mois précédent, mais 20 € de plus qu’à la même période l’année dernière. «Ces fluctuations ne veulent rien dire, car nos charges ne cessent d’augmenter elles aussi. Fuel, engrais, aliments… Tous les prix ont explosé ces derniers mois.» Quel serait le juste prix, selon eux ?
«450 €/1 000 l permettraient de couvrir les contraintes alimentaires, sanitaires…», note Joël. «On veut juste pouvoir vivre de notre métier, et avoir un peu d’argent pour nous faire remplacer le week-end», ajoute Charles. Ce prix est d’ailleurs celui fixé par l’Apli (Association des producteurs de lait indépendants), après avoir commandité une étude indépendante. «Le prix couvrant réellement tous les coûts de production des éleveurs français est de 450 €/t de lait», alertait-elle dans une tribune en février dernier.

Joël pointe aussi du doigt l’organisation de la filière agricole. «Tous les maillons de la chaîne se servent, équilibrent leurs comptes, et nous, on nous donne ce qui reste, même si ce n’est pas assez. Aucune autre filière ne fonctionne de cette manière.» Pour lui, sa carrière d’éleveur laitier a eu raison de sa vie privée. «Trop de travail. Pas assez d’argent. Ma femme a fini par partir», regrette-t-il, encore sous le coup de son divorce. «On est comme des mineurs, au fond du trou, à trimer pour trois fois rien.» Les investissements de la coopérative pour un lait mieux rémunéré ? «On nous rabâche cet argument tous les ans, et on ne voit jamais la couleur de la plus-value.»

 

Arrêter le lait, malgré la passion

À trente-quatre ans, Charles, ne veut pas vivre la même histoire. «Quand je suis revenu à la ferme, après avoir travaillé dans le négoce agricole, j’avais des étoiles dans les yeux. Je suis un passionné d’élevage. J’adore mes vaches. Mais aujourd’hui, je suis dégoûté.» Lui aussi a subi une difficile séparation. «Je vois ma fille de six ans un week-end sur deux seulement. Avec le boulot de la ferme, je ne peux pas lui consacrer ces deux jours pleinement. Un jour, elle m’a dit que si c’était pour la faire garder, autant rester chez sa maman. Ça m’a mis un sacré coup», raconte-t-il, les yeux humides. Le jeune agriculteur pense aussi à préserver sa santé. «J’ai de graves ennuis, qui ne sont pas arrangés par la pénibilité des tâches.» Chaque jour, il porte 350 kg de granulés, au seau. «M’équiper d’un Dac (distributeur automatique de concentrés), par exemple, et embaucher quelqu’un, permettrait de me soulager. J’aimerais aussi offrir plus de confort à mes vaches, avec des brosses, des caillebotis devant l’auge… mais la capacité d’investissement est limitée.» 

Surtout, avec aucune garantie de prix, il n’ose pas avancer. À tel point qu’il pense très sérieusement à arrêter le lait. «Le bâtiment d’élevage sera fini de payer en 2023. Mais il me faudra rembourser l’installation… On n’en voit jamais le bout.» Son père, Joël, ne le pousse pas non plus à reprendre. «L’élevage a été toute ma vie, et voilà où j’en suis…» Chez les Seigneur, la question de la pérennité du lait est celle de la passion contre la raison. 

 

Lact’Union entend le mal-être et veut rassurer

Miser sur les marchés valorisants, c’est la stratégie de la coopérative Lact’Union pour rémunérer au mieux ses éleveurs. Explications.
«Avec Egalim 2, nous avons des billes pour que la GMS prenne en compte l’augmentation des coûts de production», assure-t-on chez Lact’Union. Verdict en janvier 2022. 


«Nous entendons le besoin des éleveurs d’être mieux rémunérés et le mal-être de certains, assure Sébastien Grymonpon, responsable amont chez Lact’Union. Nous avons construit une stratégie pour valoriser le lait au mieux.» Ce vendredi, il consacrait son après-midi à apporter des éléments de réponse à Joël et Charles Seigneur quant au prix du lait. «Des arguments qui, je l’espère, sauront vous rassurer pour l’avenir.»
Pour rappel, Lact’Union collecte 230 millions de litres de lait, bio inclus, auprès de 380 exploitations, acheminés vers trois sites de collecte : les usines Lactinov d’Abbeville et de Braines (02), et l’usine Babydrink d’Abbeville, dédiée aux laits liquides infantiles UHT en bouteilles. Que fait-on avec 1 l de lait ? «Un tas de produits, de différentes valeurs. Chez nous, il s’agit principalement du lait de consommation, conditionné en briques et en bouteilles, de beurre et de crème, des produits infantiles, traités dans notre usine Babydrink, et d’une partie de lait séché en poudre, en partenariat avec Ingrédia», note le responsable. Le choix de la coopérative ?
«Se concentrer sur les marchés valorisants. Et à long terme, nous pensons qu’il s’agit du lait UHT et du lait infantile.» Pour être compétitive, la coopérative doit investir dans des outils. «Ces investissements représentent des millions d’euros, que les adhérents paient évidemment collectivement.»

Egalim 2 : l’outil qui change tout
Pour Sébastien Grymonpon, les efforts commencent à être récompensés. «Le cri d’alarme de la filière a été entendu par le gouvernement, qui a répondu par la loi Egalim 1 puis 2. Cette année, nous avons des billes pour que la GMS (grandes et moyennes surfaces, ndlr) prennent en compte l’augmentation des coûts de production.» Un outil essentiel, puisque 50 à 60 % des produits vendus en France sont négociés avec les grandes surfaces. Une ombre au tableau tout de même : la consommation de ces produits laitiers baisse de 4 à 5 % tous les ans. «Pour que notre offre soit en adéquation avec notre demande, nous avons une stratégie de baisse des volumes de collecte depuis deux ans, que nous poursuivons.» En 2021, le prix moyen du lait devrait être supérieur de 10 €/1 000 l par rapport à 2019. La coopérative travaille à ce qu’il soit encore mieux rémunéré en 2022. 
A. P.
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