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Innovation
Les vertiges de l’agriculture verticale

Face à la crise énergétique, les revers de fortune s’enchaînent en Europe pour l’agriculture verticale, essentiellement sous la pression de l’électricité́ chère. Cette crise intervient aussi à un moment où l’enthousiasme des investisseurs décline partout dans le monde. 

Infarm va fermer ses activités en France.
Infarm va fermer ses activités en France.
© Infarm

L’annonce n’a pas fait grand bruit. Et pour cause, elle a été discrète. Il y a un mois, c’est par la simple mise à jour d’un communiqué sur son site internet, que la start-up allemande Infarm a annoncé qu’elle allait fermer ses activités en France. Le leader européen de l’agriculture verticale va également quitter la Grande-Bretagne, les Pays-Bas et le Japon. Une vraie déroute. Malgré sa discrétion, la décision est retentissante pour le secteur, car Infarm est considéré comme l’un des champions de l’agriculture verticale en Europe. Depuis sa création en 2013, l’allemand s’est implanté dans une dizaine de pays à travers le monde, dont la France depuis 2018. Elle avait réalisé une levée de fonds record de 200 M$ en 2021, et s’était fait remarquer plus récemment pour ses recherches sur la culture de blé indoor. L’annonce est d’autant plus marquante, qu’Infarm n’est pas isolé dans ses difficultés. 

Au même moment en Europe, d’autres start-up disparaissent. Selon la presse horticole, le leader néerlandais Future Crops a fait banqueroute il y a quelques semaines, peu de temps après que son compatriote Glowfarms ne cesse ses activités. Sur la même période, l’américain Kalera stoppait ses activités aux Pays-Bas. En somme, l’agriculture verticale est à un tournant en Europe. Le ralentissement commence à se percevoir dans les investissements. Le flux de capital-risque destiné à l’agriculture verticale est passé de 391 millions d’euros (M€) en Europe en 2021, à 340 M€ en 2022, selon le cabinet DigitalFoodLab. Une légère baisse en apparence, mais plus profonde à y regarder de près.  Pour Matthieu Vincent, associé chez DigitalFoodLab, expert de l’agtech et de la foodtech, «les récentes annonces ne sont peut-être que le début du phénomène. Beaucoup d’acteurs ont levé des fonds en 2021, qui peuvent généralement les financer durant 18 à 24 mois.» 

 

L’Europe et son électricité 

Pourquoi une telle chute ? Pour expliquer ses déboires, Infarm met d’abord en avant deux facteurs : «prix de l’énergie et marchés financiers». Pour l’ensemble des experts interrogés, l’agriculture verticale européenne est d’abord touchée de plein fouet par la flambée des prix de l’électricité – particulièrement aiguë sur le continent européen –, même si d’autres facteurs contribuent à son ralentissement. Habituellement, «l’énergie représente 20 % de nos coûts», rappelle Antoine Fuyet, cofondateur de la start-up Champerché, en Île-de-France. «Certains de nos concurrents ont vu leurs coûts énergétiques atteindre deux fois leur chiffre d’affaires.» 

Pour la plupart des start-up d’agriculture verticale, l’heure est à l’adaptation, à l’optimisation. «Oui, l’électricité est un sujet», convient Pascal Thomas, à la tête de Futura Gaïa, qui développe des modules de production cylindriques. Le sujet est tellement stratégique, que sa société a mis au point «un système expert» dédié à l’optimisation de la consommation d’énergie. «À court ou moyen terme, nous allons doubler la production de végétaux au mètre carré, avec la même consommation d’énergie qu’aujourd’hui», annonce de son côté Gilles Dreyfus, le patron de Jungle. «Il y a un axe de progression important pour ce qui concerne la consommation d’énergie qui peut être diminuée en jouant sur la climatisation, la circulation de l’air ou l’éclairage à LED», estime le jeune entrepreneur. 

Face à ces coûts qui flambent, certains choisissent de faire monter en gamme leurs services, pour être moins sensibles à ce type de variation. «En agriculture verticale, soit on trouve une solution pour diminuer ses consommations énergétiques, soit on travaille, comme nous, sur des plantes à plus forte valeur ajoutée», estime Romain Schmitt, patron de FarmCube. 

Bien avant la crise énergétique, cette start-up a fait le choix de se concentrer sur le secteur de la recherche. «Nous nous concentrons sur la mise à disposition de nos chambres de culture à des fins de recherche pour les filières agricoles et horticoles. Dans ce domaine, l’énergie n’est plus un sujet.» Dans la même veine, la start-up Jungle s’est orientée depuis quelques mois vers le monde du parfum, en signant un premier contrat avec le suisse Firmenich pour la culture du muguet. 

La fin de la mode verticale 

Mais la crise énergétique n’explique pas entièrement les déboires actuels. Le secteur traverse une période de doute de la part des investisseurs, alimentée par la conjoncture financière mondiale et la maturité propre à l’agriculture verticale. Selon les termes des analystes américains d’AgFunder, le secteur de l’Agriculture en environnement contrôlé (CEA) connait une «correction du marché». Ou pour reprendre les concepts du cycle de Gartner, décrivant les différentes phases d’adoption des innovations : c’est la fin de la mode de l’agriculture verticale, qui entre dans une période de maturation. «Après la phase d’euphorie, et la bulle, nous en sommes à la phase des désillusions des investisseurs», étaye Antoine Fuyet, de Champerché, qui cherche actuellement des fonds pour financer cinq fermes. 

Ces dernières années, le secteur avait battu tous les records de levées de fonds. En 2021, les investissements avaient progressé de 250 % pour atteindre 2,3 milliards de dollars. 

«Il y a eu une phase d’engouement, durant laquelle les investisseurs ont placé de l’argent dans des projets aux coûts de productions élevés, très automatisés, dont les produits se sont retrouvés un peu hors du marché», retrace Antoine Fuyet. À l’instar d’autres produits haut de gamme, ils peuvent se retrouver aujourd’hui en difficulté face à l’inflation alimentaire. 

Ces derniers temps, les investisseurs sont donc plus prudents. «Le contexte est plus compliqué qu’il y a deux ou trois ans», confirmait Cyrille Cabaret, associé chez la société de capital-risque Demeter Ventures, interrogé durant le Salon de l’agriculture. Sa société, qui a investi en 2021 dans Jungle, cherche à constituer un nouveau fonds de 200 millions d’euros dédié à «l’agritech, la foodtech et l’agroécologie» : «Cela oblige à être plus rationnel. Les vrais bons sujets, les champions continuent de lever, ceux qui sont plus incertains auront des difficultés.» «Il y a davantage d’analyse, étaye l’ancien député Grégory Besson-Moreau, qui vient d’intégrer Demeter. Avant, les fonds ne regardaient pas les questions de coûts de l’énergie, ou encore du plastique, de l’emballage, du recrutement...» 

Un secteur à part dans l’agtech 

La fin de la hype n’explique pas entièrement la méfiance des fonds ; l’inflation, la hausse des taux d’intérêt et l’incertitude ambiante concernant l’avenir de l’économie mondiale l’accentueraient. «Les investisseurs sont plus prudents, à la fois pour des raisons propres à l’agriculture verticale, mais aussi compte tenu de la conjoncture économique mondiale», étaye Antoine Fuyet chez Champerché. 

Enfin, ces déboires interviennent dans un secteur qui a le sentiment persistant d’être à part dans le monde des start-up de l’agtech, car très gourmant en capital. «À l’instar du photovoltaïque, l’agriculture verticale nécessite beaucoup de dépenses d’investissements, avec une rentabilité qui se dégage sur un temps plus long que les activités de service en ligne», rappelle Antoine Fuyet, de Champerché. «Les fonds veulent un retour de 10 % sur trois ans, mais ça n’existe pas dans notre secteur, s’impatientait Pascal Thomas de Futura Gaïa, interrogé au Salon de l’agriculture. Aujourd’hui, nous avons plus de facilité à lever de la dette que des fonds. Il faut que cela change si nous voulons préserver notre souveraineté.» Et de pointer également une faiblesse de l’industrie lourde en France, qui induirait notamment des difficultés d’approvisionnement en composants. 

Globalement, le secteur semble en permanente réflexion sur son modèle de financement et d’organisation. La start-up américaine Plenty a récemment levé «l’équivalent d’un milliard de dollars» auprès... d’un investisseur immobilier, relève Matthieu Vincent : «Il y a tout un questionnement sur l’organisation de la filière : qui va investir, qui va construire ?» 

En la matière, il faut distinguer les fournisseurs de technologies, comme l’anglais IGS, «pour lesquels il y a des investisseurs classiques dans l’ag-tech», et «les constructeurs de fermes» qui ont vocation à lever des sommes très importantes. Récemment, un constructeur comme Jungle a récemment annoncé à Agra Innovation qu’il souhaitait désormais commercialiser des fermes, et non plus seulement les exploiter lui-même. Pour Champerché, qui discute régulièrement avec des bailleurs immobiliers pour implanter ses installations, ces derniers ont vocation à investir dans l’agriculture verticale. 

Bien sûr, aux yeux de tous les acteurs interrogés, la promesse principale de cette industrie – la sobriété en eau – reste pertinente, confortée par les aléas climatiques de plus en plus importants, et les velléités d’autosuffisance de certains pays aux climats arides. «Il faut prendre en compte l’intérêt d’une production en agriculture verticale sur l’ensemble de la chaîne de valeur, plaide Gilles Dreyfus, chez Jungle. En intégrant l’eau, la logistique, l’énergie, les produits phytosanitaires que nous n’utilisons pas, les aléas climatiques auxquels nous ne sommes pas soumis, la qualité nutritionnelle des produits, etc.» 

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