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L’horticultrice Carole Wiel-Rouvillain fleurit nos âmes

Au cœur du village de Vignacourt se trouve Hortipassion. C’est dans la ferme familiale que Carole a «logé» ses serres pour la production et la vente de fleurs.

© AAP


«La fleur est courte, mais la joie qu’elle a donnée une minute n’est pas de ces choses qui ont commencement ou fin», écrivait le poète Paul Claudel. Cette joie, Carole la voit fleurir sur le visage de ses clients à chaque retour du printemps. Un retour qui annonce celui des fleurs dans les jardins et sur les balcons. Mais pour que les fleurs soient prêtes à rejoindre jardins et balcons, Carole a beaucoup œuvré dans ses serres durant de longs mois, les mains dans la terre, puis dans les pots, dans un silence recueilli.
Parce que dans les serres, le temps est comme suspendu. Seule la respiration se fait entendre. «On oublie tout quand on est dans les serres, confie Carole. C’est un espace de silence et de paix, en plein cœur du village. Les fleurs, c’est toujours de la joie. Dans notre monde triste à bien des égards, cela fait du bien.Quand je suis dans les serres, au milieu des fleurs, je suis dans ma bulle, et toujours autant émerveillée par une petite fleur qui va arriver.» Un miracle répété à chaque saison qui vous rend toujours plus contemplatif au fil des années. Mais avant d’atteindre cette plénitude, Carole a emprunté plusieurs chemins de traverse où poussent plutôt les fleurs sauvages.
Carole a toujours vu sa grand-mère faire pousser des fleurs. Dans la ferme, ses grands-parents, puis ses parents pratiquent la polyculture, l’élevage de vaches laitières et la production d’œufs. La fin des quotas laitiers pousse la famille à arrêter l’élevage. Sa mère décide de développer la production de fleurs et de les vendre. «Dans le jardin que cultivait ma grand-mère, il y avait les légumes et les fleurs mélangés alors que dans celui de mon grand-père, tout était bien séparé», se souvient Carole. Il n’est pas rare qu’elle aide sa grand-mère, puis sa mère, à cueillir les fleurs, ou qu’elle aille dans l’étable pour traire les vaches et dans les champs avec son père. La passion de la terre se transmet de génération en génération dans l’acte et non dans la parole.
Aussi, sans plus choisir que cela, et suivant les conseils donnés par le corps enseignant à la suite de ses bons résultats, elle fait un BTSA agroalimentaire après un bac scientifique. Sans vraiment choisir non plus, elle devient technicienne de laboratoire, là où elle a fait son BTSA en alternance. Elle a en charge le contrôle du lait à son arrivée à l’usine, puis pendant la production de la poudre de lait, et, enfin, celui du produit fini. La tâche est routinière, mais elle ne lui déplaît pas. Elle la fera six ans. Deux événements vont dévier cette route toute tracée : un congé individuel de formation pris par un ami et la retraite prochaine de ses parents. Elle décide alors, par le biais d’un congé de formation individuel, de faire des études horticoles. Comme la graine qui a besoin de temps pour s’épanouir en fleur, la graine de la passion semée par sa grand-mère fleurit enfin dans l’âme de Carole.

Un chemin fleuri
Considérant cependant qu’elle n’a pas suffisamment d’expérience pour se lancer toute seule, elle cherche d’abord un travail. Elle fait de la vente durant un mois chez un horticulteur, mais cela ne lui suffit pas. Un autre horticulteur, qui a le projet d’ouvrir une serre à Amiens, la met en garde. L’horticulture n’est plus un métier d’avenir. Elle hésite. Le destin va lui donner un coup de pouce. Ses parents lui proposent de se lancer sur une pâture laissée en déshérence après le départ des vaches de l’exploitation. C’est là, en 1998, qu’elle fera construire sa première serre d’une superficie de 500 m2.
Sur les conseils avisés de sa mère, elle choisit les plantes qu’elle produira, «toutes celles qui poussent chez nous», précise-t-elle. Pour la vente, c’est la personne qui suit son dossier d’installation de jeune agricultrice, qui va l’orienter vers le réseau Bienvenue à la ferme. Ce réseau l’incite à développer des portes ouvertes et l’accueil de groupes pour se faire connaître. Ses premières portes ouvertes en 1999 remportent un vif succès. Il y a foule.
En parallèle, elle se rapproche des communes pour proposer ses services. Une dizaine de communes samariennes répond favorablement, en lui confiant notamment leurs jardinières. Pour satisfaire toutes les demandes, elle n’a d’autre choix que de s’agrandir. D’une serre, elle passe à deux, puis trois. Aujourd’hui, elle en possède cinq sur une superficie de 1 500 m2.

Les fleurs s’invitent dans les assiettes
Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Un livre sur la cuisine aux fleurs offert pour son anniversaire va la conduire sur un nouveau chemin. Pourquoi ne pas lancer des ateliers de cuisine dans ses serres ? L’idée fait florès. Ses premiers «cobayes», comme elle les appelle, sont ses enfants, son mari et ses parents. «Mon mari déteste maintenant la rose. Ce n’est plus sa tasse de thé, mais mes enfants et mes parents, eux, adorent. Et moi aussi», commente-t-elle. Sous ses mains ex­pertes «fleurissent» des gâteaux à base de pétales de lavande, de soucis, de rose, comme des madeleines aux graines de pavot ou aux géraniums odorants, ou encore des beignets de fleurs de rose, de sureau, de lilas ou de trèfle, selon les saisons. Les confitures ne sont pas non plus oubliées, de rose, de pissenlit ou de baies de sureau. «Le géranium a un parfum de rose, la sauge, un parfum d’ananas», raconte-t-elle. Son péché mignon ? Plusieurs en fait : le sirop de mimosa et les madeleines au géranium. Pour faire partager ses «péchés» de gourmandise, elle organise des goûters à base de fleurs. Là encore, c’est un franc succès.
Si le géranium a «un goût incomparable», et est sans nul doute une des fleurs qu’elle vend le plus, elle a une affection toute particulière pour les némésias, «parce que ce sont des fleurs simples, fines, aux coloris variés et très parfumées», dit-elle. Mais quelles que soient les fleurs, elle les aime avant tout pour leur capacité à «créer un lien avec le monde extérieur et apporter une joie immédiate que l’on peut voir sur le visage de ceux qui viennent dans les serres». Qu’importe s’il faut de la patience avant que la fleur ne s’épanouisse. Cette longue attente vaut tout l’or du monde. Aussi «si la vie n’est qu’un passage, sur ce passage au moins semons des fleurs», rappelait Montaigne.

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