Lin fibre : une IGP pour sécuriser la filière ?
La filière lin est porteuse, mais elle mérite d’être sécurisée pour que cela perdure. La création d’une IGP (Indication géographique protégée) pourrait être un outil. C’est ce que présentait l’AGPL lors de ses hivernales.
Les cours sont bons, la demande est importante… Ce n’est un secret pour personne : l’économie du lin fibre se porte bien. Très bien même. «Mais plus le lin prend de la valeur, plus il y a un risque de concurrence et de contre-façon, prévenait Yves Jacob, directeur de l’AGPL (Association nationale des liniculteurs de France), lors d’une réunion hivernale à Abbeville, ce 28 janvier. Nous devons pouvoir nous défendre.»
Le syndicat a invité plusieurs représentants de la filière, «de la chemise au champ», pour réfléchir à une approche globale de la qualité. Ou plutôt des qualités. Car ce sont bien ses qualités, en termes de solidité, d’hygiène, de traçabilité, etc. qui permettront aux acteurs de valoriser le produit. L’un des outils, pour cela, pourrait être la création d’une IGP (Indication géographique protégée). «Ce serait une vraie garantie pour le client. Mais cela implique un cadre, défini par un cahier des charges.» La démarche concernerait trois pays producteurs européens : la France, la Belgique et les Pays-Bas. Un challenge costaud à relever, mais qui «nous permettrait de préserver notre avenir, grâce à une stabilité des prix et des emblavements. C’est une opportunité de se démarquer et d’être acteur de notre marché», assure Vincent Boche, liniculteur et administrateur à l’AGPL.
Un jean en lin de chez nous ?
Olivier Guillaume, directeur de l’entreprise de filature Safilin, confirme : «Les fibres naturelles du lin séduisent une population écoresponsable. Et cette part de population est croissante. Mais nous souffrons d’un manque de transparence et de lisibilité. Après la qualité du produit, la plus importante des exigences est bien l’origine. Nous avons besoin d’être soutenus par un outil qui le garantit et l’IGP a une valeur infalsifiable !» Pour lui, certains marchés pourraient être conquis grâce à cette traçabilité du produit. «Un jean en lin, vous en avez déjà vu, vous ? Non ? C’est parce qu’on n’a pas su montrer nos qualités. Nous avons pourtant tous les arguments.» Raymond Libeert, directeur de l’entreprise belge de tissage Libeco, ajoute que «relayer ce qui se passe du champ au produit fini est très important. Nous avons, par exemple, une nouvelle demande de revêtement mural en lin pour un gros client aux Pays-Bas. Pour lui, l’origine du lin est un critère essentiel.»
Pour produire en IGP, la qualité du produit est primordiale. Et chacun doit, à son échelle, être le plus vigilant possible. «Pour nous, agriculteurs, le premier point de vigilance est le choix de la parcelle, avec un sol résistant au sec, précise Vincent Boche. Le semis est ensuite l’étape à ne pas louper. Il doit être homogène en profondeur et bien rappuyé, pour assurer une bonne levée. Les rotations longues ont aussi un impact à long terme.» Même degré de professionnalisme chez les teilleurs. «Un camion de filasse vaut entre 75 et 90 000 €, alors on n’a pas le droit de se tromper, annonce Vincent Delaporte, directeur de Calira (coopérative agricole linière de la région d’Abbeville). Bien teiller, c’est respecter certaines cadences, enlever les pailles dans les filasses, bien éclater les pieds…»
Chez les tisseurs, la qualité a aussi un coût : «Lorsque nous tissons, nous pouvons observer des défauts, tels que des gros fils, des impuretés… Vingt-huit personnes sur les cent-soixante qui travaillent chez nous corrigent les défauts sur chaque m2 de tissu», raconte Raymond Libeert.
À chaque critère son utilité
Mais la qualité d’un bon lin dépend surtout, à la base, de conditions climatiques favorables. Ce critère est forcément aléatoire. Qu’adviendra-t-il alors des fibres de moins bonne qualité ? «On achète en fonction de ses besoins, et les besoins sont différents en fonction de l’utilisation, confie Olivier Guillaume. Pour du linge de lit, il faut du fil très fin et régulier. Pour la déco, du fil plus structuré. Pour les textiles techniques, la force du lin prime cette fois sur sa propreté.» Les fibres, même «non IGP», trouverons donc preneur. Il n’y a plus qu’à…
La filière, en chiffres
3,42 €/kg : c’est le prix moyen des fibres longues sur 12 mois glissants (novembre 2018-novembre 2019). Celui-ci a augmenté de 0,81 € sur cette même période. «Mais attention, rien n’est jamais acquis. Il faut savoir raison garder», prévient Yves Jacob, directeur de l’AGPL.
179 000 t de fibres longues ont été produites, soit 39 000 t de plus sur cette même période.
0,90 €/kg : c’est le prix des fibres courtes en novembre dernier, soit une augmentation de 25 % en douze mois.
7 t/ha, c’est le rendement moyen de paille de lin en France, pour la récolte 2019. Le rendement fibres est de 23 %.
121 000 ha ont été emblavés en France, soit 14 % de plus qu’en 2018.
13 400 ha de lin sont cultivés dans la Somme. Presque deux fois plus en une décennie.
Indispensables stocks
Le bon développement de la filière lin ne peut se faire que si chacun évolue dans un climat de confiance. Chaque maillon de la chaîne est d’accord sur ce point. «Et pour entretenir cette confiance, nous avons besoin de stocks, annonce Olivier Guillaume, de Safilin. Nous avons frôlé la rupture il y a peu. Nous devons donc sécuriser. Car si nous ne pouvons pas fournir nos clients, ils iront voir ailleurs !» La question des prix à la baisse en fait néanmoins frémir certains. «Mais le stock ne doit pas faire peur, insiste Olivier Guillaume. C’est une chance et non une contrainte.» «Pour gagner de l’argent, il faut que tout le monde en gagne, ajoute Bertrand Gomart, président de l’AGPL. Les stocks doivent être une responsabilité collégiale. Liniculteurs, teilleurs et filateurs doivent s’organiser pour cela.»