Marchés mondiaux : la France en perte de vitesse
Si l’agriculture est actuellement «une fierté commerciale française», depuis les années 1990, les indicateurs sont alarmants, et la France pourrait connaître son premier déficit agricole en 2023.
Le groupe Agriculture et alimentation de la commission des Affaires économiques du Sénat a publié un rapport sur la place de l’agriculture française sur les marchés mondiaux. Ce rapport, intitulé «La France, un champion agricole mondial : pour combien de temps encore ?», dresse un bilan économique de l’agriculture française. Avec une production dont la valeur dépasse de 15 milliards d’euros celle de l’Allemagne et l’Italie, la France est le premier producteur agricole européen. Elle contribue ainsi à 17 % de la production de l’Union européenne.
Pourtant, derrière ces indicateurs positifs, se cachent des évolutions jugées alarmantes qui marquent un recul global de la production agricole en France et participent à l’érosion de la place de la France sur le marché mondial. Principalement en raison de départs à la retraite, la part des agriculteurs ou d’emplois liée à l’agro-alimentaire dans la population active est passée de 12 % à 5,5 % en quarante ans. D’autre part, la surface agricole a reculé de 17 % entre 1961 et 2019, soit une baisse de 60 000 km2.
Depuis la fin des années 1990, la production agricole stagne. Le rapport précise ainsi qu’en raison de cette faible dynamique de production, la France fait partie des pays ayant perdu le plus de parts de marché au niveau mondial. Depuis 2011, les exportations se sont stabilisées, et alors qu’elle était le troisième exportateur mondial en 2005, la France occupe désormais le sixième rang, avec environ 4,5 % de parts de marché, soit une perte de deux points en dix ans.
Un premier déficit agricole en 2023
Si l’excédent commercial agricole de la France fait partie des «fiertés nationales», les auteurs du rapport précisent d’ailleurs que sans le vin et les spiritueux, la France aurait un déficit commercial agricole de plus de six milliards d’euros. De plus, cet excédent tend à s’éroder entre 2011 et 2017. Il a été divisé par deux en euros courants. «A ce rythme de décroissance, la France constatera son premier déficit agricole en 2023», s’inquiètent les auteurs.
La diminution de l’excédent est principalement imputable aux échanges inter-européens. En 2018, seuls les échanges avec les pays tiers ont contribué à l’excédent commercial. La direction générale du Trésor estime que 70 % de l’érosion de l’excédent est causée par une perte de compétitivité. Elle s’explique par plusieurs facteurs. Le premier est le dumping social avec des charges plus élevées. En maraîchage, par exemple, le coût du travail en France est respectivement 1,7 et 1,5 fois plus élevé qu’en Espagne et en Allemagne.
La tendance à la sur-réglementation est également pointée du doigt. D’après l’OCDE, le degré d’exigence des politiques environnementales serait bien supérieur en France. La fragilité de l’industrie agro-alimentaire et la faible structuration de certaines filières contribuent aussi à freiner la compétitivité des productions françaises. Parallèlement à la perte de marché des exportations française, la France a massivement recours à l’importation de produits agricoles et alimentaires. Depuis 2000, elles ont progressé de 87 %. Ainsi, environ un fruit et un légume sur deux consommés en France sont importés.
Non-respect des normes françaises
Le rapport émet aussi des doutes quant à la qualité sanitaire des produits importés. Il souligne ainsi que sur la base des non-conformités constatées par les autorités de contrôle suite à un contrôle physique en 2017, on peut estimer qu’entre 8 et 12 % des denrées alimentaires importées des pays tiers ne respectent pas les normes européennes de production et sont susceptibles de porter atteinte à la sécurité sanitaire des citoyens. 17 % des produits bio contrôlés se sont révélés non conformes.
Concernant les denrées alimentaires européennes, la concurrence déloyale est supérieure. En 2014, un rapport de la Cour des comptes révélait que les non-conformités relevées par la DGAL, dans le cadre de ses contrôles sur les produits importés de l’Union européenne, sont de 17 % pour les viandes fraîches de boucherie, 13 % pour les viandes fraîches de volaille, 25 % pour les produits à base de viande, 21 % pour le lait cru ou traité thermiquement et les produits à base de lait. Ainsi, 10 à 25 % des produits importés en France ne respecteraient pas les normes minimales imposées aux producteurs français et cinq à dix milliards d’euros de produits illégaux seraient vendus en France.
«Un jour par semaine, les Français consomment intégralement des aliments préparés à base de produits étrangers. Et durant cette journée, ils consomment sans doute un repas entier avec des aliments ne répondant pas aux normes françaises», résume Laurent Duplomb. Ainsi pour «protéger l’agriculture» et l’alimentation, les sénateurs appellent à renforcer la compétitivité de l’agriculture française, mais aussi à lutter contre la concurrence déloyale des produits ne respectant pas les normes imposées aux producteurs.
«Ce rapport montre que la France a d’indéniables opportunités, non seulement en raison de la capacité des producteurs à reconquérir des parts de marché national, mais aussi celle d’exporter notre savoir-faire et notre alimentation de qualité. Pour cela, il faut que notre pays retrouve la fierté de son agriculture», conclut le rapporteur.