Mobilisation syndicale : 1 000 agriculteurs à Paris
Les FDSEA et JA de seize départements ont investi Paris
ce 19 décembre, pour dénoncer les contradictions de l’Etat, à la veille de la clôture des Etats généraux de l’alimentation.
Avec un bus bien rempli ou plusieurs voitures pour chacun des départements des Hauts-de-France, du Grand Est, de l’Ile-de-France, de la Normandie et du Centre Val-de-Loire, près de 1 000 agriculteurs se sont retrouvés mardi dernier, place du Carrousel, face à la pyramide du Louvre, à Paris. Le lieu n’était pas sans rappeler la marche du président Macron, au soir de son élection, et la ressemblance montait d’un cran, lorsque l’hymne à la joie, hymne de l’Union européenne a retenti, comme au soir du 7 mai dernier. Sauf que cette fois-ci, ce n’est pas un Emmanuel Macron triomphant qui était sur place, mais des dizaines !
En effet, pour dénoncer les décalages entre les discours sur la libération des énergies d’entreprendre, une approche normative annoncée sur la base de «toute l’Europe, rien que l’Europe», et les actes qui accroissent régulièrement le différentiel normatif défavorable aux agriculteurs français, les manifestants s’étaient grimés d’un masque à l’effigie du chef de l’Etat, doublé d’un nez de Pinocchio, pour le mettre face à ses mensonges.
L’objectif est clair : que dans la clôture des Etats généraux de l’alimentation (21 décembre), le chef du gouvernement exprime des positions claires et les moyens d’y parvenir sur les distorsions de concurrence et les moyens de les réduire entre les agriculteurs de France et ceux d’autres pays, au sein ou en dehors de l’Union européenne. Car les exemples avérés de décisions gouvernementales défavorables à l’agriculture hexagonale ne manquent pas (glyphosate, néonicotinoïdes, biocarburants, cotisations sociales), et les menaces sont encore plus vives (notamment avec les négociations d’accords de libre-échange avec le continent américain Ceta et Mercosur). Chacune de ces menaces a fait l’objet d’une mise en scène, devant les participants et les médias.
Une délégation à Matignon
Dans la foulée du rassemblement, une délégation composée de Laurent Degenne (Hauts-de-France), Damien Greffin (Grand Bassin parisien), Benoît Hedin (JA), Hervé Lapie (Grand Est), Jean-Yves Bricout (Aisne) et Eric Thirouin (Centre) a été reçue à Matignon, par Julien Turenne, conseiller technique agriculture au sein du cabinet du Premier ministre, Edouard Philippe. Ils ont disposé d’une petite heure pour évoquer leurs sujets d’inquiétude sur l’absence de rupture entre les positions politiques adoptées par le précédent gouvernement et celles d’aujourd’hui. Nous nous situons toujours dans la surtransposition à la française et le manque d’investissement à limiter les distorsions de concurrence dans les négociations internationales. Tous les sujets de crispation ont été évoqués : glyphosate, néonicotinoïdes, SIE, Ceta, Mercosur, mais également la révision du schéma des structures, la fiscalité, le tout avec des questions simples sur les orientations du gouvernement sur chacun de ces points.
D’une manière générale, les élus agricoles ont pointé en l’état l’absence d’un projet agricole pour la France. A toutes ces questions, Julienne Turenne s’est contenté de rappeler l’engagement du gouvernement dans les Etats généraux de l’alimentation et s’est fait l’écho du passif du précédent gouvernement sur le Ceta ou encore l’ardoise du transfert du premier au second pilier annoncé cet été…
Il a aussi appuyé l’action du gouvernement à limiter l’importation d’éthanol dans le cadre des négociations du Mercosur. Il a réaffirmé, ensuite, la volonté du gouvernement de défendre les modèles agricoles français à travers trois axes : la gestion des risques, l’environnement et la compétitivité des filières. Il a rappelé également la volonté du président Macron de ne pas renationaliser la Pac, sans toutefois s’opposer à l’usage de la subsidiarité à bon escient. Il a, par ailleurs, regretté que les Etats généraux de l’alimentation aient axé la première phase des discussions sur les rapports producteurs-distributeurs, en omettant une partie des problématiques associées aux grandes filières.
En conclusion, pas d’effet d’annonce deux jours avant la clôture des Etats généraux de l’alimentation. Le Premier ministre sera-t-il plus loquace et prospectif ? C’est bien ce sur quoi comptent les agriculteurs qui se sont mobilisés.
REACTIONS
Denis Delattre, secrétaire général de la FDSEA
Toujours mobilisés, et à juste titre
Une action syndicale ? à Paris ? en décembre ? en état d’urgence ? Certains nous prédisaient que ce serait soit interdit, soit un flop. Et pourtant, l’action est réussie. Avec les Jeunes agriculteurs, nous avons su réunir plusieurs forces pour dénoncer, loin de nos campagnes, l’écartèlement dont sont victimes les agriculteurs, tiraillés entre une mondialisation cassant nos prix, et des contraintes franco-françaises alourdissant nos charges. Le combat de la revalorisation des prix et de l’allègement des charges est celui du revenu. Il est le plus juste et le plus constant. Il l’est d’autant plus aujourd’hui que nous voyons arriver de nouvelles contraintes, mais pas plus de garantie sur les prix. Les Etats généraux de l’alimentation devaient ouvrir une fenêtre pour résoudre cette équation, et il est indispensable qu’on obtienne des réponses concrètes de la part du chef de l’Etat. C’est d’autant plus important qu’au final, pour nous, c’est aussi la question de sa vision de l’agriculture et des agriculteurs : entre une vision qui allie performance économique, sociale, sanitaire et environnementale, ou une vision basée sur un repli de notre dimension agricole sur l’échiquier planétaire. Nous le saurons bientôt. En tout cas, je remercie chaleureusement toutes celles et ceux qui se sont rendus ce mardi à Paris, à commencer par ceux qui ont annulé leurs rendez-vous, comme la commission agricultrices ou Picardie lait. Ils ont contribué à rendre ce combat visible et audible, et tout ce qui pourra être grapillé en faveur de l’agriculture dans les prochains jours, ce sera en grande partie à eux que tous les agriculteurs le devront. Merci encore, et bonne fin d’année à tous !
Laurent Degenne, président de la FRSEA Hauts-de-France
Quand le discours d’investiture ne rime plus avec agriculture
Je voudrais tout d’abord remercier tous les agriculteurs qui se sont mobilisés ce mardi 19 décembre pour venir à Paris dénoncer les distorsions de concurrence dont nous sommes victimes. Nous étions plus de trois cents des Hauts-de-France. Ces actions de communication sont nécessaires pour aider nos représentants nationaux dans les discussions auprès des ministères, pour toucher nos décideurs et les mettre face à leurs incohérences et pour alerter le consommateur, trompé, lui aussi, par cet écart entre le discours et les faits.
Le lieu que nous avions choisi est symbolique : le Louvre, lieu du discours d’investiture du président Macron. C’est une façon de lui rappeler ses engagements. Dans le discours, il a promis aucune surtransposition européenne, dans les faits, il demande l’interdiction du glyphosate d’ici trois ans alors que la commission européenne valide son homologation pour cinq ans.
Monsieur Macron aime l’entreprise, Monsieur Macron aime l’agriculture, mais il n’aime pas l’entreprise agricole. Il souhaite redresser l’économie de la France, il oublie le rôle que peut y jouer l’agriculture. Nous avons souhaité rappeler au président Macron que l’agriculture est un secteur économique à part entière, avec une balance commerciale positive. La considérer uniquement sous le prisme de l’entretien du paysage et de son lien au territoire est une erreur, ou une méconnaissance de notre secteur d’activité. La suppression de l’exonération de sept points de cotisations sociales, qui permettait de réaligner les exploitations agricoles françaises sur les mêmes niveaux de coût du travail que les exploitations de nos principaux voisins et concurrents européens, est un coup grave porté à la compétitivité de nos exploitations.
Autre grief : les accords de libre-échange signés avec le Canada, et en cours d’élaboration avec l’Amérique du Sud. Ces décisions vont entraîner l’entrée massive de produits ne répondant pas aux mêmes exigences que les normes françaises. Encore une fois, nous ne nous battons pas à armes égales.
Malgré les atouts que représentent nos filières pour l’économie française, nous constatons avec regret l’absence de projet agricole chez nos gouvernants. Ce sont à travers les actions comme celle de mardi que nous remettrons l’agriculture au cœur des débats. Grâce à votre mobilisation, nos revendications ont été portées au plus haut niveau, à Matignon. Nous verrons la prise en compte qui en sera faite dans le rendu des Etats généraux de l’alimentation.