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Mutations dans l'agriculture et opportunités à saisir

Face aux mutations agricoles, l’heure est au changement de paradigme. Les opportunités à saisir sont multiples. Le point avec Jacques Mathé, professeur associé en sciences économiques.

© F. G.



Que se passe-t-il sur le plan économique ?

Les modèles économiques connaissent une profonde mutation et rapidement. Nous sommes dans une économie qui va basculer dans une économie de flux et de trésorerie. Nous sommes également dans une économie à la demande, où l’on paie pour utiliser des outils et non pour les posséder. Une autre mutation réside dans une économie incluant désormais la qualité de l’expérience clients. Impossible d’y échapper. Enfin, la digitalisation de l’économie est en œuvre, et cela, dans tous les domaines. Or, tout cela bouleverse les relations humaines, et ce, dans toutes les activités.

Comment ces évolutions économiques impactent-elles les exploitations agricoles ?
En ce qui concerne l’économie de flux, l’agriculture est plutôt positionnée sur un capital très patrimonial. Il serait peut-être plus judicieux, à présent, d’avoir un capital plus tourné vers le système de production que vers le patrimonial. Ce qui pose, bien sûr, la question du foncier. L’économie à la demande pose, elle, la question de la possession des outils de production, notamment des machines dans le monde agricole. Or, en sachant que les coûts de mécanisation impactent fortement les comptes des exploitations, s’interroger sur la nécessité de posséder ces outils s’impose. Reste que les partager ou les louer implique un changement dans les pratiques, pas toujours facile à opérer.
Pour l’économie menée par la qualité des expériences clients, nous voyons arriver cela dans les contrats que signent les agriculteurs avec leurs coopératives ou les industriels. Et, en circuits courts, il faut intégrer cette dimension. Sans cela, ce n’est même pas la peine de s’y lancer. Enfin, l’économie digitale est entrée totalement dans les exploitations agricoles. Elle a même envahi ce secteur et aussi l’agro-alimentaire. D’ailleurs, l’agriculture est le second secteur d’investissement des start-up. Se pose la question de la propriété des données, d’autant que c’est une richesse qui échappe aux agriculteurs. La guerre des Data est partie. Dans tous les cas, ce nouveau contexte économique oblige tous les acteurs du secteur. C’est l’heure de revoir leurs stratégies.

A partir de ce nouveau contexte, quels sont les marchés dans lesquels les agriculteurs peuvent saisir de nouvelles opportunités ?
La question qu’ils doivent se poser est : qu’est-ce qu’ils ont de bien et de mieux pour entrer dans ce système économique et développer leurs activités ? Comme ils doivent aussi se demander pour quels marchés ils produisent, une question qu’on ne pose pas assez souvent dans le milieu agricole. Car, de cette question, il sera plus simple de définir ensuite la stratégie à adopter, autrement dit quelle voie choisir et quel système de production retenir.
En ce qui concerne les marchés, la majeure partie des agriculteurs sont dans le mass market. Mais, même dans ce marché, il est impératif de se poser la question de la satisfaction du client. De nouveaux marchés s’ouvrent aussi dans les circuits locaux, le bio, et de nouveaux espaces de production apparaissent tels que l’agriculture urbaine. Autrement dit, plus on a de choix, plus on peut trouver sa place, car l’agriculture est de plus en plus diverse. La difficulté est d’y voir clair tant les horizons se sont démultipliés.

Vous évoquez une agriculture diverse. Est-ce à dire que le modèle agricole a muté ?
Nous sommes en effet passé d’une agriculture de modèle, avec une optimisation du système productif, une politique de soutien incitative, des filières et une demande alimentaire peu segmentée, des savoir-faire reconductibles et démultipliables à une agriculture de projet depuis les années 2000. Ce qui se traduit par un producteur, une entreprise, un contexte, mais aussi des soutiens publics bien plus faibles, des filières, des marchés et une demande diversifiés, mais volatils, et où la performance individuelle se différencie désormais de la performance collective de façon plus nette. Ce qui signifie également que ce sont les compétences, bien plus qu’avant, qui font les résultats.

Cette mutation de modèle entraîne-t-elle un changement de paradigme ?
Oui, en effet, car les agriculteurs doivent prendre désormais en compte les attentes sociétales (traçabilité, sans OGM, santé, bien-être animal, l’éthique, le local, la durabilité, la biodiversité, etc.). La prise en compte de cette quête de sens est indispensable, même si les injonctions des consommateurs peuvent être contradictoires. Ce qui est sûr, c’est que l’on ne fera plus de grand export comme on le faisait il y a quinze ans. On ne reviendra pas en arrière.
Aussi ces évolutions économiques et sociétales obligent-elles à repenser les itinéraires techniques et à intégrer les exploitations dans leurs territoires. De ce fait, les modes de production sont en train d’évoluer par-delà les pionniers.

Que seront les exploitations dans les années 2020 ?
La mécanisation et les intrants ne remplaceront pas les savoir-faire. Le métier d’agriculteur ira de plus en plus vers l’ultra-compétence. La maîtrise technologique restera importante, mais l’œil de l’éleveur et les compétences agronomiques seront incontournables. C’est un retour au métier de base qui s’instaure. Aucun autre secteur d’activité n’offre autant d’opportunités que l’agriculture. Et c’est, d’ailleurs, le secteur qui a le plus d’avenir dans l’économie.

Et le groupe ?

En dépit des stratégies de plus en plus indivualisées, l’agriculture de groupe est «encore tendance», assure Jacques Mathé. D’une part, parce que «la complexité des modèles économiques rend impossible le fait de réussir seul», et d’autre part, parce qu’il est capital de «faire essaimer les savoir-faire et les expériences pour entretenir une dynamique de territoire». Mais partager des objectifs principaux ne signifie pas pour autant «d’abandonner des marges de manœuvre individuelles».

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