Négociations commerciales : mauvais plan de filière ?
Une réunion du comité de suivi des négociations a eu lieu le 19 janvier. La charte d’engagement n’est pas respectée. Rappel à l’ordre du ministre de l’Agriculture.
pratiques signée entre la grande distribution, les agriculteurs et les industriels de la transformation.
Il semblerait qu’il y ait beaucoup d’eau qui se soit écoulée sous les ponts depuis le 14 novembre, date de la signature de la charte de bonne conduite entre la grande distribution, les industries de la transformation et les producteurs agricoles. De l’eau, beaucoup d’eau, qui aurait emporté toutes les bonnes intentions, pourtant répétées à l’envi lors des Etats généraux de l’alimentation, qui se sont clôturés le 19 décembre dernier. En cause : des négociations commerciales plus que tendues entre les différents acteurs en lice.
Si, d’un strict point de vue de l’état d’avancement, les négociations commerciales 2018 - commencées depuis décembre et se terminant fin février - sont «plutôt en avance par rapport à l’an dernier», selon Jacques Creyssel, délégué général de la Fédération du commerce et de la distribution, le traditionnel bras de fer ou jeu de poker menteur, suivant qui tient le bon bout du bâton, se poursuit sous haute tension.
Et d’autant que certaines enseignes de la distribution promettent des rabais allant jusqu’à 70 % ce mois de janvier, soit des rabais allant à l’encontre des engagements pris tant dans la charte de bonne conduite que lors des Etats généraux de l’alimentation. De quoi obliger le ministre de l’Agriculture à rappeler à l’ordre les secteurs de la distribution convoqués, ainsi que tous les acteurs de la filière, lors du comité de suivi des négociations commerciales, le 19 janvier dernier.
Grand écart entre les promesses et les faits
«A ce jour, les informations remontées du terrain font état de demandes de déflation très fortes et de négociations difficiles» a déclaré le ministre de l’Agriculture, Stéphane Travert, le 19 janvier. Et le ministre de pointer du doigt les premiers éléments issus des contrôles en cours et les échanges, qui «ont mis en lumière une application inégale de la charte signée par les acteurs, et l’existence de marges de progrès dans la conduite des négociations». Avant de rappeler que «notre travail est de vérifier que les négociations suivent ce qui a été signé dans la charte» et d’évoquer un renforcement des contrôles de la DGCCRF «sur des situations dont on nous ferait part». Une menace à peine voilée à l’encontre de la grande distribution pour l’obliger à suivre la charte et à évoluer avant l’application de la loi, qui sera présentée le 31 janvier en Conseil des ministres, pour limiter les promotions abusives et relever le seuil de vente à perte.
Et si cela ne suffisait pas, cette réunion a aussi servi à rafraîchir la mémoire de tous sur les engagements prix au cours des Etats généraux de l’alimentation et les sanctions encourues en cas de non-respect. Pour mémoire, au cours des négociations 2017, les contrôles ont abouti à neuf assignations décidées par le ministre de l’Economie et des finances, et à deux cent trente procédures de sanction administrative, pour un total de quinze millions d’euros.
Qui est le menteur ?
Les données fournies par les distributeurs font surtout état «de demandes d’augmentation très significatives» formulées par l’agro-alimentaire, et qui ne «correspondent pas à la charte» censée défendre les agriculteurs, selon eux. «La charte est un prétexte pour obtenir des hausses qui ne correspondent pas à l’évolution des prix des matières premières», a jugé notamment Jacques Creyssel.
Du côté de Coop de France et de l’Ania, sont mises en avant des demandes de baisses jugées «préoccupantes». Y compris sur des marchés où les cours ont progressé, rapporte Christiane Lambert, présidente de la FNSEA, qui se demande «qui est le menteur» ? Son syndicat dit avoir constaté, via ses adhérents, des demandes de baisse de prix, allant de 2 à 8 %, formulées par les acheteurs de la distribution dans les «box» où ils négocient avec leurs fournisseurs.
La FNSEA dénonce également des pratiques menées simultanément en magasin. «Les niveaux de promotions constatés démontrent que la loi actuelle n’est pas respectée : ni l’interdiction de revente à perte, ni la limitation des promotions actée par la loi Sapin II. Ils organisent une véritable braderie des produits agricoles : des côtes de porc à 1,77 € le kilo, du lait bio à 67 centimes d’euro le litre, ou des pommes de terre à 11 centimes le kilo. Comment, dans ces conditions, le consommateur peut-il s’y retrouver et avoir une quelconque idée de la valeur de l’alimentation quand tout n’est que promotions et rabais ?», s’est insurgée Christiane Lambert.
La FNSEA et les JA se disent prêts à appeler leurs réseaux pour «aller faire la police des prix dans les magasins», comme c’est déjà spontanément le cas dans certains départements. La loi, présentée fin janvier, sifflera-t-elle la fin de ces bras de fer, qui oppose chaque année des milliers de producteurs agricoles et de PME de l’agro-alimentaire aux représentants des quatre centrales d’achat, qui se partagent l’essentiel du marché de la grande distribution en France ? Pas si sûr. Pour qu’il en soit ainsi et que la foire d’empoigne cesse, il faudra une loi contraignante et ferme. Sinon, cela repartira comme en quarante avec, au bout, les mêmes perdants.