Néonicotinoïdes : «les betteraviers ont besoin d’une dérogation»
Devant une attaque de pucerons inédite qui montre les limites des insecticides, l’interdiction des néonicotinoïdes doit faire l’objet d’une dérogation pour les betteraves, selon Olivier de Bohan, le président du groupe sucrier Cristal Union.
À quel contexte économique font face les betteraviers ?
La filière traverse une période compliquée depuis plus d’un an, liée pour l’essentiel à une surproduction mondiale de sucre avec l’Inde et la Thaïlande comme principaux responsables. Cela a mis dans le rouge tous les acteurs européens l’an dernier. La crise du coronavirus est arrivée là-dessus. Elle a provoqué la chute des cours du pétrole. Pendant le confinement, une panne de la demande en carburant est apparue. L’éthanol, produit à partir de betterave, a subi 80 à 90 % de consommation en moins. Son attractivité est réduite. Au centre de la scène, le Brésil transforme d’habitude la canne en éthanol pour les deux tiers, en sucre pour un tiers. La tendance s’est inversée. Face à cet effondrement du marché de l’éthanol, Cristal Union possède heureusement des distilleries. On a pu intensifier notre production d’alcool, permettant de répondre aux besoins liés à la crise sanitaire. 840 000 litres sortent chaque jour de nos unités, cinq fois plus qu’avant. Ce qui montre bien l’utilité de tels outils sur nos territoires, qui créent de l’emploi, de la diversité au sein des assolements. La France ne manque ni d’alcool, ni de sucre.
Comment se présente la prochaine récolte betteravière ?
Les conditions climatiques sont marquées par la sécheresse depuis deux mois, même s’il y a eu un épisode de pluie. Aucune précipitation n’est en vue. Des températures élevées sont survenues très tôt en saison. Conséquence, il y a multiplication des bioagresseurs avec, en particulier, une grosse attaque de pucerons qui intervient très précocement. Les betteraviers ont, depuis septembre 2018, l’interdiction d’utiliser des néonicotinoïdes en traitement de semences. Reste l’alternative de la pulvérisation, mais elle montre aujourd’hui ses limites. L’attaque de pucerons est si forte qu’on n’en vient pas à bout. Pulvériser, ça représente aussi un coût plus élevé, un impact sur l’environnement à considérer.
Vous demandez donc une ré-autorisation des néonicotinoïdes...
Il nous faut une dérogation pour quelques années, en attendant qu’arrivent des solutions par la génétique ou autres. Des pays comme la Belgique, l’Autriche, les Pays-Bas l’ont accordée et les néonicotinoïdes continuent d’y être utilisés par les planteurs. La betterave est une plante qui ne fleurit pas, donc non attractive pour les pollinisateurs. Interdire les néonicotinoïdes est un non-sens, une grave erreur à corriger.
D’autres insecticides existent, comme le Teppeki dont l’Anses a autorisé fin avril une utilisation plus précoce. Est-ce insuffisant ?
Le Teppeki ou le Movento restent limités en nombre de passages. Et je reçois des appels de gens affolés, y compris dans nos services techniques pour dire : «On ne s’en sort pas» face aux pucerons. L’Anses elle-même, dans son avis sur les néonicotinoïdes, mettait en garde contre une résistance accrue aux autres insecticides. C’est ce qui passe maintenant. La fin des néonicotinoïdes, dans le cadre de la loi sur la biodiversité de 2016, est une décision politique... D’autant plus difficile à accepter quand Emmanuel Macron, face à l’épidémie de coronavirus, parle de reconquérir notre souveraineté alimentaire, rebâtir une indépendance agricole. Le moment est venu d’en faire la preuve. Un découragement s’installe chez les betteraviers, au sortir d’une crise dans la filière : l’attaque de puceron présente un risque de chute du rendement de 30 %.
Cristal Union est-il en meilleure forme, après une perte historique sur l’exercice 2018-2019 ?
Le groupe affiche de meilleurs résultats cette année, qui doivent encore être communiqués en interne. Deux points nous incitent à l’optimisme. Cristal Union a effectué sa restructuration, marquée par l’abandon des sucreries de Bourdon et Toury. Par ailleurs, les marchés européens se sont redressés, à la fois côté sucre, alcool et éthanol. Tout cela nous rend sereins pour le nouvel exercice. La récolte 2020 sera payée selon un prix de base de 23 € la tonne de betterave, plus 2 € sur une partie des tonnages engagés et livrés, soit autour de 24 €/t avec les indemnités. Malgré la crise du Covid-19, on s’y tiendra.
Des prix de betteraves variables selon les entreprises
Avec la menace «pucerons» qui pèse sur la future récolte 2020, le prix de la betterave est l’autre sujet qui anime les betteraviers depuis quelques jours. Chez Cristal Union, le prix 2019 reste à 22 euros par tonne, plus 50 centimes d’indemnités, a déclaré le président de la coopérative, Olivier de Bohan, le 20 mai, au cours d’un entretien avec le Betteravier Français. Pour ce qui est du prix 2020, «on approchera les 24 euros par tonne», poursuit-il tout en assurant que «les prix annoncées en septembre dernier pour la campagne 2020 seront tenus». Du côté de Saint Louis Sucre, suite à une réunion de la commission «répartition de la valeur», le 19 mai, le groupe privé a annoncé un prix 2019 de 24,87 euros par tonne en forfait collet, soit 23,13 euros par tonne à 16°. Pour la récolte 2020, le prix affiché est de 25,70 euros par tonne en forfait collet, soit 23,92 euros par tonne à 16° pour 70 % des volumes contractés ; le prix des volumes restants sera, quant à lui, fonction du prix de la vente de sucre. Enfin, chez Tereos, le prix 2019 a été fixé à 20 euros par tonne auquel s’ajoute 1,17 euros en moyenne, grâce à différentes primes. Le prix définitif 2019, comme celui de 2020, devrait être connu une fois que les assemblées générales de sections auront eu lieu.