Néonicotinoïdes : va-t-on vers un remake de 2016 au Parlement ?
Un débat passionné s’annonce lorsqu’il s’agira d’adopter la modification législative promise par Julien Denormandie pour ré-autoriser temporairement l’emploi des NNI destiné à protéger la betterave du puceron vert.
Quelle sera «l’ambiance» au parlement lorsqu’il s’agira de débattre de la modification législative devant permettre l’utilisation d’urgence et temporaire des néonicotinoïdes en enrobage de semence pour la betterave ? A l’heure qu’il est, difficile encore de le dire, mais au vu des réactions que cela continue de provoquer, il est fort à parier que les discussions seront encore animées. Sénateur de la Somme pour encore quelques semaines - il était le seul parlementaire à avoir participé à la réunion du 6 août - Jérôme Bignon se souvient de débats déjà particulièrement «violents» en 2016, lors de l’examen de la Loi Biodiversité, dite Pompili, qui avait voté la fin de l’utilisation des néonicotinoïdes. Aujourd’hui, favorable à une ré-autorisation temporaire des néonicotinoïdes, il considère comme une «erreur» la décision prise en 2016, et regrette l’absence de dérogation en France tandis que d’autres pays européens à l’image des Pays-Bas ou de la Belgique les ont prises.
Une décision à assumer
«Au Sénat, le vote ne devrait pas être trop difficile, estime M. Bignon. A l’Assemblée Nationale, par contre, la partie devrait être plus délicate, même si l’on compte sur le gouvernement pour faire comprendre à une majorité de députés l’intérêt de ce texte». En choisissant l’option législative et le débat devant le Parlement pour ré-autoriser temporairement ce que ce dernier avait interdit, le ministère de l’Agriculture prend un risque. Mais, selon Jérôme Bignon, il s’agirait également d’une manière «d’assumer pleinement» sa décision. Justifier le réemploi des néonicotinoïdes par la défense de la souveraineté alimentaire et la sauvegarde d’une filière agricole et agroalimentaire majeure pour l’économie de la France sont quant à eux des arguments qui «plaisent bien» à Jérôme Bignon. «Je ne vois pas comment on peut être contre ce genre d’explications», assure-t-il. S’il soutient la réutilisation temporaire des NNI pour la culture de la betterave, ce soutien reste néanmoins conditionné à la promesse d’efforts soutenus en matière de recherche : «Nous savons que l’INRAE travaille abondamment le sujet, mais il ne faut pas relâcher les efforts. Deux ou trois ne sont pas suffisants pour trouver une solution satisfaisante. Il manque encore un peu de temps. Mais cela dit, il faut que les choses avancent et que l’on débouche sur des solutions concrètes dans un temps raisonnable».
Des ONG demandent à M. Denormandie de maintenir l’interdiction
Dix-huit associations ont demandé le 18 août au gouvernement de ne pas accorder de dérogations pour l’utilisation des néonicotinoïdes aux betteraviers, dénonçant un «recul important» dans la protection des abeilles. Dans un courrier adressé au ministre de l’Agriculture Julien Denormandie, Générations futures, le WWF, la Ligue de protection des oiseaux (LPO), la Confédération paysanne, l’Union nationale de l’apiculture française (UNAF) ou encore Stop pesticides l’appellent à «ne pas déroger à l’interdiction des néonicotinoïdes». Alors que le ministère de l’Agriculture a annoncé début août vouloir permettre aux planteurs de betteraves à sucre d’employer ces insecticides interdits depuis 2018, «dans des conditions strictement encadrées». Ces organisations se disent «scandalisées par cette décision (…) qui constitue un recul important du gouvernement sur la question des pesticides». Pour elles, les abeilles ne seront pas protégées parce que «l’exposition de pollinisateurs aux néonicotinoïdes se fait (…) même surtout par les fleurs sauvages» et parce que les «néonicotinoïdes sont persistants». Rejetant les arguments de «l’impasse technique et de la souveraineté alimentaire», les représentants de ces associations assurent être «95 000 citoyens (…) qui vous demandent (…) de ne pas accorder cette dérogation». Les néonicotinoïdes, qui s’attaquent au système nerveux des pollinisateurs ont été interdits de tout usage phytosanitaire en septembre 2018.
Barbara Pompili justifie la décision
Réautoriser un insecticide interdit pour préserver la betterave à sucre, menacée par le virus de la jaunisse, a été «une décision difficile à prendre», mais à défaut de solution d’ici six mois, «il n’y aura plus de filière sucrière en France», a déclaré, le 12 août, la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili devant la presse, lors d’un déplacement à Biarritz. Selon l’AFP, «malheureusement, aujourd’hui on ne peut pas, si on veut garder une filière sucrière en France, agir de manière durable en si peu de temps», a-t-elle souligné. «Des semis vont être faits dans six mois, si on n’a pas trouvé de solution, ils ne se feront pas et donc il n’y aura pas de betteraves et il n’y aura plus de filière sucrière en France». «Comme il n’y a pas eu assez de recherches, assez d’alternatives, aujourd’hui on est dans le mur», a-t-elle expliqué. «Moi je veux bien qu’on dise : on ferme les sucreries de France, pourquoi pas ? Le choix qui a été fait, c’est de les garder ces sucreries. Pour qu’on ait des betteraves, il faut qu’on en plante», a-t-elle justifié.