Petit méthaniseur deviendra grand
Productrice de porcs installée à Cléville (76), la famille Deschamps a misé il y a plus de 10 ans sur
la méthanisation pour valoriser ses effluents d’élevage en biogaz. Convaincue par cette technologie respectueuse de l’environnement, elle a créé une nouvelle unité, mise en service en juin dernier, qui fait appel à un autre type de procédé industriel pour fabriquer cette fois-ci du biométhane.
Productrice de porcs installée à Cléville (76), la famille Deschamps a misé il y a plus de 10 ans sur
la méthanisation pour valoriser ses effluents d’élevage en biogaz. Convaincue par cette technologie respectueuse de l’environnement, elle a créé une nouvelle unité, mise en service en juin dernier, qui fait appel à un autre type de procédé industriel pour fabriquer cette fois-ci du biométhane.
L’approche de la famille Deschamps concernant la valorisation des déchets agricoles est encore très peu commune en Seine-Maritime et tout à fait remarquable. Peu commune en termes de dimensionnement des installations de méthanisation comme du choix de ses technologies pour produire biogaz et biométhane.
Un peu d’histoire
Trois générations d’agriculteurs se sont succédé sur ce site du pays de Caux, en périphérie du petit village de Cléville. «C’est mon père, Christophe, qui, aidé de mon oncle, a transformé l’exploitation en élevage naisseur-engraisseur de porcs, explique en introduction Mathieu Deschamps, 35 ans, troisième génération et ingénieur de formation. Très porté sur l’innovation, cherchant tout à la fois à recycler les effluents de porcs, à chauffer les bâtiments et à diversifier le revenu de l’exploitation, mon père s’est largement documenté pour valoriser les effluents de l’élevage, puis faire construire notre premier méthaniseur.»
ll lui aura fallu trois ans pour monter le projet, obtenir les autorisations nécessaires (dépôt d’un permis de construire, répondre aux exigences de la réglementation des installations classées pour la protection de l’environnement, etc.) et construire l’installation confiée à l’entreprise française Evalor. «Ce premier méthaniseur, mis en service en 2011, a connu plusieurs montées en puissance pour aujourd’hui atteindre 1,5 MW électrique. C’est une unité de cogénération qui produit tout à la fois électricité et chaleur renouvelables. Elle traite aujourd’hui 100 t de déchets par jour.» Les effluents de l’élevage (900 truies) ne suffisent pas à couvrir les besoins de ce méthaniseur, d’autres déchets - sous-produits agricoles (tourteaux, poussières, etc.) et organiques (déchets alimentaires de supermarchés, de cantines, etc.)
- entrent dans le digesteur, et sont complétés par des végétaux (Cive, résidus de culture et jusqu’à 7 % de maïs en culture principale) produits sur l’exploitation ou bien achetés. En 2011, Mathieu a rejoint son père. Tout n’a pas toujours été facile, concède-t-il. «Mon père et moi-même avons parfois galéré sur le plan de la gestion biologique des matières fermentées. Et puis nous avons adhéré à l’Association des agriculteurs méthaniseurs de France (AMF) où nous avons rencontré des personnes qui ont su nous renseigner.»
Quelques années plus tard, fort des retours d’expérience de cette première installation de production et de son intérêt pour les énergies renouvelables, il décide de s’associer à Arnaud Lepicard et Marc Thuillier pour monter une seconde installation adossée à la première. Le projet de la société nouvellement créée, E’Caux Bio-gaz, prendra lui aussi trois ans avant sa mise en fonctionnement en juin 2021.
Autre procédé technologique
À la différence de la première, cette seconde installation pro-duit du biogaz transformé - par différents procédés de filtration du CO2 et de ses autres compo-sés impurs - en biométhane (gaz vert). L’Allemand Bioconstruct, qui dispose d’un véritable savoir-faire en la matière, a été chargé de sa construction. Le biométhane est injecté dans le réseau de distribution de gaz naturel de GRDF. La production annuelle de cette installation équivaut à la consommation annuelle de 2 000 foyers chauffés. Côté tarifs, le biométhane bénéficie de tarifs d’achat garantis sur 15 ans. Comme pour l’électricité issue de cogénération de biogaz, ce tarif est constitué d’une base de référence additionnée d’une prime qui varie selon le type d’intrants. Les deux installations emploient cinq salariés, particulièrement pour le déconditionnement des déchets emballés qui arrivent sur le site.
La promotion d’une économie circulaire
Bien décidé à communiquer sur ces installations, Mathieu reçoit de nombreux élèves en formation agricole. «J’ai à cœur de montrer que le monde agricole n’a pas attendu qu’on lui demande de se prendre en main sur le plan environnemental pour avoir des pratiques innovantes et vertueuses. Il faut simplement lui donner du temps. Et par ailleurs, je tiens aussi à démonter les préjugés qui existent sur ce type d’installations, ajoute-t-il. Non, elles ne sont ni dangereuses, ni malodorantes à la ronde et nous n’impactons aucunement la circulation du village avec nos camions d’approvisionnement, puisque nous sommes situés bien en dehors.» Aujourd’hui, Mathieu continue à se projeter. Avec ses associés, ils réfléchissent à la fabrication et la distribution de BioGNV, carburant vert produit par méthanisation pour les véhicules lourds et légers. Non, sa seule crainte réside dans l’approvisionnement de ses digesteurs en matières premières, autrement dit en déchets. «Non seulement ils sont de plus en plus chers à l’achat, mais nous voyons aussi arriver de grands groupes énergétiques sur ce marché qui se mettent à créer des installations de méthanisation avec des modèles économiques tout à fait autres, qui captent ces déchets et produisent parfois à perte, tout cela dans le but de se donner une image de responsabilité écologique».
Autrement dit, il va peut-être falloir faire le ménage dans toutes leurs intentions.