Phytos : l’indépendance du conseil gravée dans la loi
Le Parlement a adopté le 2 octobre la loi Agriculture
et Alimentation, dans laquelle il a inscrit l’ambitieux projet
du gouvernement de séparer, par ordonnance, le conseil et la vente des produits phytos.
Pour acheter un produit phyto, l’agriculteur devra bientôt présenter un justificatif de délivrance d’un conseil annuel indépendant. C’est l’une des premières mesures concrètes inscrites dans le projet d’ordonnance «pour la mise en œuvre de la séparation entre la vente [...] et le conseil», dévoilé le 28 septembre par la DGAL (ministère de l’Agriculture) et le CGDD (ministère de la Transition écologique). Pour le reste, le projet du gouvernement laisse en suspens beaucoup de questions, au vu des commentaires recueillis auprès du groupe de travail à qui a été présenté ce document.
«L’entrée en vigueur est annoncée au 1er janvier 2019, mais l’administration n’en a pas l’air elle-même convaincue», confie Christian Durlin à la FNSEA, présent dans ce groupe. En promettant de séparer le conseil et la vente dans le domaine des phytos, le président Macron a ouvert un vaste chantier.
Conseil annuel
Après l’adoption définitive le 2 octobre de la loi issue des Etats généraux de l’Alimentation (EGAlim), le gouvernement est désormais habilité, par ordonnances, à mettre en place la séparation de la vente et du conseil en matière de phytos. Cela passe, a-t-il déjà annoncé, par une séparation capitalistique des structures, l’indépendance des personnes physiques exerçant ces activités, l’exercice d’un conseil stratégique et indépendant.
Le document présenté le 28 septembre définit pour l’instant les contours du conseil annuel. Il s’appuiera sur «un diagnostic qui comporte une analyse des spécificités pédoclimatiques, sanitaires et environnementales», avec aussi «une analyse des conditions économiques, organisationnelles et matérielles de l’exploitation ainsi que des cultures et des précédents culturaux et de l’évolution des pratiques phytosanitaires». Ce conseil obligatoire «privilégie les méthodes alternatives», à savoir «non chimiques» et «l’utilisation des produits de biocontrôle».
Le poste phytos sous tension
Cette première mesure inquiète les syndicats, en ce qu’elle augmente un risque - déjà grand - d’alourdir les charges liées aux phytos et ne résoudrait pas la question du conseil au quotidien. «Le poste phytos risque d’augmenter fortement, avec la fin des remises, rabais, ristournes, la hausse de 50 MÄ de la RPD (Redevance pour pollutions diffuses), le coût du conseil annuel», s’inquiète Christian Durlin, administrateur de la FNSEA en charge de la protection des cultures.
«Il est hors de question d’accepter un conseil indépendant systématique au moment de l’application des produits phytosanitaires : ça représente une charge supplémentaire pour l’agriculteur», avance le syndicaliste. Ce conseil stratégique fait également craindre à ce Pas-de-Calaisien des factures à répétition lorsque, par exemple, une exploitation est à la fois en conventionnel, en bio, en production contractualisée.
«Déficit» en conseil quotidien
Côté distributeurs de phytos, si la FNA (Fédération du négoce agricole) y «voit assez clair» dans le contenu du projet d’ordonnance sur le conseil annuel, d’autres points lui semblent encore flous. Le projet prévoit, d’un côté, un conseil «indépendant de toute activité de vente ou d’application». Et de l’autre, un vendeur qui fournit aux utilisateurs «les informations appropriées concernant l’utilisation des produits phytopharmaceutiques, notamment la cible, la dose recommandée et les conditions de mise en œuvre, les risques pour la santé et l’environnement [...] et les consignes de sécurité».
Mais quid de ses autres prérogatives ? Damien Mathon, délégué général de la FNA, met en garde contre «un gros déficit en conseil quotidien si la relation entre l’agriculteur et le vendeur se limite à la délivrance de produits avec la notice d’emploi». Sur le plan du droit, il lui semble «compliqué d’interdire à l’OS (organisme stockeur, qui, aujourd’hui, réalise la collecte de grains, la vente de phytos et le conseil, ndlr) de donner des préconisations».
Mis devant l’obligation de choisir entre ses activités en produits phytosanitaires, Antoine Pissier, codirigeant de l’entreprise éponyme et président de la FNA, veut néanmoins garder les deux. «Le conseil restera notre cœur de métier avec la vente de solutions pour les cultures, déclare-t-il. Un bon vendeur fait du conseil.» La loi EGAlim «ne va pas interdire aux gens de se parler».
Trois mille conseillers à trouver
Le chemin vers la séparation vente/conseil est semé d’embûches. Trois cent mille exploitations sont concernées, d’après les calculs de la FNA. Sur la base de deux journées de conseil annuel pour chacune, «reste trois mille conseillers à trouver».
D’autres étapes doivent encore être franchies. Une réforme de l’agrément pour l’exercice des activités de conseiller, de vendeur est aussi lancée. La fédération imagine donc une mise en œuvre de l’ordonnance «plutôt en 2020, voire 2021». En première ligne pour assurer le conseil annuel, les chambres d’agriculture se sont fixé comme objectif d’«être opérationnelles dès le texte voté», affirme le président de l’APCA Claude Cochonneau, fort d’un réseau de «7 500 ingénieurs sur le conseil».
Elles ne sont pas seules, le PCIA (Pôle du conseil indépendant en agriculture) étant notamment sur les rangs. Quelque deux cents conseillers en font partie. «Notre code de déontologie impose d’être rémunéré uniquement pour des prestations intellectuelles, souligne le président Hervé Tertrais. Cela exclut tous ceux qui sont liés à un groupe d’achat, une ETA (entreprise de travaux agricoles). Mais certains frappent à notre porte en prévision de la loi. Avec eux, le PCIA devrait à terme rassembler sept cents à mille conseillers.»
Phase de concertation
Un délai est fixé jusqu’au 26 octobre pour que les organisations fassent part de leurs remarques. Puis, une nouvelle réunion début novembre est proposée au groupe de travail, auquel participent notamment la FNSEA, la CR, la Fnab (agriculture biologique), Coop de France, la FNA, l’APCA, le PCIA, la FNEDT (entreprises de travaux agricoles), l’UIPP (industrie de phytos), France Nature environnement.
Exemple de question à laquelle les ETA attendent une réponse des ministères de l’Agriculture et de la Transition écologique : comment l’entreprise obtiendra-t-elle sa feuille de travail pour une pulvérisation chez l’agriculteur ? Jusqu’à présent, c’est le conseiller qui l’établit en remettant ses préconisations.