Piloter l’irrigation, oui mais pas n’importe comment
Si chaque utilisateur d’eau, du particulier à l’industrie en passant par l’agriculture, n’a eu jusqu’à présent pas trop de soucis
à se faire dans les Hauts-de-France, les choses pourraient être différentes dans un avenir proche. Les réponses pour faire face à une moindre disponibilité de la ressource sont multiples et consistent d’abord à améliorer les connaissances dans différents domaines.
Si chaque utilisateur d’eau, du particulier à l’industrie en passant par l’agriculture, n’a eu jusqu’à présent pas trop de soucis
à se faire dans les Hauts-de-France, les choses pourraient être différentes dans un avenir proche. Les réponses pour faire face à une moindre disponibilité de la ressource sont multiples et consistent d’abord à améliorer les connaissances dans différents domaines.
Quelles sont les erreurs à ne pas faire quand on veut optimiser l’utilisation de l’eau sur son exploitation dans un contexte de tension ? Pour y répondre, plusieurs experts des chambres d’agriculture et de l’enseignement supérieur animaient mardi 7 septembre un colloque sur l’évolution et la gestion de la ressource en eau dans le cadre d’une journée technique organisée au Pôle Légumes Région Nord, à Lorgies (62). Pendant près de deux heures, les participants – dont une majorité d’étudiants – ont partagé le constat d’une diminution de la ressource, des effets du changement climatique, d’une consommation qui augmente pour certains usages quand d’autres diminuent, ou encore des solutions à mettre en œuvre à l’avenir pour une consommation durable. Premier intervenant à s’exprimer lors de cet après-midi, Jacques Blarel, conseiller à la Chambre d’agriculture du Nord-Pas-de-Calais. Pour ce dernier, cela ne fait aucun doute : «Il va falloir s’adapter. Dans les années à venir, l’eau et sa gestion vont devenir un sujet majeur dans notre région. Nous ne sommes pas à l’abri de déficits hydriques…» Alarmiste ? Plutôt réaliste : «On est en train de passer d’une région connue pour ses excès à une région où l’on peut connaître nous aussi des pénuries à certaines périodes de l’année», constate en effet M. Blarel.
Anticiper plutôt que subir
En Nord-Pas-de-Calais, comme à l’échelle plus large des Hauts-de-France, la ressource en eau provient de deux sources : l’eau «de surface», et celle que l’on va chercher dans la nappe phréatique. L’une comme l’autre sont soumises à des concurrences d’usage, et font l’objet de prélèvements de plus en plus importants par… l’activité agricole quand la consommation des ménages (eau potable) et du secteur industriel tend à diminuer. «Depuis les années 1990, on constate que les prélèvements d’eau sont en augmentation à l’échelle du bassin Artois Picardie pour atteindre aujourd’hui 60 millions de m3. C’est moins que la consommation d’eau potable, mais on voit bien chaque année que la part d’eau utilisée par l’agriculture augmente et l’on s’attend à ce que cela progresse encore.» Les prélèvements d’eau pour l’activité agricole sont d’autant plus suivis que ceux-ci ont lieu – on parle de concentration – «sur une période de trois mois pendant laquelle le risque de sécheresse est potentiellement le plus élevé…», rapporte Jacques Blarel. Et d’insister : «Nous n’en sommes pas encore dans une situation comparable à la Beauce où il y a déjà des quotas d’eau par irrigant, mais il faut être prudent».
Anticiper plutôt que subir
Si chaque utilisateur d’eau n’a eu jusqu’à présent pas trop de soucis à se faire dans les Hauts-de-France, les choses pourraient être différentes dans un avenir proche. Première menace de nature à remettre en cause l’ordre établi : le nouveau Sdage de l’Agence de l’eau Artois Picardie, bien qu’il n’ait pas vocation à créer du droit. Alors que ce schéma était en consultation publique jusqu’à fin avant son adoption, puis sa mise en œuvre en 2022, il pourrait inciter les schémas d’aménagement et de gestion de l’eau (Sage) – lesquels sont élaborés par des Commissions locales de l’eau (CLE) – à fixer des volumes à prélever par usage, notamment dans les territoires où la ressource en eau est en tension. La conséquence cachée, c’est qu’il faudra partager alors que les besoins ne sont pas les mêmes. Et que de nouveaux besoins apparaissent : augmentation des surfaces de pommes de terre, «même si toutes ne sont pas irriguées» relativise Jacques Blarel ;
obligation d’irriguer inscrite dans certains cahiers des charges pour la production légumière ; coup de pouce à la levée lors de printemps secs… Une autre menace vient d’un volet strictement réglementaire : «Pour le moment, la réponse au manque d’eau se traduit par des arrêtés temporaires de sécheresse, indique M. Blarel. Mais on ne sait pas encore ce qui sortira des prochaines discussions, et notamment du Varenne de l’eau (lire en page 12).»
Des préalables au pilotage de l’irrigation
S’adapter au changement climatique et ses conséquences repose sur différents leviers que détaillent Jacques Blarel : connaître la ressource en eau disponible ; améliorer la recharge des nappes par les pratiques agronomiques ; être plus précis dans l’évaluation des besoins avec l’utilisation des bilans hydriques, de sondes, d’outils d’aide à la décision ; des matériels plus performants et plus précis ; limiter l’évaporation et les pertes ou encore créer des retenues d’eau (bassines). L’une des pistes de salut pourrait également venir de la recherche variétale avec des travaux portants sur la tolérance au stress hydrique. En résumé, «avant de vouloir faire du pilotage de l’irrigation, il faut connaître ses besoins, ses sols et les outils à mobiliser, indique Jérémy Bellanger. Quand on maîtrise tout cela, on peut passer à la vitesse supérieure. Si on opte tout de suite pour des solutions trop sophistiquées, on risque de passer à côté et de ne pas explorer tout ce que l’on peut faire». Car ce dernier en est convaincu : «C’est en mobilisant largement à différents niveaux, et pas seulement au niveau de l’agriculture, que l’on peut espérer une diminution des effets du changement climatique sur l’eau.»
Bertrand Vandoorne, enseignant-chercheur : «Poursuivre la recherche pour conseiller au mieux»
Des technologies prometteuses mais onéreuses
Autre matériel testé dans le cadre du projet Interreg Bio4Safe : la sonde capacitive. Il s’agit d’un outil mesurant la quantité d’eau liquide contenue dans le sol, à un endroit donné. Si son installation demande «précision et expertise», la sonde capacitive permet de réaliser des travaux comparatifs entre une plante témoin soumise à un stress hydrique et une plante irriguée… mais aussi de mettre en évidence des excès d’eau (!) là où on cherche à l’économiser. Enfin, dernier outil à avoir fait l’objet d’observations par les partenaires français du projet, le rôle de biostimulants : «Outre le levier technologique (les capteurs), on peut aussi activer le levier technique comme les biostimulants», souligne Bertrand Vandoorne. La conclusion ? «Même s’il ne s’agit que d’une tendance, et pas d’une statistique, l’utilisation de biostimulants permet d’améliorer le rendement», avance-t-il. Le lien avec la gestion de l’eau ? «Il n’est pas direct, concède l’enseignant-chercheur, mais quand on améliore le rendement, on améliore l’efficience de l’irrigation…» D’une manière générale, l’analyse de Bertrand Vandoorne vient conforter l’idée selon laquelle «l’agronomie est une priorité quand on s’intéresse à la gestion de l’eau» car «si les solutions technologiques sont prometteuses, elles sont chères…» Enfin, pour l’avenir, il recommande de «poursuivre les efforts de R&D (…) pour faire baisser les prix et avoir les outils pour être réactif quand on est dans une situation de restriction».