Porc : pourquoi le prix français accuse un retard structurel ?
Les éleveurs porcins accusent l’aval de ne pas leur répercuter la flambée des cours mondiaux provoquée par l’épizootie de PPA en Chine. Depuis quinze ans, les prix français sont en décalage avec les principaux producteurs européens.
«Esclavagisme moderne», «extorsion de fonds», «vol organisé». La FRSEA et les JA de Bretagne n’ont pas de mots assez durs pour dénoncer le décalage entre le prix du porc en France et chez les autres producteurs européens. Dans un communiqué du 2 mai, les deux organisations pointent «une perte de compétitivité de 15 ct/kg de carcasse par rapport à nos principaux concurrents». Alors, quels sont les faits ? D’après le MPB (Marché du porc breton), sur les quatre premiers mois de 2019, le prix de base français est bien inférieur aux niveaux observés en Allemagne (+ 23 ct) et aux Pays-Bas (+ 25 ct). Mais il reste au-dessus des prix espagnols (- 8 ct) et danois (- 5 ct). Ce qui, de fait, place plutôt l’Hexagone dans la moyenne des principaux pays producteurs.
Comment expliquer ces différences ? Pour les syndicalistes bretons, la plus-value resterait dans les poches des entreprises de l’aval, qui ne répercuteraient pas la valeur captée à l’export. La question est d’autant plus prégnante depuis quelques semaines, car l’épizootie de PPA en Chine, premier producteur et consommateur mondial, affole le marché global du porc.
De manière conjoncturelle, les industriels français profitent, en effet, de cet appel d’air, mais moins que leurs concurrents. Selon l’Ifip, les expéditions hexagonales vers l’Empire du milieu ont progressé de «seulement» 5,7 % en janvier et février 2019, contre le triple au moins pour l’Espagne, l’Allemagne et la Pologne. Et, sur le marché intérieur français, la demande n’est «pas à la hauteur des attentes», car «la saison des barbecues (...) tarde à démarrer», indique le MPB dans sa note hebdomadaire du 20 mai. Il faut ajouter à cela que la production française est annoncée en hausse depuis le début 2019.
Industriels français
Au contraire, les industriels allemands manquent cruellement de porcs, avec une baisse de production de 4 % depuis le début 2019 (soit 800 000 animaux). Un déficit dû aux «difficultés d’installation et de transmission des élevages», indique Boris Duflot, directeur du pôle économie de l’Ifip. «L’Allemagne n’appliquait pas aussi bien la réglementation que la France, par exemple sur la gestion des nitrates, explique l’expert de l’Institut du porc. Les contrôles se sont renforcés et les autorisations d’exploiter sont désormais plus difficiles à obtenir.» D’autres facteurs franco-français sont parfois évoqués pour expliquer l’écart avec nos voisins, comme la limitation des hausses au MPB. Cette règle n’interviendrait qu’à la marge.
L’Ifip pousse l’analyse plus loin : l’écart de prix constaté actuellement illustrerait des problématiques structurelles de la filière porcine française. En effet, d’après Boris Duflot, c’est depuis 2005 que le prix moyen perçu par les éleveurs français est en retrait, de 5 ct/kg environ par rapport à l’Allemagne ou l’Espagne. Il faut toutefois préciser que ce constat n’est pas partagé par l’économiste Robert Hoste, de l’université de Wageningen (Pays-Bas) «Le prix français semble plutôt en harmonie avec les autres cotations européennes, estime-t-il. On ne peut pas vraiment comparer les prix», notamment car les cotations n’intègrent pas les différents bonus (qualité, fin d’année, etc.). Une lecture contestée par l’Ifip, qui élabore avec le MPB des cotations intégrant, selon elle, tous ces éléments.
Si écart il existe, il «est structurel et lié à un équilibre offre-demande moins favorable» en France, explique Boris Duflot. Plusieurs raisons avancées. D’abord, la filière française, explique-t-il, est plus dépendante du marché intérieur, «les producteurs sont donc plus vulnérables face aux distributeurs. Au contraire, les Allemands et les Espagnols ont plus de capacité à faire jouer la concurrence avec les volumes exportés». Facteur aggravant pour la France : son marché intérieur est moins dynamique que celui de ses voisins.
Un déficit de compétitivité
Résultat : entre 2007 et 2017, la valeur des exportations allemandes a gagné 78 %, d’après l’Ifip. Celles de l’Espagne ont plus que doublé (159 %). En comparaison, avec une progression de 10 %, la France porcine fait pâle figure. La filière française «souffre d’un déficit de compétitivité qui engendre des entrées de produits européens sur le marché et une faible progression des parts de marché à l’export», pointe Boris Duflot.
Les autres handicaps français, selon l’Ifip ? Un coût de la main-d’œuvre supérieur et le «relatif éloignement des éleveurs français par rapport aux principaux bassins de consommation en Europe». Sans oublier des investissements «encore modestes dans les industries d’abattage et de transformation». Le plus grand abattoir français traite environ deux millions de porcs par an. De l’autre côté des Pyrénées, les abattoirs se concentrent à marche forcée. Juste un exemple : en Aragon (Espagne), l’Italien Pini lancera bientôt son deuxième abattoir d’une capacité de sept millions de porcs par an.
Handicaps français
Au rayon des handicaps dénoncés par la filière, on peut ajouter l’interprétation, outre-Rhin, de la directive européenne sur la TVA. Une pratique pointée le 17 avril par la Cour des comptes allemande (pour la deuxième fois). Cette «subvention déguisée» représenterait 15 000 e par exploitation, soit 50 millions d’euros pour la filière porcine, d’après les industriels du Collectif contre le dumping fiscal agricole en Europe.
Une observation réunit tous les observateurs : le prix français «est moins réactif à la hausse, comme à la baisse», résume Boris Duflot. A l’autre extrémité du spectre de la volatilité, les Espagnols «sont beaucoup plus dépendants des exportations vers le marché mondial», note ce spécialiste du porc. Avec une filière intégrée et des outils industriels permettant d’importantes économies d’échelle, «les Espagnols sont mieux équipés pour fournir le marché mondial», tranche Robert Hoste.
Mais ils doivent composer avec une plus grande variabilité saisonnière. Pour lui, le système français, «plus stable», est «principalement orienté vers le marché domestique, ce qui pourrait, à long terme, être très robuste». Une orientation stratégique difficilement compatible avec une volonté d’inonder les marchés à l’export.