Pourquoi la Russie peut devenir une superpuissance agricole
Pour l’ancien conseiller agricole près de l’Ambassade de France à Moscou, Jacques Hervé, les régions les plus septentrionales du pays verraient leurs rendements s’accroître et des terres, aujourd’hui en friches, deviendraient productives.
Qui peut se targuer de connaître l’agriculture de la Russie et de l’Ukraine aussi bien que Jean-Jacques Hervé ? Ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts, membre de l’Académie d’Agriculture de France, il fut durant sept ans conseiller agricole près de l’Ambassade de France en Russie et quatre ans conseiller du gouvernement ukrainien pour l’Agriculture et l’Alimentation. Ce fin connaisseur des pays de la Mer Noire était l’invité, le 3 décembre, de l’Association des amis de l’académie d’agriculture de France (4AF) pour parler des conséquences du changement climatique sur l’agriculture russe. Son analyse est sans appel : la Russie devrait profiter économiquement de l’augmentation prévue des températures. Déjà premier exportateur mondial de blé, le réchauffement climatique couplé au progrès technologique pourrait transformer le pays en superpuissance agricole. «C’est moins l’augmentation des surfaces permise par le réchauffement climatique qui devrait jouer, de l’ordre de 5 à 10 %, que l’amélioration substantielle des rendements, a-t-il expliqué. Dans certaines régions frontalières avec la Chine, la production de blé pourrait doubler grâce à l’irrigation et le supplément de température.»
Redressement de la production céréalière
La Russie est le plus vaste pays de la planète, avec près de 17 millions de km2. Doté de terres noires arables très fertiles, le pays exploite 220 millions d’ha, soit autant que l’Union européenne et l’Ukraine réunis. Après une forte baisse de la production agricole consécutive au démantèlement de l’ex-URSS en 1991, la production céréalière de la Russie s’est fortement redressée à partir du milieu des années 2000 suite à d’importants investissements productifs privés et à la réorganisation des exploitations. «C’est une agriculture de firmes, financiarisée, qui s’est mise en place», a indiqué Jean-Jacques Hervé.
En 2017, la Russie a moissonné 84 millions de tonnes (Mt) de blé tendre confirmant sa place de quatrième producteur mondial et s’imposant surtout comme le premier exportateur de la planète avec environ 35 Mt expédiées un peu partout dans le monde. Avec ce nouveau record, la Russie renouait ainsi avec le passé glorieux de l’ère soviétique durant laquelle le pays était «le grenier à grains de la planète».
Depuis 2014, la crise ukrainienne et l’annexion de la Crimée par les forces armées russes, à l’origine de l’embargo sur les importations européennes, ont renforcé cette ambition russe pour son agriculture. Le Kremlin a budgétisé plus de 50 milliards d’euros pour sa politique agricole, en soutenant la modernisation des matériels agricoles et le développement des nouvelles technologies. Le résultat a été spectaculaire : la production de blé a doublé en seulement cinq ans. Et c’est loin d’être fini. «Au regard du potentiel permis par le réchauffement climatique et de l’ambition portée par les autorités moscovites, il semble acquis que la Russie pourra produire dans un horizon proche, autour de 120 Mt de blé», a précisé Jean-Jacques Hervé. Et d’ajouter : «La consommation domestique devrait rester relativement stable, c’est le secteur export qui absorbera ces suppléments de production.»