Quand les céréales prennent la mer
La 27e Journée Céréales organisée par le port de Rouen a réuni les principaux acteurs de la filière sur les quais de la capitale haut-normande.
Rouen est depuis plus de trente ans le premier port d’exportation de céréales (à 90 blé tendre et orge, mais aussi blé dur, pois, féveroles, maïs) en Europe occidentale. Durant la campagne 2012-2013, 6,63 millions de tonnes ont transité par ses terminaux, en progression de 8 par rapport à la campagne précédente.
Le port céréalier rouennais s’est renforcé en 2013 par notamment la création, par Interface Céréales et Axéréal, de Granit Céréales, de commercialisation de grains via HAROPA-Port de Rouen, opérationnelle en ce printemps 2014.
Rouen et son agglomération comptent, en bord de Seine, quatre opérateurs recevant le grain, le stockant, le préparant pour chargement : Lecureur, Sénalia (voir Focus), Simarex, Soufflet. Autre opérateur : Pastacorp qui importe du blé dur.
Les exportations sont à ce point importantes pour la filière que les nombreux impératifs mondiaux doivent être pris en considération. Philippe Chalmin, professeur à l’Université Paris Dauphine et président de Cyclope, rappelle que les grandes sources de tensions climatiques, géopolitiques, économiques et climatiques sont des éléments qui ont de sérieuses incidences sur l’ensemble des marchés des matières premières.
«Un nouveau El Nino aurait des conséquences pour les céréales, notamment en Australie. Quant aux soubresauts géopolitiques qui touchent l’Ukraine, ils posent la question du transport des céréales russes à l’exportation sur le territoire ukrainien en cas de fermeture des frontières. La Chine est aussi à surveiller car elle est devenue une grande importatrice de céréales, mais des incertitudes pèsent sur la poursuite de sa croissance à un taux élevé» résume-t-il.
L’eau, un enjeu stratégique
L’eau est bien évidemment un enjeu stratégique pour la filière agricole et pour la sécurité alimentaire mondiale. «L’eau douce n’apparaît pas comme une matière première, mais nous allons devoir de plus en plus prendre en compte son prix, surtout en raison du réchauffement climatique qui va la rendre de plus en plus rare. La grande majorité des acteurs économiques pensent que l’eau n’est pas chère, comme si l’eau douce était quasiment gratuite, mais c’est une illusion, de même que nous payons déjà l’air, nous payons aussi l’eau.
L’économie de l’eau douce est en train de se mettre en place et va pousser tous les acteurs à tenir compte dans leurs calculs la rareté de l’eau, le prix de son accès et de son transport. Il faut dès maintenant anticiper ces changements de calculs économiques car les conséquences peuvent être majeures» explique Hervé Juvin président d’Eurogroupe Institute.
Selon lui, la géographie de l’eau salée et de l’eau douce va être à refaire principalement en raison du dérèglement climatique. Certaines zones aujourd’hui excédentaires pourraient devenir déficitaires et par là même, la notion de stocks et d’autonomie pourrait être remise en cause.
Très gros bateaux
Autre élément d’importance pour les cultures : la fertilisation. «Une année sur deux, la production de céréales est inférieure à la consommation de céréales au niveau mondial et comme les stocks ne sont environ que de deux mois, ce qui est très peu, il faut poursuivre l’augmentation de la production de céréales et donc l’utilisation de fertilisants s’avère nécessaire» constate Gilles Poidevin, délégué général de l’Union des Industries de la Fertilisation.
Tout en sachant, par exemple, que les plus grandes réserves de phosphate au monde sont concentrées dans un seul pays, le Maroc, ce qui pose le problème de l’approvisionnement en cas de troubles politiques.
Tout comme pour les céréales, l’acheminement des fertilisants s’effectue soit par la route et les fleuves (ce mode de transport étant en augmentation), puis par la mer.
Les voies maritimes sont amenées, elles aussi, à être modifiées en raison du réchauffement climatique. «On peut imaginer une ouverture à la navigabilité des routes arctiques qui redistribuerait un espace géopolitique et qui réduirait les distances de parcours. Ainsi, 15 du commerce maritime avec la Chine pourraient transiter par le Nord en 2020» expliquent Yann Alix, délégué général de la fondation Sefacil et Jean-François Pelletier, consultant senior CPCS, Ottawa-Canada.
Pour autant les très grands navires n’emprunteront pas les eaux arctiques. Ils pourront néanmoins bientôt venir jusqu’à Rouen grâce aux travaux en cours. A l’heure actuelle, le tirant d’eau limite à 45 000 t les chargements, mais le programme d’amélioration des accès maritimes qui s’achèvera en 2017-2018 permettra de gagner un mètre de tirant d’eau et de charger les Panamax jusqu’à 54 000 t.
ZOOM
Sénalia, un des principaux acteurs du port de Rouen
La société coopérative agricole Sénalia est le premier prestataire européen dans l’exportation de céréales. Elle dispose de deux sites en Haute-Normandie, l’un basé à Grand-Couronne (76) et l’autre au port de Rouen, sur la presqu’île Elie. Ses silos ont une capacité totale de stockage de 500 000 tonnes. «Sénalia n’est pas propriétaire de la marchandise, elle ne fait pas de négoce. Elle est simplement prestataire de service» rappelle Antoine Harmel, son directeur administratif et financier. Ses silos sont approvisionnés par trains (10 %), péniches (15 %) et par camions (75 %). Quand les produits arrivent, ils sont tous pesés, échantillonnés et analysés avant d’être déchargés. Toutes ces opérations ne prennent que 20 minutes pour un camion et de 3 à 6 heures pour une péniche en fonction de sa taille. La Normandie et la Picardie pèsent plus de 61 % des apports de céréales. Vient ensuite la région Centre qui a progressé de près de 30 % et représente 20 % du volume. Avec près de 3,3 millions de tonnes exportées lors de la campagne 2012/2013, Sénalia détient 50 % des parts de marché du port de Rouen, premier port européen d’exportation de blé.
La grande majorité des tonnages (87 %) part à l’extérieur de l’Europe (notamment en Algérie et au Maroc, mais aussi en Egypte et à Cuba). Le groupe Sénalia a choisi de se diversifier en créant des activités cacao, trituration, sucre, bioéthanol et engrais. Ces dernières représentent 50 % des quantités totales transitées. Il réalise un chiffre d’affaires global de 32 millions d’euros. Les capacités de stockage de produits agricoles sont de 1,3 million de tonnes dont 900 000 tonnes destinées à l’exportation des céréales.