Reconfinement : les circuits courts auront-ils autant de succès ?
Au printemps, les citoyens confinés s’étaient rués vers les petits commerces et les exploitations qui vendent en direct. Les circuits courts de la Somme connaîtront-ils le même engouement cette fois-ci ?
Des files d’attente jamais vues au magasin à la ferme. Des étals de marchés locaux dévalisés. Des listes d’attente pour les caissettes de viande vendues en direct… Comme une bonne partie des Français, lors du premier confinement, au printemps, les Samariens découvraient que des exploitations agricoles produisaient tout ce dont ils avaient besoin à moins d’1 km de chez eux, et se ruaient dessus. «Les gens faisaient la queue pour acheter mes œufs tous les samedis matins au poulailler, se souvient Sophie Polin, éleveuse de poules pondeuses bio à Voyennes. Lorsque l’activité a repris, nous avons simplement gardé nos clients fidèles.» Lors du premier week-end confiné, les locaux ne se sont pas à nouveau jetés sur ses œufs. «Il faut dire que beaucoup ont acheté des poules pour mettre dans leur jardin. Mais les choses bougeront peut-être dans les prochains jours !»
Jean-Mary Madoux, éleveur de vaches allaitantes à Riencourt, vend six à sept vaches en direct chaque année depuis six ans. Lui aussi avait constaté plus de commandes lors du premier confinement et s’attend à quelques demandes supplémentaires cette fois-ci, mais «rien d’ingérable». L’éleveur sait qu’il faut s’adapter pour satisfaire tout le monde. «En cochant la case “déplacements pour effectuer des achats de première nécessité“, les gens peuvent venir chercher leur colis. Mais pour ceux qui ne veulent pas se déplacer et qui habitent à proximité, je peux livrer.»
Pour l’instant, les drive fermiers mis en place par la Chambre d’agriculture de la Somme au printemps ne sont pas non plus pris d’assaut. Les points de retrait d’Amiens et d’Abbeville, tenus tous les vendredis, tiennent une cadence respective de quarante et quinze commandes hebdomadaires en moyenne. «On est loin des deux-cent-cinquante commandes enregistrées à Amiens le 10 avril, note Alexandre Barbert, de la chambre d’agriculture. Mais le contexte n’est pas le même. Aucun marché n’est fermé et la restauration scolaire continue de fonctionner. Seuls les restaurants sont fermés. Les producteurs qui vendent en circuit court ont conservé la plupart de leurs débouchés.»
Les produits non alimentaires souffrent
Pour les produits non alimentaires, en revanche, le coup est plus dur. Carole Rouvillain, horticultrice à Vignacourt, redouble d’imagination pour vendre ses plantes. «Novembre est le mois où les gens changent leurs jardinières. Mais l’attestation ne permet pas de se déplacer pour s’approvisionner en plantes.» Le drive fermier est donc d’un grand secours pour son activité. «Je pense aussi à mettre en place un système de commande sur ma page Facebook, avec une livraison au marché de Dury que je fais habituellement.»
Christophe Lebrun, à la tête de l’Asinerie du Marquenterre, à Quend, n’a, lui, pas trouvé de solution pour écouler les savons au lait d’ânesse qu’il transforme. «C’est une activité en pleine expansion, avec 20 à 25 000 savons produits par an désormais. Mais tous nos points de vente ont dû fermer : parc ornithologique, site du Marquenterre…» L’accueil des familles à l’asinerie a aussi été stoppée. «D’habitude, nous fermons au 15 septembre, mais nous avons décidé de prolonger l’activité jusque la Toussaint pour compenser la fermeture du printemps. Nous avons dû renoncer aux trois derniers jours d’ouverture.» La très bonne saison estivale a néanmoins permis d’équilibrer les comptes, grâce à la forte attractivité du tourisme en Baie de Somme cette année.
Pour Anne Catteau, responsable du réseau Bienvenue à la ferme Somme, l’impact économique sera néanmoins important pour bon nombre des adhérents. «Beaucoup de fermes pédagogiques et de découverte n’avaient pas repris leur activité, car les protocoles sanitaires sont trop lourds à mettre en place et à faire respecter. En pleine action “l’automne à la ferme“, ce reconfinement annule encore des visites, la petite restauration, l’organisation de goûters…» Il n’y a plus qu’à espérer que les activités prévues dans le cadre de «Noël à la ferme», qui doit débuter le 1er décembre, puissent avoir lieu.
Le consommateur a muté
Entre deux confinements, le consommateur aurait muté. C’est ce qu’affirme l’Institut IRI, spécialisé dans l’analyse de données liées à la consommation. «Ce qui a changé entre les deux épisodes, c’est la sensibilité aux prix», affirme Frédéric Nicolas, expert de l’IRI. Après le confinement du printemps, le nombre des Français se fixant pour priorité pendant les courses de «maîtriser leurs dépenses» a grimpé en flèche, la proportion passant de 26 % à 40 %, au détriment des achats de produits de qualité et des produits «plaisir». «Depuis la mi-mai, 50 % achètent plus en promo, 38 % préparent leur course avec une liste et 35 % ont arrêté de consommer certaines catégories», relève-t-il. Seule une grosse minorité des acheteurs assurent être plus attentifs qu’avant à l’origine géographique (31 %) ou encore à la composition ou aux ingrédients (25 %) des produits. «Un comportement lié à des difficultés économiques bien réelles, mais aussi à un changement de relation à la consommation lié à l’anticipation de la crise économique.»