Réduction des phytos : des progrès à faire en région
Allongement des rotations, semis retardés, ou non travail du sol sont des leviers utilisés en région pour réduire l’utilisation
des phyto, mais d’après un rapport Agreste, des marges de progrès subsistent.
Un petit pas pour les agriculteurs, mais il reste un grand pas à franchir pour parler réellement d’agro-écologie. C’est le bilan que tire Agreste Hauts-de-France, l’outil de la statistique et de la prospective du ministère de l’Agriculture, dans une étude publiée fin septembre sur les pratiques en grandes cultures. «Certaines pratiques agro-écologiques progressent, mais lentement par rapport aux campagnes passées», est-il résumé. Le constat : en Hauts-de-France, 99 % des exploitants utilisent les produits phyto pour protéger leurs grandes cultures. «Mais 94 % d’entre eux déclarent avoir recours à des techniques visant à réduire l’utilisation de ces produits.»
Des rotations encore courtes
Le premier levier agronomique est l’allongement des rotations et l’alternance de cultures d’hiver et de printemps, pour ralentir la répartition de certains ravageurs, maladies et adventices. Seul 1 % de la sole en grande culture connaît encore successivement la même espèce sur six années de campagne, de 2011 à 2017. Un peu moins de 20 % de la sole en grandes cultures est biennale avec alternance de deux cultures. Sur 49 % de la sole se succèdent trois cultures, sur 19 % se succèdent quatre culture et sur 1 % se succèdent cinq cultures. «Dans la région, le cycle de rotation des cultures est donc court sur 68 % de la surface en grandes cultures 2017.»
Une rotation équilibrée introduit également dans le cycle une culture sarclée qui peut être binée, et une légumineuse qui enrichit le sol par fixation de l’azote atmosphérique. Les principales plantes sarclées sont la betterave, la pomme de terre et certains légumes. «Les Hauts-de-France sont riches de ces cultures : sur 58 % de la sole 2017, la culture principale a pour précédent une plante sarclée dans les cinq années.» Mais les légumineuses sont présentes dans la rotation pour à peine un cinquième de la sole (17 %). Selon Agreste, «le principal frein est la diminution de l’élevage dans la région».
L’alternance de cultures de printemps et d’hiver, elle, perturbe le cycle des adventices à développement automnal ou printanier. Sur les trois dernières années étudiées, 49 % des surfaces connaissent successivement des semis d’automne et 1 % de la sole des semis de printemps consécutifs. Sur les 50 % restant, il y alternance de semis d’automne et printemps. Agreste ajoute que la spécialisation des cultures favorise également l’apparition des résistances. : «les Hauts-de-France sont spécialisés : plus de la moitié de la sole (59 %) est semée en céréales à paille (blé et orge) sur la campagne 2016-2017.»
Travail du sol ou non
Deuxième levier : le désherbage mécanique. Sur ce point, la sole en grandes cultures des Hauts-de-France est travaillée mécaniquement en moyenne trois fois : deux fois avant ou pendant le semis et une fois après le semis. Mais seules 5 % des surfaces sont désherbées mécaniquement avec des outils prévus pour cet usage : herse étrille, bineuse, sarcleuse, houe rotative ou encore outil de combinaison mécanique-chimique comme la désherbineuse. «Le faible recours à ces outils s’explique par les conditions climatiques d’automne et de printemps, avec des précipitations parfois importantes, qui ne se prêtent pas toujours à des interventions mécaniques.» Cependant, les surfaces travaillées avec au moins un passage de herse étrille, de houe rotative ou encore de désherbineuse gagnent du terrain, surtout pour la destruction des couverts végétaux en interculture et pour l’élimination des fanes de pommes de terre. En région, la bineuse est l’outil mécanique le plus utilisé, plutôt pour les cultures avec un fort écartement des rangs (betterave, pommes de terre, maïs).
Les exploitants agricoles des Hauts-de-France ont moins recours au labour : «lors de la campagne 2016-2017, 56 % des surfaces ont fait l’objet d’un retournement contre 72 % des surfaces en 2014.» Or, le labour permet une structuration mécanique de la superficie du sol pour l’implantation des cultures et de lutter contre les adventices, mais il expose les terres à l’érosion, à la compaction, perturbe la vie biologique du sol, et libère du CO2… Les terres à betterave, pomme de terre et maïs, qui demandent une terre meuble pour une bonne implantation, restent les plus labourées. Mais malgré une augmentation de la surface de ces trois cultures, le labour est en diminution. Cette diminution s’accompagne d’une augmentation de l’utilisation d’herbicide : 1,8 IFT herbicide lorsque la terre est labourée chaque année, contre 2,3 pour les surfaces non labourées. Mais le non travail du sol, plébiscité en agriculture de conservation, est généralement plus favorable au regard de l’utilisation d’autres pesticides : 4,4 IFT total contre 5,1 grâce, entre autre, à une réduction des traitements fongicides.
Équipement de pointe
11 % des exploitants agricoles régionaux optimisent l’usage des produits phyto en ayant recours aux outils d’aide à la décision (OAD). Ils sont plus utilisés pour la pomme de terre (un peu moins d’un tiers des surfaces) et l’IFT total moyen est alors légèrement plus faible (16,4 avec OAD contre 16,7 sans OAD). Les pulvérisateurs rampes, eux, sont équipés à 96 % de coupures de tronçons, qui permettent de réduire l’utilisation des phyto en limitant les zones de recouvrement. Ceux-ci sont plus souvent équipés de coupures de tronçons GPS (37 % contre 23 % sur le territoire métropolitain). Les pulvérisateurs des Hauts-de-France sont, en revanche, moins bien équipés de buses antidérive : 77 % des pulvérisateurs en possèdent contre 86 % sur l’ensemble du territoire.
Dates de semis peu décalées
Le décalage des dates de semis, surtout utilisé pour le blé, est également un levier, car un semis au-delà de la mi-octobre permet de limiter la levée des graminées automnales. L’efficacité de cette technique est d’autant plus importante qu’elle est couplée à un (ou des) faux-semis. Mais les réticences à semer tardivement sont doubles : risque de diminution du potentiel de rendement et conditions d’implantation plus difficiles. Les céréales à paille des Hauts-de-France sont semées moins tardivement en 2016 qu’en 2013 malgré des conditions d’implantation similaires : 44 % des surfaces en blé tendre et orge d’hiver sont semées après le 15 octobre 2016 contre 52 % après le 15 octobre 2013. Dans la région, l’IFT herbicide du blé tendre semé après le 15 octobre 2016 est de 1,7 contre 2,1 pour le blé tendre semé avant cette date.
Semer un mélange de plusieurs variétés est un autre levier qui permet de limiter la progression des maladies. Le but est d’associer des variétés sensibles à des variétés résistantes. Cette technique est moins pratiquée en 2017 : 17 % des surfaces sont semées avec plusieurs variétés 2017 contre 29 % en 2011. Les mélanges sont présents sur 11 % des surfaces en blé tendre et sur 5 % des surfaces en orge en 2017. C’était respectivement 19 % et 8 % en 2011.
Favoriser les auxiliaires
La lutte biologique passe aussi par l’aménagement d’habitats pour les auxiliaires. La haie, par exemple, présente d’autres atouts, comme le maintien de la structure des sols, la fertilisation, la régulation de l’eau… Le résultat est mesuré : les parcelles avec haie ont un IFT total moyen inférieur de 0,3 point dans les Hauts-de-France. La région est cependant déficitaire en haies : «celles-ci sont présentes sur seulement 27 % des surfaces en grandes cultures». La présence d’auxiliaires peut également être favorisée par les techniques de culture. C’est le principe des méthodes de protection dites de «biocontrôle» qui reposent sur la gestion des équilibres des populations d’agresseurs plutôt que sur leur éradication. 7 % des exploitants de la région utilisent ces traitements naturels contre 4 % sur le territoire métropolitain. Cette lutte biologique se pratique plutôt sur le colza, le maïs et le blé : Bacillus subtilis pour lutter contre le sclérotinia du colza, Trichogrammes contre la pyrale du maïs et la laminarine comme antifongique du blé.
La force du collectif
La transition agro-écologique individuelle peut être amorcée par l’adhésion à un collectif d’agriculteurs. «Faire partie d’un groupe permet de partager les expériences, d’appréhender la combinaison écologie et performance économique mais aussi sociale, de mettre en place des mutualisations et de se sentir moins seul», note Agreste dans son étude.
Dans les Hauts-de-France, environ 800 exploitations (3 %) sont engagées en 2019 dans un col-lectif d’agriculteurs en transition agro-écologique, reconnu par l’état : 21 GIEE, 10 groupes Dephy Ferme, 15 groupes 30 000, 29 collectifs en émergence. L’adhésion à certains cahiers des charges implique également un moindre recours aux produits phyto. En 2018, 2 500 exploitations (10 %) sont engagées dans une MAE ou Maec ou encore un cahier des charges comprenant la réduction des produits phyto. 1 000 exploitations des Hauts-de-France (4 %) cultivent 38 000 hectares (dont 10 900 en grandes cultures) en respectant un des cahiers des charges de l’agriculture biologique ou en conversion. La dynamique est en hausse ces dernières années : 14 % d’exploitations biologiques ou en conversion en plus en 2018 par rapport à 2017.