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Sacrés grains : l’histoire des céréales

Depuis la nuit des temps, les céréales occupent une place prépondérante au sein des différentes ethnies qui peuplent le monde. Passions céréales a choisi de nous montrer leur symbolique par-delà les continents au musée du quai Branly-Jacques Chirac, à Paris.

C’est parce qu’elles sont des éléments essentiels à la survie des populations que les céréales ont parfois transcendé leur caractère purement nutritif pour devenir des supports majeurs d’identification dans le quotidien des civilisations, allant parfois jusqu’au lien avec le divin. Les grains céréaliers sont la base de l’alimentation de nombreux peuples, mais ils sont aussi associés à travers le monde aux échanges monétaires, en vertu du labeur que leur production représente, mais aussi de leur caractère essentiel dans l’alimentation humaine. Ces grains précieux comptent aussi pour leurs valeurs thérapeutique et ornementale.
Le maïs est abondamment cultivé en Amérique centrale où il comporte une dimension sacrée, constituant un lien entre les hommes et les dieux. Il est au cœur de la cosmogonie, c’est-à-dire la représentation que se font les populations de la création et de l’organisation de l’univers. C’est le cas chez les Mayas ; le mot «maya» signifierait d’ailleurs «maïs». «Les Mayas s’identifiaient comme des «hommes de maïs» et étaient à ce point persuadés du rôle primordial de cette céréale dans leur quotidien qu’ils pratiquaient, à l’aide de planchette de compression, la déformation crânienne des jeunes enfants, par parallélisme avec la forme d’un épi de maïs», explique Caroline Polle, guide-conférencière et ethnologue. Les Aztèques, qui ont succédé politiquement aux Mayas, ont divinisé le maïs sous les traits de Chicomecoatl, déesse de la subsistance et de la végétation et, en particulier, du maïs, et par extension déesse de la fécondité. Des sacrifices étaient associés au culte visant à nourrir la déesse. En Amérique du Sud, le maïs tient une place prépondérante : la chicha, boisson préparée à base de maïs fermenté, était consommée par les prêtres chamanes dans le cadre de leurs activités spirituelles.
En Arizona et au Nouveau-Mexique, chez les Hopis, des danseurs masqués sortaient aux différentes étapes clés du cycle agraire. Ils représentaient les esprits katchina de la pluie, du ciel, des plantes, des animaux, esprits farceurs ou bienfaisants, qu’ils priaient pour garantir de bonnes récoltes. Des poupées miniatures de ces danseurs étaient offertes aux enfants et leur servaient de moyen d’éducation sociale et religieuse. Dans cet objectif d’éducation des plus jeunes, les rituels d’initiation, souvent liés au calendrier agraire, avaient pour but de transmettre les valeurs fondamentales d’une société. En Côte d’Ivoire et au Cameroun, chez les Dans, les initiations des jeunes gens, les deuils, plantations, semailles et récoltes donnaient lieu à de grandes fêtes pendant lesquelles étaient servis de grands repas collectifs préparés par les femmes. Ces dernières, en reconnaissance de leurs qualités de cuisinières et d’organisatrices de banquets, recevaient parfois une wakemia, une cuillère à riz anthropomorphe. Ces objets-trophées très convoités créaient une vraie compétition entre les associations féminines.

Les céréales, monnaie de paiement
En Afrique subsaharienne, il existe un lien symbolique fort entre rituels agraires, étapes de vie et rites de passage. Ce lien est rendu visible et accessible aux enfants avec des poupées du Cameroun et du Sénégal faites à partir d’épis de maïs décorés de pierres en verre et joliment ouvragés, afin d’enseigner aux petits la valeur des céréales. Autre exemple en Guinée, avec le masque d’épaule Nimba, objet monumental qui était sorti spécialement à la fin de la saison des pluies pour présider les rituels ouvrant la période de récolte du riz.
En Asie, la culture des céréales et le cycle de la vie humaine sont aussi très liés, comme le montre un tambour de bronze de Java datant de 2 000 ans qui était destiné à appeler la pluie et arroser les plants de riz. Ce type de tambour est encore utilisé de nos jours, notamment au Vietnam. «De la même façon, en Thaïlande, perdure la tradition des masques de génie du sol apparaissant sous des figures effrayantes, car ils sont censés protéger les racines dans les rizières», précise Caroline Polle.
Les céréales ont aussi parfois tant de valeur intrinsèque qu’elles servent de monnaie d’échange. Un soin tout particulier est alors apporté à leur protection. Au Mali, les Dogons stockent les céréales (mil, sorgho, fonio, riz et maïs) dans des greniers protégés par des serrures en bois. Outre une fonction mécanique toute relative, ces serrures ont un rôle apotropaïque, assuré par la présence sculptée de deux Nommo, couple primordial de la cosmogonie Dogon, symbole de protection et de fertilité. Par la force magique qui leur est associée, les greniers deviennent ainsi inviolables.
Dans le Japon ancien, le riz, extrêmement valorisé, surtout pour les variétés les plus rares, servait de monnaie de paiement. Les paysans le cultivait pour payer l’impôt et se nourrissaient de millet et d’orge. Le riz était stocké dans des greniers au sein des villes où les maisons étaient construites en bois. En cas d’incendie, pour éviter que le feu ne se propage à ces greniers, les pompiers-samouraïs avaient ordre de détruire tous les édifices en proie aux flammes. Ces derniers étaient rémunérés en riz de la plus belle qualité.

La larme de job, céréale thérapeutique et ornementale

En Océanie, l’alimentation est basée sur la culture des tubercules : ignames, tarot, patates douces. Les céréales ne sont pas consommées dans l’alimentation, mais servent à soigner et à orner les objets les plus sacrés. La larme de job (Coix lacryma jobi), aussi appelée «l’herbe à chapelets», est une espèce de la famille des poacées (graminées) des lieux humides originaires d’Asie du Sud-Est. Ses graines sont utilisées de façon thérapeutique pour leurs propriétés diurétiques et analgésiques, toniques et anticholestérol. Elles soignent, en particulier, les intoxications alimentaires, les troubles urinaires et les maux de dents.
Ces graines sont aussi utilisées à des fins ornementales pour leurs qualités esthétiques. Très fréquentes en Océanie, on les retrouve sur des objets de très grand prestige, comme les crânes d’ancêtres et les ornements de poitrine de chasseurs de têtes chez les Asmats de Papouasie-Nouvelle-Guinée, qui pratiquaient le culte des ancêtres. Les crânes des ancêtres, dont on souhaitait conserver les souvenirs et la protection, ou les crânes d’ennemis dont on voulait s’approprier la puissance, érigés au rang de trophées, étaient exhumés plusieurs années après le décès et ornés, entre autres, de graines de larme de job. Ils devenaient ainsi des reliques conservées et exposées dans les maisons. L’ornementation était réalisée par un expert rituel, médiateur entre le monde des défunts et le monde des vivants. Les Asmats pouvaient porter le crâne d’un ancêtre particulier autour du cou lors de raids guerriers, puisant dans la présence du disparu, proche ou ennemi, le courage de se battre. Ils pouvaient aussi parfois servir d’appuie-tête. Le vivant, pendant son sommeil, puisait ainsi la force de son ancêtre. Un jeune garçon recevait son nom d’adulte à l’issue d’un raid de chasse aux têtes en étant mis au contact des reliques.

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