Série diversification 2/8 :de l’industrie aux légumes bio
Chaque semaine, nous rencontrons un agriculteur qui fait le pari de la diversification. Anthony Sénéchal réalise sa première saison de légumes bio aux Jardins de Fouquescourt.
Tout est parti d’un ras-le-bol. Ras-le-bol des horaires en trois huit, ras-le-bol de ne pas voir le jour, enfermé dans l’usine, ras-le-bol des ordres d’une hiérarchie peu scrupuleuse des valeurs humaines… Alors, à quarante ans, il y a deux ans, Anthony Sénéchal a changé de vie. L’imprimeur dans l’industrie s’est reconverti en pépiniériste, dans son village de Fouquescourt, près de Roye. Et, tout récemment, en maraîcher bio. Il doit d’ailleurs planter ses premiers légumes en pleine terre cette semaine.
«Depuis que je suis agriculteur, je ne suis plus le même homme, assure-t-il. J’ai connu une période si difficile que j’étais devenu con. Désormais, je suis heureux.» Ce qu’il a perdu en salaire, Anthony l’a gagné en qualité de vie : travail au grand air, autonomie, relever des challenges qui lui tiennent à cœur. Car son entreprise, la Pépinière Paradis tropical, n’est autre que le fruit de sa passion : les plantes exotiques rustiques, qu’il a soigneusement sélectionnées pendant plus de vingt ans, pour leur qualité d’acclimatation au climat frais samarien.
Mais cette saison, les palmiers, bananiers, yuccas et agaves se font voler la vedette par les carottes, laitues, betteraves rouges, pommes de terre, tomates… La Pépinière Paradis tropical devient désormais les Jardins de Fouquescourt, «un nom plus global, à l’image de tout ce que je vais produire ici».
En plus de la parcelle de 1 800 m2, qui lui avait été prêtée par la commune en échange du fleurissement de la ville, David a eu l’opportunité d’acquérir la prairie voisine de 5 500 m2. Une terre de limon profond, parfaite pour les légumes, sans culture depuis des années, qu’Ecocert a certifié bio en début d’année.
Un nouveau métier encore, qu’Anthony aborde comme un challenge de plus : «Je ne veux pas vivre avec des regrets. Et puis je fais pousser des plantes tropicales dans la Somme depuis des années. Ce n’est tout de même pas un radis qui va me résister (rires) !»
«Je fais pousser des plantes tropicales dans la Somme,
ce n’est tout de même pas un radis qui va me résister !»
Si l’homme a toujours eu la main verte, il est conscient de ses lacunes pour produire à l’échelle professionnelle. La gestion des maladies et des adventices sera le plus grand défi à relever. «Mais je suis bien entouré, par Bio en Hauts-de-France pour le volet technique, et par la Chambre d’agriculture de la Somme pour le volet administratif. J’ai aussi des amis agriculteurs, à qui je n’hésite pas à demander conseil. Et puis je vais apprendre de mes erreurs.»
Pour mettre toutes les chances de son côté, le maraîcher s’est fixé un calendrier précis. Au mur de l’atelier, dans lequel il fait lui-même ses plants de légumes, le planning des plantations, dans chacun des cinq blocs déjà tracés dans la parcelle (pour une rotation en cinq ans), est clairement défini. «Même si je sais qu’il va falloir adapter en fonction de la météo, j’essaie de m’y tenir.»
Le circuit court : dimension humaine
La terre, elle, est déjà préparée : un labour de printemps, puis deux passages à la herse rotative et la création de planches, pour travailler sur les buttes. Reste encore quelques aménagements à peaufiner, comme la construction de la serre de 220 m2, du système d’irrigation, et l’adaptation d’une bétonnière en système de lavage des légumes.
Dès juin, Anthony espère pouvoir livrer ses clients (via la plateforme Somme produits locaux, les collectivités, le Carrefour Market de Chaulnes,) et accueillir sur place les mercredis et vendredis, de 14h à 19h. «Je voulais absolument travailler en circuit court, car la demande est très forte». Ses plantes étaient déjà commercialisées dans cet esprit. Et, depuis, le timide a découvert que le contact lui plaisait. «Expliquer ce que je fais et conseiller est devenu naturel. Parfois, je me dis même que j’ai passé une matinée à discuter au lieu de travailler ! Mais cette dimension humaine fait partie du métier.»
L’économie du projet
23 000 €, c’est le budget qu’Anthony Sénéchal a dû débloquer pour financer son projet de maraîchage bio. La pépinière avait été entièrement autofinancée mais, cette fois, un emprunt à la banque a été nécessaire pour l’achat de la parcelle et l’achat du matériel (raccordement au réseau d’eau, système d’irrigation, serre).
Si le montant ne paraît pas élevé - la chambre d’agriculture lui avait donné une estimation de 60 000 € - c’est que le nouveau maraîcher est le roi de la débrouille : «Je fabrique beaucoup d’outils moi-même et un ami agriculteur me prête un tracteur.» Pour réduire ses coûts, Anthony fait aussi lui-même ses plants. «Je l’ai toujours pratiqué avec mes plantes. Il me suffit d’acheter le terreau et les graines bio.»
Trouver le juste prix
Combien les clients achèteront-ils les légumes aux Jardins de Fouquescourt ? Une question épineuse pour le nouveau professionnel. Car fixer les prix est aussi une nouvelle compétence à acquérir : ne pas être trop cher pour attirer les clients, sans descendre sous un certain seuil pour ne pas tuer le marché et pour se dégager une marge suffisante pour vivre. Bref, trouver un juste milieu. «Pour cela, je regarde régulièrement les prix qui se pratiquent chez les voisins, sur Internet et dans les supermarchés. Ils varient beaucoup selon la saison. Alors, il faut se tenir au courant.»
Il table sur un chiffre d’affaires de 18 000 € pour les légumes et de 9 000 € pour les plantes, pour cette première année. Il espère développer cela chaque année, pour atteindre 22 à 24 000 € de chiffre d’affaires pour les légumes. «Je vais simplifier mon système pour les plantes, avec de l’achat et de la revente, pour pouvoir me consacrer essentiellement au maraîchage les premières années. Mais, ensuite, je compte bien développer aussi cette activité.»
Une chambre froide pour le stockage
Une chambre froide, pour y conserver ses légumes, serait un réel atout. 5 300 € seraient alors nécessaires. Anthony avait d’ailleurs mis en place une cagnotte en ligne sur la plateforme de financement participatif Miimosa, pour espérer regrouper l’argent nécessaire. Mais, avec 1 000 € de dons, impossible de concrétiser le projet. «Il faut au moins 60 % du montant fixé pour toucher la cagnotte. Les donateurs vont donc être remboursés.» La chambre froide, elle, reste dans l’esprit d’Anthony : «Je relancerai une cagnotte lorsque ma clientèle sera plus étoffée… Ou j’en construirai une moi-même !»