Entretien
Stéphane Le Foll : «il faut créer des modèles nouveaux»
Après l’urgence, le fond : le ministre de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt esquisse une politique plus structurée sur le secteur.
À quand l’expression d’une politique agricole plus globale ?
Il y a eu en effet des urgences, entre le dossier Cruiser et celui de Doux par exemple. Quel est le calendrier que j’ai en tête ? C’est d’abord la négociation de la réforme de la Pac. Aujourd’hui, au Parlement européen il y a quatre rapports législatifs, 6 000 amendements, c’est dire à quel point la question est discutée. Sur le plan national maintenant, il va y avoir un travail de fond pour déboucher, l’année prochaine je l’espère, sur une loi cadre pour l’agriculture, l’agroalimentaire et la forêt. Voilà l’agenda. Il faut d’abord qu’on ait le périmètre européen pour avoir un cadre national ensuite. Je procède à l’envers de ce qui a été fait jusqu’ici. Je ne fais pas une loi avant de savoir ce qui va se passer sur le plan européen.
Quel est l’objectif de cette loi cadre ?
L’objectif est de permettre à l’agriculture française de développer son potentiel et sa diversité. C’est cela la force de notre agriculture. Cela implique une combinaison entre l’économie et l’écologie. Il y a une transition à assurer dans ce but. Le Grenelle de l’environnement n’a pas apporté à cette question des réponses probantes. Je pense même qu’on est bloqué aujourd’hui.
Bloqué ? Pourquoi ?
Parce que l’accumulation des normes, exploitation par exploitation est très peu efficace. La preuve, c’est que d’après les derniers chiffres on a utilisé plus de produits phytosanitaires. Il y a des raisons objectives, conjoncturelles ou structurelles, comme le retournement des prairies par exemple, mais le constat est là. Il y a un problème.
Alors comment aller de l’avant ?
Ce qu’on fait aujourd’hui, c’est corriger les effets négatifs des modèles de production d’hier. On ne les remet pas en cause et on segmente les problèmes. Alors que pour réussir il faut avoir une démarche qu’on peut appeler systémique. C’est en faisant évoluer les systèmes de production qu’on pourra réduire les recours aux herbicides, aux engrais minéraux ou qu’on pourra protéger les sols. C’est cela qu’il faut faire. Il ne faut pas rester dans une logique de correction de ce qui ne va pas bien, il faut créer des modèles nouveaux pour aller vers une agriculture performante sur le plan économique et écologique.
Les propositions de Dacian Ciolos vont-elles dans ce sens ?
Oui, elles vont dans ce sens. Mais elles correspondent à une démarche exploitation par exploitation. C’est logique puisque l’Europe a une politique qui s’adresse aux exploitants, pris individuellement, et c’est d’ailleurs ainsi que les aides leur sont versées. Pourtant, pour être efficace au niveau local il va falloir mettre en place des dynamiques collectives.
Qu’est-ce que cela implique ?
Par exemple, si on prend la question des rotations de cultures, de couverture des sols, de biodiversité, de protection des captages, si on veut développer des énergies renouvelables : biomasse, méthanisation… il est plus intelligent de s’y prendre de manière collective que de façon individuelle. C’est surtout plus efficace. Et surtout, ce qu’il faut, c’est créer une dynamique chez les agriculteurs. Faire en sorte qu’ils ne subissent pas des lois ou des règlements mais qu’ils aillent vers un système où l’environnement et l’économie vont de pair. Moins ils utiliseront de consommation intermédiaire à production égale et plus ils pourront dégager de la marge.
Les agriculteurs ont souvent le sentiment de ne pas être associés à ces orientations. Comment faire pour qu’ils aient le sentiment de l’être plus ?
Il y a un dialogue à organiser. On le préparera dans le cadre de la conférence environnementale, en septembre. On devra faire aussi une évaluation de ce qui a été réalisé. Pas la peine de refaire ce qui est déjà fait. Et puis, on va engager des discussions plus larges sur ce qui doit progresser. J’espère que d’ici-là on aura avancé sur la Pac. On utilisera la réforme de la Pac pour enclencher ces processus. J’ai un objectif, je l’ai déjà dit : mettre en place ce qu’on a appelé des groupements d’intérêt économiques et écologiques, avec des démarches plus collectives, pour traiter de ces questions.
Il faut donc aller plus loin que les objectifs du Grenelle ?
Le vrai problème du Grenelle, c’est qu’il s’est borné à fixer, par tranche, des objectifs. Il a été annoncé, moins 50 % sur les phytos, ou 20 % d’agriculture biologique. C’est louable, même courageux, mais comment y arrive-t-on ? Et au-delà des outils qu’on utilise, quels modèles de production met-on en place ?
Comment régler le problème de la compétitivité et du coût du travail ?
Il y a bien un problème de différentiel de coût du travail, surtout dans l’agroalimentaire, entre la France et l’Allemagne. Il n’y a pas de convention collective générale en Allemagne fixant notamment un salaire minimum. Il y a deux manières de régler ce problème. Soit on diminue, nous, nos charges à due concurrence de celles de l’Allemagne. Mais où s’arrête-t-on et comment fait-on ? Faut-il supprimer le Smic dans les abattoirs ? La deuxième orientation qui est la bonne, est de convaincre les Allemands qu’ils ne peuvent pas continuer à avoir une part de leur agroalimentaire qui échappe aux standards sociaux européens. N’oublions pas que la réussite de l’agroalimentaire allemand est une histoire récente. Les IAA allemandes se sont développées depuis la réunification pour apporter une réponse, en matière d’emplois, aux besoins des anciens länder. Le débat doit être celui de la convergence sociale en Europe. On ne peut pas rester, en permanence, en compétition entre nous sur le plan social. Autrement, c’est le moins disant qui l’emportera toujours.
La FNSEA a proposé un Smic européen…
Il ne s’agit pas évidemment de mettre en place un Smic européen uniforme dans tous les pays. Le Tchèque peut-il avoir le même Smic que le Français ? Non. C’est effectivement un Smic par pays européen et par branche qu’il faut.
Un système avait été proposé pour améliorer la situation en matière de charges sur les salariés permanents. Qu’est-ce qui bloque ?
Il y a deux problèmes qui se posent. Un problème budgétaire d’abord, toutes les exonérations étant appuyées sur le budget de l’Etat. Or, vous savez à quel point est important l’objectif de réduction du déficit du budget. Le deuxième problème est celui de l’euro-compatibilité. On ne peut pas avoir de mesure ciblée, vis-à-vis du droit de la concurrence européen.
Les producteurs disent que vous vous cachez derrière cette contrainte ?
Non ! On ne peut pas vouloir de l’Europe et ensuite la nier quand cela nous arrange. S’agissant des légumes, on ne peut pas d’un côté se plaindre des plans de campagne qu’il faut rembourser et vouloir d’un autre côté recréer des soutiens qu’il faudra rembourser un jour. Il faut être cohérent. Ceci dit, sur le plan français, les efforts sont indéniables. Je vais défendre, dans le cadre des discussions budgétaires, la poursuite de l’allégement des charges pour les travailleurs occasionnels.
Pour les producteurs, c’est considéré comme un acquis…
Un acquis qu’il faut défendre dans une situation où tous les Français font des efforts pour réduire les déficits budgétaires. Si le financement a été prévu, il faut savoir qu’il y a une dérive budgétaire : le coût va au-delà de ce qui était envisagé. En ce qui concerne les exonérations de charges des permanents, l’Europe ne semble pas bien convaincue de sa validité. L’application ne pourra pas être envisagée tant qu’on n’a pas un feu vert de l’Europe. Cela peut prendre du temps. Au fond, la vraie réponse à ces questions de coût du travail, c’est au sein de la grande conférence sociale qu’elle se trouve. Ne multiplions pas les mesures ponctuelles. Un dispositif général, s’appliquant à tous les secteurs, n’a pas besoin du feu vert de l’Europe. C’est donc à cette conférence sociale que revient le rôle de mettre à plat ces mécanismes et de proposer des solutions. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai demandé à ce que l’agriculture y soit représentée.
Comment devrait se traduire la politique d’économies budgétaires demandées par le premier ministre sur le ministère de l’Agriculture ?
La règle s’applique sur le ministère de l’Agriculture comme sur les autres. Il y a des créations de postes dans des secteurs prioritaires mais il faut une stabilité globale du nombre de fonctionnaires. Les objectifs en matière de déficit budgétaire nous obligent à être très stricts et faire des choix précis sur nos priorités. L’enseignement agricole est une de ces priorités. Nous avons créé 110 emplois dont 50 postes d’enseignants cette année et c’est justifié car l’enseignement agricole a montré sa singularité et son efficacité en termes d’insertion professionnelle. Deuxième priorité, les questions de contrôle sanitaire, sur lesquelles il faut montrer la plus grande vigilance. Pour le reste, ce sera certainement difficile. Les crédits d’intervention seront bien sûr touchés. La négociation est en cours. Il faut savoir qu’en matière de crédit d’intervention, l’objectif général du gouvernement est de - 7 % en 2013, - 11 % en 2014 et - 15 % en 2015.