Südzucker : coup de gueule des planteurs picards et normands à Mannheim
Ce mardi 12 mars, près de deux cents planteurs de la Somme, de l’Oise et de l’Aisne ont manifesté devant le siège de Südzucker, à Mannheim, avec leurs collègues normands.
La betterave, ils y croient encore. Mais les planteurs de l’ex-Picardie et de Normandie sont remontés comme des coucous et très en colère, depuis l’annonce, le 14 février dernier, de la fermeture de cinq usines du groupe Südzucker en Europe en 2020, dont deux en France, Cagny (Calvados) et Eppeville (Somme). Raison invoquée par le groupe sucrier ? La chute vertigineuse du cours du sucre. Conséquence : le groupe sucrier doit économiser cent millions d’euros par an pour réduire l’impact de la baisse des prix du sucre sur les performances du groupe et ajuster ses capacités de production de sucre à la demande européenne.
Pour ce faire, il envisage une réduction de sa production de sucre de 700 000 tonnes par an et des licenciements. Ces décisions ont déclenché un vent de contestation parmi les planteurs d’autant que, avec la fin des quotas, ils ont joué le jeu de la hausse des volumes et de l’allongement des campagnes, malgré les pertes en silos et autres contraintes qu’elles engendraient.
Aussi, après des premières mobilisations en France - le 22 février devant la sucrerie de Saint Louis Sucre à Cagny, et le 1er mars devant celle d’Eppeville, une nouvelle manifestation, à laquelle ont participé la Confédération générale de planteurs (CGB), des salariés de Saint Louis Sucre et des élus, a été organisée devant le siège de Südzucker, situé à Mannheim, dans le Bade-Wurtemberg, le 12 mars dernier. Levés aux aurores, plus de deux cents planteurs, salariés et élus locaux ont donc fait le déplacement pour faire entendre leurs voix. Si les manifestants ont choisi cette date et ce lieu, c’est parce que le géant mondial du sucre tenait ce même jour son comité central d’entreprise concernant le plan de restructuration annoncé, le mois dernier.
Ils ne lâcheront rien
Xavier Talpe, betteravier à Maulères, dans l’Oise, est encore abasourdi par les annonces de Südzucker. «On ne comprend toujours pas pourquoi cela nous est tombé dessus. On sentait bien qu’avec la fin des quotas, on allait traverser une période de chute des cours du sucre et de surproduction. Puis, lors des négociations de prix, on a bien vu que Saint Louis Sucre et Südzucker nous baladaient, mais de là à ce qu’ils ferment deux usines en France alors que nous sommes dans un bassin qui, historiquement, fait de la betterave, et qui a de très bons rendements, on ne s’y attendait pas du tout», confie le planteur. Et celui-ci de redouter de se retrouver sur le carreau car, bien que rattaché à l’usine de Roye, son exploitation est excentrée (plus de 55 km, ndlr). «Je crains, comme tous les planteurs de mon secteur, d’être impacté, car Saint Louis Sucre pourrait bien donner la priorité aux planteurs autour d’Eppeville. Et si je ne peux pas continuer à livrer mes betteraves à Roye, je serai condamné à arrêter cette production», craint-il.
Comme nombre de ses collègues, pour soutenir son groupe industriel, il a augmenté sa sole betteravière avec la fin des quotas, même s’il pensait que ce n’était pas la bonne chose à faire. Avec la chute des cours, il a revu sa sole betteravière à la baisse. Reste que la betterave, il veut y croire encore. Aussi, même s’il sait que négocier avec Südzucker va être particulièrement compliqué, il est prêt à mener le combat jusqu’au bout pour que les usines ne ferment pas. «On ne lâchera rien, et on ira jusqu’au bout de notre mobilisation pour montrer à Südzucker qu’on ne va pas se laisser faire. Ce n’est que le début de la pression que l’on compte exercer sur ce groupe», affirme-t-il.
Dans tous les cas, «on veut essayer d’y croire et de sauver le bassin de production et la filière. On fera tout pour qu’il en soit ainsi», ajoute Guillaume Moizard, installé à Matigny, dans la Somme, membre de la commission interprofessionnelle d’Eppeville, et qui livre ses betteraves aux usines d’Eppeville et de Roye.
Ceci dit, tous vivent cette situation très mal. Et d’autant que, hormis un courrier de Saint Louis Sucre les prévenant de la fermeture du site d’Eppeville, aucune autre information ne leur a été communiquée de la part de l’industriel. «On ne sait rien de la sole betteravière que l’on aura chez Saint Louis Sucre. Nous voudrions savoir ce qui va se passer, ainsi que le détail de la répartition d’une partie des hectares sur Roye», commente Marc Collache, installé à Estrées-Mons, dans la Somme, betteravier depuis 1985, et membre de la commission interprofessionnelle d’Eppeville. Outre de savoir quel est le devenir que leur réserve Saint Louis Sucre, ils attendent tous de pouvoir garder un maximum de surfaces et conserver leur outil de travail là où il est, et ce, «même s’il y a des ajustements à faire. Mais on sait que cela va être dur, car les Allemands sont très déterminés», ajoute Marc Collache.
Premier round
Déterminés, les Allemands le sont en effet, comme ont pu le constater tous ceux qui ont participé à un entretien avec les responsables de Südzucker. «Ils ne partagent ni notre analyse des marchés, ni le fait que fermer un site industriel peut leur coûter cher. Nous avons été confrontés à un mur face à nous. Chacun a campé sur ses positions. En même temps, on ne pouvait pas s’attendre à autre chose pour une première rencontre», indique Dominique Fievez, président de la CGB Somme. Quoi qu’il en soit, de concert avec son homologue du Calvados, Patrick Dechaufour, Dominique Fievez a rappelé que «la CGB et les betteraviers sont prêts à se battre pour la pérennité des sucreries de Cagny et d’Eppeville, et l’avenir de la culture de la betterave dans nos régions».
La suite ? Le lendemain, les responsables de Südzucker étaient reçus à Matignon pour rencontrer les ministres de l’Economie, de l’Agriculture et du Travail (pas de nouvelle à l’heure où nous bouclons, ndlr). Ensuite, le 22 mars, une réunion est prévue à Strasbourg pour entrer en négociation. «S’il le faut, on ira jusqu’aux blocages pour obtenir gain de cause», prévient Marc Collache.
Chiffres clés d’Eppeville
- 132 salariés permanents, dont 60 saisonniers pendant la campagne
- 1 275 planteurs, avec chacun environ 16 ha de betteraves situés dans la Somme (33 %), l’Aisne (33 %), l’Oise (20 %), le Nord et le Pas-de-Calais (10 %), et dans un rayon moyen d’approvisionnement de 38 km
- 21 000 ha de sole betteravière
- 1,8 Mt de betteraves transformées par an
- 300 000 t de sucre produites par an