Tassement des sols : les Hauts-de-France menacés
Hubert Boizard est agronome, spécialisé en dynamique des structures du sol. Il est, aujourd’hui, chargé de mission à l’Inra, sur le site d’Estrées-Mons.
Quand la problématique du tassement des sols est-elle apparue et a fait l’objet de recherches scientifiques ?
Le tassement correspond à une perte de porosité des sols sous l’effet du poids des machines. Les chercheurs de l’Inra se sont intéressés à la problématique du tassement des sols dans les systèmes avec labour dès les années 1970. Les premiers travaux dans l’unité ont porté sur la dynamique de la structure du sol en fonction des systèmes de culture (céréales, betteraves, récoltes tardives, etc.). Ces essais ont fait l’objet d’une publication en 2002 sur la régénération des sols suite à des tassements sévères. Ce que nous avons constaté, c’est que la régénération des sols en système avec labour était rapide, de l’ordre de dix-huit mois. Par contre, de nouvelles publications en 2012-2013 ont révélé que le processus était beaucoup plus lent en non travail sous les seuls effets de l’activité biologique (vers de terre) et de la fissuration par le climat.
A la même période, des chercheurs de l’Europe du Nord (Pays-Bas, Suède et Danemark) ont montré l’importance des tassements profonds, question à laquelle nous n’avions pas prêté attention. C’est une question clé que nous avons intégrée par la suite. Des observations réalisées dans les systèmes de culture intensifs du Santerre ont révélé que l’enracinement de la pomme de terre était réduit dans une parcelle sur deux suite à ces tassements profonds. C’est aussi à partir des années 2000 qu’une véritable prise de conscience de la fragilité des sols s’est faite en lien avec l’émergence de l’agro-écologie.
Quels sont les facteurs de risques du tassement du sol ?
Plusieurs facteurs interviennent : la résistance des sols qui diminue avec l’humidité, le poids des machines et le type de pneumatiques. Le risque a beaucoup augmenté depuis les années 2000 avec des machines de plus en plus lourdes, en particulier lors des récoltes de betteraves et de pommes de terre.
Quelles sont les conséquences du tassement du sol ?
Les tassements sévères transforment la structure du sol en blocs compacts. Ces blocs ont des propriétés particulières : résistance élevée à la pénétration et circulation réduite de l’oxygène. Les cultures suivantes sont handicapées : le lit de semences sera plus grossier et l’enracinement souvent plus faible, en particulier pour les cultures de printemps comme la pomme de terre ou le maïs. Autre conséquence : l’infiltration de l’eau est ralentie et peut se traduire par des ruissellements et de l’érosion.
Peut-on en conclure que le tassement des sols est grave ?
Il faut, au préalable, dire qu’il n’y a pas de relations directes entre tassement et chute des rendements : cela dépend de nombreux facteurs, dont la pluviométrie pendant la croissance des plantes. Toutefois, même si la relation n’est pas systématique, elle existe. En termes de gravité, les tassements profonds représentent la plus grande menace : la capacité du sol à se régénérer sous l’effet du climat et de l’activité biologique est plus faible, en particulier pour les sables et limons sableux. Une fois cela dit, c’est un sujet sur lequel nous manquons encore de références. Il nous faut mieux typer les sols afin de déterminer quels sont les systèmes de culture en danger.
Quelles sont les régions les plus touchées ?
Cela touche toutes les régions au climat océanique avec des risques de récolte en conditions humides, soit toute l’Europe septentrionale. En France, les régions du Nord et de l’Ouest sont particulièrement concernées. Mais c’est la région des Hauts-de-France qui est la plus touchée en raison de la présence importante de systèmes de culture avec betteraves et légumes. Le tassement des sols est une vraie menace sur les systèmes intensifs.
A contrario, des régions comme la Champagne sont moins touchées du fait de leurs sols crayeux, moins sensibles au tassement. Le centre de la France, comme le Sud, sont également peu touchés avec des systèmes plutôt céréaliers, sauf dans des zones irriguées (Sud-Ouest).
Quelles sont les solutions pour éviter le tassement des sols ?
Il y a des solutions à l’échelle de l’exploitation agricole, comme le choix des règles d’intervention, l’organisation des chantiers ou la modification des assolements. Mais on récoltera toujours certaines cultures en conditions humides en fin d’automne dans la région… Aussi, une solution complémentaire est d’alléger le poids des machines ou de mieux répartir les charges à la récolte entre arrachage et transport, parce que c’est bien la charge qui induit les tassements en profondeur.
Quels sont les enjeux ?
Un premier enjeu porte sur la bonne gestion des sols dans les exploitations agricoles. Avec l’accroissement des surfaces et la baisse continue du nombre d’UTH (unité de travail humain, ndlr), ma crainte est que le sol ne soit plus qu’un support.
Le second enjeu porte sur la réduction du travail du sol, qui favorise un bon fonctionnement biologique des sols. Mais jusqu’où aller ? Il faut donc trouver le bon équilibre entre travail du sol et risque de compactage, sans oublier le contrôle des adventices.
Enfin, un troisième enjeu est de donner aux agriculteurs les outils d’aide à la décision pour mieux gérer la structure du sol. Le projet Sol-D’Phy, animé par Agro-Transfert, en partenariat avec les chambres et les instituts, montre que des réponses existent, que ce soit en termes d’outils de diagnostic ou d’outils de simulation.