Tereos : le plan de redressement de l’ADCT pour la coopérative
Xavier Laude et François-Xavier Beaury, membres de l’Association de défense des coopérateurs de Tereos, donnent leur vision de la crise de gouvernance et économique que traverse Tereos. Revue de détail des points d’achoppement et des solutions qu’ils proposent.
Pouvez-vous rappeler quelle est l’origine du conflit qui vous oppose à Tereos depuis bien deux ans à présent ?
Xavier Laude : Le point de départ de notre opposition est la différence d’appréciation entre nous et Tereos sur la dette de la coopérative et son non-remboursement. Au fil des années, force a été de constater que la dette ne diminuait pas alors que la coopérative nous tenait un discours, en parallèle, sur l’efficacité des filiales et ce qu’elles rapportaient. Or, non seulement la dette ne diminuait pas pour autant mais, en plus, aucun argent n’était distribué aux agriculteurs. Du coup, on s’est demandé si les filiales fonctionnaient aussi bien que la coopérative le prétendait.
François-Xavier Beaury : Ce qui nous a aussi inquiétés était les taux d’intérêt pratiqués pour le remboursement de la dette en total décalage avec, d’une part, les formules d’emprunt que nous connaissons sur nos exploitations, et, d’autre part, avec les taux d’intérêt qu’ont nos concurrents, même si chaque entreprise est différente. Un tel niveau d’intérêt reflète un manque de confiance des banques et des investisseurs en la coopérative. On a aussi soulevé l’opacité qui règne sur la gestion des filiales et l’absence d’information sur les coûts de fonctionnement de la coopérative.
Le niveau de la dette de Tereos est-il alarmant ?
Xavier Laude : Officiellement, le chiffre annoncé est de 2,3 milliards d’euros. Pour nous, c’est trop, car cela génère un remboursement entre 130 et 150 millions d’euros d’intérêt par an. Aussi est-ce aberrant de s’acharner à investir à l’extérieur.
François-Xavier Beaury : Cette dette, au vu des intérêts remboursés par an, on la paie cash, et si cela continue ainsi, on peut perdre nos parts sociales, si un investisseur entre dans le capital et devient majoritaire.
Ne pensez-vous pas que de poursuivre une stratégie de diversification et d’internationalisation peut redonner du cash à la coopérative ?
Xavier Laude : Pour nous, l’idée de poursuivre à tout va la diversification et l’internationalisation de la coopérative, c’est intenable avec notre niveau de dette. Il est inutile d’aller investir ailleurs dans ces conditions.
François-Xavier Beaury : De toute façon, on n’a pas les moyens. C’est une fuite en avant que de continuer cette stratégie.
Cela signifie-t-il qu’il faut arrêter d’investir dans de nouvelles filiales et de rechercher à diversifier ?
Xavier Laude : Au vu de la dette, il nous semble plus judicieux de faire une pause. Il faut d’abord consolider ce que l’on a et assainir la situation financière de Tereos.
Quant à la diversification, on a pensé longtemps que se diversifier dans des métiers que l’on connaissait bien était une bonne idée. Sauf que, lorsque les cours du sucre chutent, ce sont toutes les entreprises qui encaissent des pertes. On pense qu’il faut plutôt assurer une diversification dans des domaines qui ne sont pas corrélés au sucre, comme le fait Südzucker, par exemple.
Alors, que proposez-vous pour désendetter la coopérative et consolider ses finances ?
François-Xavier Beaury : On propose un plan de redressement pour Tereos, qui ne s’appuie pas sur le redressement des cours du sucre, comme le fait la coopérative, et ce, même si ces cours peuvent remonter. L’objectif premier est de stabiliser la dette, puis de la diminuer. Pour ce faire, un redimensionnement de l’entreprise s’impose. Il passe par une simplification de la structure.
C’est-à-dire ?
Xavier Laude : Il faut fermer les robinets qui fuient, c’est-à-dire se séparer de certaines entreprises qui perdent de l’argent telles que Palmital au Brésil, mais aussi des entreprises au Mozambique, en Roumanie, par exemple. Ensuite, on pourrait se séparer de certaines entreprises qui tournent bien, comme celles en Tanzanie et au Kenya, pour faire du cash. Autre point, la gestion de risque du prix, qu’on ne comprend pas bien d’ailleurs, est sans nul doute à améliorer. Quand les cours du sucre sont bons, on ne profite pas de retours suffisants. Pourquoi ?
François-Xavier Beaury : Par ailleurs, il faudra réaliser une meilleure gestion de ce que l’on va garder. On a des filiales, telles que Tereos-Syral, qui marchent bien. On pense qu’on pourrait gagner plus en y mettant les moyens et les bonnes personnes. De plus, dans la branche Tereos sucre France, il y a du retard d’investissement dans les usines qui est à combler. Enfin, en termes de commercialisation, on n’est pas sûrs que les choix arrêtés soient les bons. Tereos commodities, par exemple, perd de l’argent depuis sa création. Cela fait-il sens de garder ce genre d’entreprise ? On peut s’interroger.
L’ouverture du capital pourrait être une solution. Vous êtes pour ou contre ?
Xavier Laude : La situation actuelle ne le permet pas. Si on ouvre le capital maintenant, on va brader l’entreprise et perdre la main sur la coopérative. Il faut donc le faire quand on est en position de force, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
François-Xavier Beaury : Puis, l’ouverture du capital, c’est quelque chose qui s’anticipe. Or, là, on n’a plus d’argent, on est exsangue.
Outre la situation économique, vous soulevez aussi des problèmes de gouvernance, notamment la représentativité des territoires. Pouvez-vous être plus explicite ?
Xavier Laude : Dans les statuts, rien n’impose une représentativité territoriale dans le conseil de surveillance. On note une sur-représentativité de certaines régions au détriment d’autres. Quant à la région Picardie Ouest, depuis notre démission, elle n’est pas du tout représentée. Puis, les présidents de région ne sont pas représentés au conseil de surveillance. Pour nous, même si on a voté les statuts et que nous avons manqué de vigilance sur le sujet, cela ne doit pas être ainsi. Aussi propose-t-on, au niveau du conseil de surveillance, une représentativité des régions en fonction d’un calcul qui ferait un «mix» entre le nombre d’adhérents et le nombre de tonnes de betteraves contractualisées. Ensuite, on souhaite revenir sur le découpage des régions, en augmentant leur nombre pour renforcer la proximité des agriculteurs avec leurs usines.
François-Xavier Beaury : Le conseil de surveillance devrait contrôler le directoire, ce n’est pas le cas. On serait plutôt pour un conseil d’administration, qui implique beaucoup plus la responsabilité des agriculteurs dans la décision et dans le contrôle du fonctionnement de la coopérative. Enfin, un conseil de surveillance peut fonctionner, mais à la condition qu’on «alimente» régulièrement ses membres. Or, au fil du temps, on a noté qu’on nous a retiré de la substance et qu’on nous a transmis des données insuffisantes ou déjà interprétées.
Y-a-t-il d’autres points sur lesquels vous souhaiteriez revenir sur les statuts de Tereos ?
François-Xavier Beaury : Outre la révision du conseil d’administration, on souhaiterait aussi revenir sur la désignation des délégués en assemblée générale. Normalement, leur nombre devrait être proportionnel à leur participation à l’assemblée de région. Or, chez Tereos, les conseillers de région sont, de fait, délégués.
Dans tout ce qui s’est passé depuis que vous êtes entré en opposition avec votre coopérative, pensez-vous qu’il y a certaines choses que vous n’auriez pas dû faire ou, au contraire, des choses que vous auriez dû faire ?
François-Xavier Beaury : Ce qui est fait est fait, et d’autant qu’ils ne nous épargnent rien.
Xavier Laude : Tout ce que l’on a fait, on l’a fait parce que l’on pensait devoir le faire. On peut imaginer que les gens ne soient pas d’accord avec nous, mais, au moins, qu’ils viennent nous écouter lors des réunions d’information que nous organisons dans toutes les régions.
Qu’attendez-vous de l’assemblée générale de Tereos, le 26 juin ?
Xavier Laude : On attend un sursaut de lucidité des agriculteurs et des conseillers de région, et qu’ils fassent un autre choix que celui que leur propose la coopérative, soit de devenir tôt ou tard simples livreurs de betteraves.
Si vous arrivez au pouvoir demain, qui proposez-vous comme président et directeur ?
François-Xavier Beaury : On y a beaucoup réfléchi, mais c’est trop tôt pour en parler. Sachez que nous sommes prêts.
Xavier Laude : On a su s’entourer de gens compétents, qui portent tous le même objectif, tout faire pour que les agriculteurs reprennent la main sur la coopérative, et que celle-ci soit au service du coopérateur et du revenu.