Un village au rythme du confinement
Dans les villages confinés, les artisans et commerçants ont des rythmes bien différents en fonction de la nature de leur activité. Immersion à Molliens-Dreuil, au sud-ouest d’Amiens.
À Molliens-Dreuil, comme dans tous les villages de France et de la Somme depuis le début du confinement, le 17 mars, la vie est comme mise entre parenthèses. Avec ses nombreux services et commerces (garage, pharmacie, maison médiale, La Poste, métiers de bouche, pompes funèbres, notaire, centre-bourg…), la commune est d’ordinaire habituée à l’effervescence. Mais désormais, sur la D211 qui traverse le village, axe principal qui mène à Amiens, les oiseaux batifolent sans se soucier des voitures. Rares sont celles qui y passent encore. Le millier d’habitants reste cloitré dans les maisons et ne sort que pour effectuer quelques emplettes. La vie commerciale et artisanale est à plusieurs vitesses : entre ceux qui ont été obligés de fermer, ceux qui conservent une activité, mais seulement partiellement, et ceux qui croulent sous le travail.
C’est le cas de la boucherie Baron, aussi enseigne Proxi. «Pour nous, c’est tous les jours Noël», annonce Valérie Baron. Depuis mi-mars, les clients, qui préfèrent la proximité plutôt que les gros hypermarchés, se ruent sur les produits du commerce. La queue se prolonge sur le trottoir, parfois jusqu’à la mairie voisine, car seules trois personnes sont acceptées dans la boucherie. Mesures d’hygiène obligent. «Nous allons chaque jour à Metro (grossiste, ndlr), à Amiens, pour compenser les produits manquants que Proxi n’arrive plus à nous livrer», ajoute Valérie. Des journées bien chargées, que le gérant, Jérôme Baron, a choisi de compenser en réduisant les horaires : il ouvre une demi-heure plus tard le matin et ferme une demi-heure plus tôt le soir. «Si on ne fait pas ça, on ne tiendra pas le coup. La fatigue est le meilleur moyen pour attraper le virus.»
Au début, la boule au ventre
Ce virus, le Covid-19, a d’ailleurs fait frémir Isabelle Sylvestre, la boulangère, installée à quelques mètres de la boucherie. «Au début, j’avais la boule au ventre, avoue-t-elle. J’avais surtout peur pour ma vendeuse, qui a l’âge de ma fille. Alors j’ai pris des mesures strictes.» Ici, un seul client peut entrer à la fois. Une plaque de Plexiglas protège la caisse et la monnaie n’est plus acceptée : paiement en carte bancaire uniquement, pour éviter tout contact.
Le commerce ne désemplit pas, mais le chiffre d’affaires risque de diminuer tout de même, car si les étals de pain sont bien remplis, la vitrine de pâtisseries est réduite de moitié. «Les gens ne reçoivent plus, donc mangent moins de gâteaux. Nous avons fait quelques chocolats pour Pâques, mais bien moins que d’ordinaire.» La commerçante garde néanmoins le moral. «Les gens ont besoin de nous. On essaie le plus possible d’être solidaire, en proposant aux plus vulnérables d’apporter le pain chez eux, avec un bifteck ou des médicaments s’ils en ont besoin.»
Au bar, de longues journées
C’est aussi pour subvenir aux besoins de ses clients que Mickaël Poussin a choisi de garder son bar-café-tabac Le Mollienois ouvert. Mais pour lui, les journées sont longues. «J’ai été obligé de fermer le bar. Je peux simplement vendre du tabac, des jeux, la presse et l’essence. Comme les gens ne roulent presque plus, ils font rarement le plein. Les tondeuses à gazon tournent plus !» Comme La Poste est fermée, Mickaël vend des timbres et des enveloppes, «pour dépanner ceux qui en ont besoin». Quatre-vingt-cinq clients ont tout de même poussé sa porte vendredi dernier, «contre deux-cent-quarante d’ordinaire».
Pour le nouveau gérant, qui a repris le commerce en décembre 2019, le confinement est un vrai coup dur. «Lorsque nous avons repris, nous avons été soumis à la période de travaux avec fermeture totale de la route pendant plusieurs semaines. Après le confinement, les travaux doivent reprendre. On n’en voit plus le bout…» Finies, les soirées de retransmission des matchs de football qui connaissaient un vif succès. Elles permettaient de faire tourner le bar et de populariser le lieu. «Le Coronavirus a tué les championnats et une partie de notre activité avec.»
Les ambulances au chômage partiel
Pascal Besencourt, gérant des ambulances du même nom, voit également une bonne partie de son activité à l’arrêt. «On pourrait croire que les ambulances sont sur le pont en ce moment. Mais le plus gros de notre activité est du travail programmé, lié à des hospitalisations prévues d’avance. Des rendez-vous chez les spécialistes comme les kinésithérapeutes, les orthophonistes, etc. Tous sont reportés, explique-t-il. Seuls les traitements urgents, tels que des hémodialyses, des chimiothérapies et des radiothérapies sont maintenus. Et puis nous intervenons sur des urgences pré-hospitalières pour des cas de Covid - (suspicion d’infection) et de Covid + (infection avérée).» Résultat : avec 75 à 85 % de travail en moins, le gérant a été contraint de mettre au chômage partiel ses douze salariés. «Chacun a son temps de travail un peu réduit.»
La gestion des urgences, elle, s’organise. Les ambulanciers ont vite été rassurés par les mesures de protection prises lorsqu’ils sont au contact de personnes infectées par le Coronavirus. «Tous les équipements (combinaison, masque, gants, lunettes, charlotte, sur-chaussures) nous sont remplacés à hauteur de un pour un au Samu 80, lorsque nous transportons un malade. Et le véhicule bénéficie à chaque fois d’une désinfection approfondie.» Le problème du manque d’équipements tant dénoncé semble se résoudre, et l’appel aux dons qu’a lancé Pascal Besencourt sur les réseaux sociaux a été un succès. «Les professionnels du BTP nous ont fourni des combinaisons de travail, des personnes nous ont offert les masques qu’ils avaient conservés depuis l’épisode de grippe H1N1… Même périmé, ce matériel était le bienvenu, car mieux que rien.»
Rebondir après fermeture
La plupart des activités mollienoises sont cependant à l’arrêt total. Fleuriste, coiffeuse, esthéticienne, restauration rapide… C’est également le cas de Yann Terrasse, à la tête de TB traiteur, stoppé en pleine grosse période de travail. «Mars, c’est le début des baptêmes, des communions, des foires, se désole le traiteur. Nous allons être impactés même après le confinement. Un buffet pour un mariage prévu en juin vient encore de nous être annulé, faute de pouvoir l’organiser. Les pères des mariés n’ont pas eu le temps d’acheter leur costume.»
Les quatre salariés sont au chômage partiel et les extras ne seront pas appelés. «Nous sommes parfois une vingtaine car nous pouvons travailler sur plusieurs événements en même temps.» 105 000 € de chiffre d’affaires avaient été réalisés en mars, avril et mai 2019. Celui de 2020 à cette période devrait être quasi nul… «On n’a plus qu’à espérer retravailler le plus vite possible.» Quand il pourra reprendre son activité, Yann terrasse veut aller vers les gens pour permettre à son entreprise, qu’il a repris il y a quinze ans, de rebondir. «Je pense installer une vitrine et faire de la vente à emporter.» Il faudra redoubler d’énergie pour remonter la pente.