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Une filière orties émerge en Hauts-de-France

L’ortie est une plante qui pousse partout où on ne la souhaite pas. Pourquoi ne pas la cultiver pour en tirer des bénéfices ? C’est le projet original nommé Urti-K dans lequel se sont lancés sept exploitants de la région. 

Les premières parcelles de 1 000 m2 environ ont été plantées mi-avril, et les pousses d’ortie pointent déjà le bout de leurs feuilles. La culture de cette plante pérenne, herbacée à feuilles velues, de la famille des Urticacées, est née d’un constat d’Hugues d’Hautefeuille, sylviculteur de Monsures, près de Conty, et de Guillaume de Vogüé, sylviculteur dans le Val d’Oise. «Nous remarquions que les orties proliféraient en lisière de forêt. Après avoir mené des recherches, nous avons découvert les vertus de cette plante. L’idée de base était d’utiliser les bordures de parcelles agricoles pour la cultiver. Invités à des colloques, nous avons été surpris de constater que les agriculteurs montraient un grand intérêt pour le projet», témoigne Hugues d’Hautefeuille. 

En 2019, avec Bernard de Franssu, agriculteur à Villers-Chatel (62) et directeur du développement durable à UniLaSalle, ils créent l’association Urti-K, qu’ils développent au sein d’AgriLab, le centre d’innovation collaborative du pôle d’enseignement. Objectif : créer une filière orties régionale. Aujourd’hui, cinq autres agriculteurs de l’Oise et de l’Aisne se sont joints au projet. «Je suis en recherche de diversification, et l’ortie est séduisante, car c’est une filière innovante, respectueuse de l’environnement, confie Julien Lefevre, exploitant en céréales et grandes cultures à Troussencourt (60), associé au projet. Tout est à construire, mais le potentiel est grand.»

Itinéraire technique à maîtriser

Le première étape est de maîtriser les techniques culturales. Des micro-parcelles ont été créées dans l’ancien potager de Mr d’Hautefeuille. «Nous avons testé les semis de graines, la plantation de rhizomes et de plants. Nous avons aussi fait des essais avec ou sans apport de fumier, des coupes avec restitution ou non des tiges…» Il s’avère que la plantation de plants, après apport de fumier, est la plus satisfaisante. Des apports d’azote après les coupes permettent de booster la repousse de la plante. Ces essais ont débouché cette année à une expérimentation en parcelles d’environ 1 000 m2. «À nous tous, nous devrions cultiver 1 ha cette année.» 

À Monsures, la mise en terre des plants d’ortie commune (Urtica dioica), achetés au lycée horticole de Roville-Aux-Chênes (Lorraine), a été réalisée grâce à une planteuse à légumes prêtée par un agriculteur voisin. L’idéal étant un espacement de 45 cm. Le coût est assez élevé : «comptez dix centimes par plants, sachant qu’il faut 60 000 plants pour un hectare, soit 6 000 /ha», précise Hugues d’Hautefeuille. L’ortie, très rustique, a néanmoins besoin d’eau au démarrage. Des tuyaux poreux, compensant le manque d’eau de ce printemps, sont donc régulièrement déplacés entre les rangs. Un désherbage devrait être réalisé à la bineuse, puis l’ortie devrait prendre le dessus sur les adventices lorsqu’elle se sera étoffée. Elle ne nécessitera ensuite aucun traitement. La première récolte devrait avoir lieu au printemps prochain. «Nous devrions pouvoir faucher trois fois par an. Un peu comme la luzerne, l’ortie reste en place plusieurs années.»

 

Des débouchés à dénicher 

Quant aux débouchés ? «Ils viendront quand nous aurons du volume à proposer. Nous n’avons pas de clients pour l’instant, mais des étudiants d’AgriLab ont planché sur le sujet.» La plante présente des feuilles, des tiges et des racines exploitables. Pour la feuille, la voie la plus simple semble l’alimentation animale, notamment pour les chevaux. L’alimentation humaine et la cosmétique peuvent aussi être envisagées. «La racine pourrait être exploitée en fin de cycle, à destination de l’industrie pharmaceutique. Elle serait un remède aux troubles de la prostate.» 

La tige présente «la grande ambition» avec un possible débouché vers le textile. «La fibre d’ortie, longue d’une dizaine de centimètres, a été utilisée régulièrement au cours de l’histoire. Les soldats allemands avaient notamment des uniformes en ortie», informe Hugues d’Hautefeuille. Des analyses doivent être réalisées avec un laboratoire de Grandvilliers (60).
Enfin, la réalisation de purin d’ortie est une autre opportunité. Le fertilisant et insecticide naturel est de plus en plus utilisé par les agriculteurs convertis à l’agroécologie. Un financement du Conseil départemental de l’Aisne et une éventuelle aide obtenue dans le cadre de France relance pourraient permettre à la filière de se concrétiser. Le groupe espère cultiver 3 ha l’année prochaine et 10 ha dans deux ans.

Une filière installée en Belgique 

La culture d’ortie n’est pas une première en Europe. En Belgique, dans la province du Brabant wallon, un groupe d’agriculteurs s’est lancé dans la production il y a plusieurs années, et cultive désormais une vingtaine d’hectares. L’histoire commence avec les travaux de recherche du professeur Christian Marche, directeur du Centre des technologies agronomiques (CTA) de Strée. Ce dernier a mis en place un fastidieux programme de sélection sur la base de plus de cinq-mille échantillons d’orties sauvages récoltées en Belgique. Ce programme a abouti au développement d’une variété d’ortie cultivable et riche en éléments nutritifs. En 2017, sous l’impulsion de l’Itab (Institut de l’agriculture et l’alimentation biologiques), l’Europe a reconnu l’ortie (Urtica dioica) pour ses propriétés fongicides, insecticides et acaricides et a facilité sa mise sur le marché via la reconnaissance comme «substance de base».
Georges Beguin, agriculteur et gérant de la société Agripur, qui fabrique des biosolutions et des fertilisants organiques, saisit l’opportunité. Les premiers champs sont implantés en 2017. Une grange est convertie en unité de production en juin 2019. La commercialisation débute en décembre 2019 sous la marque Purtica, une formulation liquide contenant un extrait fermenté d’ortie, avant tout un fertilisant pour toutes cultures, plantes ornementales et gazon. Aujourd’hui, plusieurs producteurs ont rejoint la filière. 
Le groupe a aussi développé le débouché de l’alimentation des équidés. Après séchage, la matière est broyée puis mise en pellets, en granulés, pour les produits de la marque Equifirst. D’après un reportage de la RTBF, «1 t d’orties se vend 2 500 à 4 000 , mais nécessite beaucoup de main-d’œuvre».
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