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Vincent Louault : «Il faut sauver le modèle coopératif»

La concentration des coopératives se poursuit. Ces dernières ne prendraient-elles pas un tournant trop capitalistique ? Elements de réponse avec Vincent Louault, exploitant agricole en Indre-et-Loire, maire et conseiller départemental.

© D. R.




Quelle est la vocation initiale d’une coopérative ?

La vocation initiale des coopératives était de regrouper les productions des agriculteurs pour les vendre intégralement et avoir une valeur ajoutée plus forte. C’est une même logique qui a été mise en place pour l’achat des intrants. Aujourd’hui, outre la production de matières premières, les coopératives ont évolué vers une activité de transformation de ces productions parce qu’elles ont compris que la marge était aussi du côté de l’industriel.

La concentration des coopératives remet-elle en cause cette vocation initiale ?
Je ne le pense pas. Le législateur a protégé le monde coopératif par des exonérations fiscales, car les coopératives étaient des outils d’aménagement du territoire par leur présence. Ensuite, les fusions et les rachats sont naturels aujourd’hui. L’objectif initial reste le même. Là où celui-ci devient moins clair, c’est, en fait, dans les filiales des coopératives, sources de financiarisation des grands groupes coopératifs. Si c’est à juste titre que les coopératives ont créé des entreprises commerciales, leurs administrateurs ont du mal à suivre l’activité de ces dernières, comme à savoir ce qu’il s’y passe, à savoir quels revenus sont dégagés, quelles pertes éventuelles…
On s’est d’ailleurs rendu compte que, dans certaines coopératives, les adhérents n’étaient pas invités à siéger dans ces filiales. Ce qui a créé des incompréhensions et des frustrations. Et d’autant que les directions de ces filiales ont tendance à garder de grosses réserves financières pour racheter d’autres entreprises. La richesse générée par ces filiales ne remontent donc pas forcément vers la maison-mère, et donc, au final, vers les agriculteurs. La loi permet pourtant que les dividendes des filiales soient incorporés au capital social de la coopérative. Or, cela n’est jamais fait, ce qui crée une fragilité de la coopérative puisqu’elle n’augmente pas ses capitaux propres. Tant que les coopératives gagnaient de l’argent, personne n’avait envie d’ouvrir le capot pour regarder le moteur. Aujourd’hui, ça grince de toutes parts, car l’argent ne rentre plus de la même manière, comme on peut le voir dans la filière betteravière.
La question qui se pose, et d’ailleurs en haut lieu, est la suivante : le monde coopératif n’est-il pas en train de muter et de laisser un directoire gérer la coopérative ?

Quels sont les impacts que peut générer cette concentration ?
Outre ce que je viens d’évoquer, se pose la question du fonctionnement des coopératives à sections. Les coopératives mettent en place des circonscriptions qui vont voter pour élire des délégués qui vont siéger à un conseil des régions et non au conseil d’administration, là où se prennent toutes les décisions. Ces délégués vont voter pour élire des administrateurs au conseil de surveillance et non au conseil d’administration.

Les ordonnances présentées par le gouvernement sur la coopération agricole peuvent-elles changer la donne ?
Cela n’apportera pas grand changement. Même si le rôle du Haut conseil de la coopération agricole (HCCA) est renforcé, dans les faits, on s’aperçoit que celui-ci est inexistant. D’ailleurs, le HCCA n’a toujours pas de conseil d’administration depuis le 31 décembre dernier. Donc, aucune action ne peut être entreprise. Pourtant, théoriquement, le conseil doit contrôler beaucoup de choses sur le fonctionnement des coopératives. Or, ce n’est pas le cas. Et, depuis, aucun agrément n’a été validé sur les changements de statuts ou de fonctionnement des coopératives. Et rien ne changera, car ces questions sont gérées en cogestion entre le ministère de l’Agriculture et Coop de France.

Pensez-vous que l’esprit coopératif fait encore sens ?
L’esprit coopératif existe toujours dans les conseils d’administration, mais pas du côté des directions des coopératives. Une fois cela dit, tout n’est pas tout noir, mais ce sont des cas particuliers qui assombrissent le panorama général.

Pensez-vous que le modèle coopératif est menacé ?
Si on ne fait rien, les coopératives agricoles perdront leurs filiales par l’ouverture de leur capital et, à terme, comme celles-ci n’ont pas constitué assez de capitaux propres, les filiales pourront être absorbées par la dette. On peut, en effet, très bien imaginer une absorption par la dette d’un investisseur très éloigné de l’agriculture, un fonds souverain par exemple, qui arriverait avec une somme à prêter, puis en demanderait le remboursement. Devant l’incapacité de la filiale à rembourser, il réclamerait des parts de capital, deviendrait majoritaire dans la société, et en prendrait le contrôle. J’y vois un vrai danger.
Par ailleurs, si on se laisse entraîner par la financiarisation en marche dans les coopératives, ce sera la fin de la globalité des activités d’une coopérative. Autrement dit, on apportera nos matières premières à la coopérative qui les revendra selon le bon vouloir des clients. Tant qu’il est temps, il faut sauver la modèle coopératif, car cela garantit notre indépendance agroalimentaire.


Bio express

Vincent Louault a repris l’exploitation familiale en 1990, à Cigogné, dans l’Indre-et-Loire. Son exploitation se compose de 450 ha dédiés aux céréales (soja, tournesol, blé, maïs, féverole, colza) et d’un élevage de bovins viande. Il est maire (LR) de sa commune depuis 2014, vice-président de la Communauté de communes de Bléré Val de Loire, et conseiller départemental du canton de Bléré depuis 2015. Ses domaines d’expertise : politiques européennes, environnement, groupes coopératifs…

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