Zones vulnérables : l’Etat lance sa procédure d’extension
L'intention du ministère est d'étendre les zones. L'ensemble du département de la Somme est menacé.
Le temps entre les discours et les actes est décidément bien long. Preuve en est, le débat sur les zones vulnérables est ravivé en cette fin d‘année par l’Etat en personne. Ainsi, les Agences de l’eau, Dreal et préfectures de région ont engagé (dans un ordre dispersé) des consultations en vue de fixer des critères de classement en zones vulnérables. Cependant, derrière ces critères se cache la vérité : l’intention du ministère est bien de zoner l’ensemble du département de la Somme, et les administrations locales doivent garder le doigt sur la couture et voter dans ce sens.
Les faits
La France a fait l’objet d’un double contentieux concernant la directive Nitrates de la part de la Commission européenne. Contentieux de zonage, puisque Bruxelles considère que le zonage actuel est insuffisant, soit par non zonage de secteurs dans lesquels les eaux souterraines sont dégradées, soit par l’éparpillement qui pourrait nuire à l’efficacité des mesures.
Concernant le contentieux de mesures, la France a renforcé par deux fois ses programmes d’actions et ce en l’espace de trois ans. On en est au 5ème programme qui a vu d’un côté les capacités de stockage réévaluées ou recalculées, et de l’autre des calendriers d’épandage aménagés. L’enjeu de l’emballement de l’Etat est d’engager une vaste extension de zonage dans les meilleurs délais.
Ce qu'engage l’Etat
Dans ce dossier, l’Etat procède «à l’envers» de toutes les opérations antérieures. En effet, et c’était encore le cas il y a deux ans, à chaque fin de programme d’actions les Dreal de bassin étaient chargées de faire un état des lieux, une proposition de redéfinition du zonage (suppression, extension ou statu quo) et de consulter les différentes institutions concernées ainsi que le public avant que le préfet coordonnateur ne prenne un arrêté, et que l’ensemble des arrêtés ne constitue ainsi la copie que la France rend à Bruxelles.
Cette fois-ci, c’est l’inverse : l’Etat veut étendre et veut faire appliquer sa volonté sur le terrain et pour ce faire, fait prendre aux préfets un arrêté qui fixe les méthodes et seuils de classement qui aboutissent à l’effet désiré. C’est donc dans ce processus qu’une consultation publique est lancée depuis le 13 décembre et perdurera jusqu’au 4 janvier sur simplement les méthodes et critères à retenir.
Un simulacre de concertation
Refaisons la chronologie : été 2014, des cartes «fuitent» du ministère de l’Ecologie ; début novembre, la ministre de l’Ecologie annonce vouloir assouplir les critères de zonage pour tenir compte des réalités du terrain, et indique avec le ministre de l’Agriculture, voulant revoir la directive Nitrates au niveau européen.
Fin novembre, la Dreal Nord Pas de Calais informe d’un nécessaire zonage par cohérence scientifique ou politique, et débute des consultations. Sont ainsi tour à tour consultés le Codherst, le comité de bassin de l’Agence de l’eau et le Conseil général. Dans les deux premières structures où les administrations retenues représentent de nombreuses voix, le projet est adopté ; le Conseil général de la Somme l’a quant à lui rejeté.
Une semaine plus tard, une consultation publique est lancée non pas sur une carte mais sur des méthodes et des critères. En résumé, on consulte sur les règles après avoir fait voter en se basant sur leur effet. C’est la charrue avant les bœufs.
Les points de contestation
1- L’origine des nitrates :
la directive Nitrates porte sur les nitrates d’origine agricole. Or, les contributions urbaines et industrielles ne sont pas quantifiées ni exclues des mesures. Pourtant, l’agriculture est le seul secteur visé par les mesures correctives.
2- Le percentile 90 :
c’est une méthode statistique plus dure que la notion de moyenne et qui sert à appréhender un risque maximal. En cas d’accident (rejet sauvage, débordement d’une station), les mesures qui s’en suivent sont fortement dégradées, et du coup c’est «l’exceptionnel» qui commande le zonage ou non.
3- L’eutrophisation :
la directive Nitrates n’impose pas de seuil de nitrates dans les cours d’eau à proprement parler. Seule la directive cadre sur l’eau fait référence à un objectif de 25 mg/l. Le seuil de 18 mg/l proposé ne repose sur aucun fondement scientifique.
4- Eutrophisation et percentile :
le seuil de 18 mg/l imposé sous couvert d’une justification statistique est d’autant moins compatible avec la méthode du percentile 90, qui porte elle-même une exagération statistique. C’est donc une double exagération, pour ne pas dire une double peine.
5- Le pouvoir du préfet :
il peut agir seul, c’est déjà difficile à accepter, mais de surcroît, il ne peut que durcir le cadre proposé.
6- Eaux de rivière et eaux de nappe :
les critères prévoient un classement à 50 mg/l en eaux souterraines (ou à partir de 40 mg/l avec tendance à la hausse), et un classement de 18 mg/l pour les rivières. Or, dans le bassin, nappes et rivières communiquent, les secondes étant parfois la résurgence des premières, en témoignent la crue de la Somme au printemps 2001, par remontée de nappe et non pas accumulation de pluies.