Afdi Hauts-de-France : retour d’expériences des partenaires du Togo et du Tchad
L’Afdi Hauts-de-France a organisé, à Amiens, le 20 novembre dernier, un atelier d’échanges et de débats avec ses partenaires du Togo et du Tchad.
Ce n’est pas un marathon auquel étaient conviés les représentants d’organisations paysannes du Togo et du Tchad, mais cela peut y ressembler. Pas une journée, en effet, sans plusieurs visites d’exploitations dans les Hauts-de-France, de sites culturels, puis un petit tour à Paris et des échanges en familles d’accueil. Derrière cela, deux objectifs : mieux se connaître et, surtout, être source d’inspiration pour chaque partenaire.
Et, comme à chaque visite des partenaires, qu’ils viennent d’Afrique ou d’Asie, le même constat est fait par rapport au système agricole français très mécanisé, que ce soit dans les champs ou dans les élevages. «Chez nous, tout se fait à la main. Aussi, voir autant de machines, et de grosses machines dans les champs, c’est vraiment impressionnant», raconte Atsoupi Akpoto, agricultrice et trésorière de l’Union régionale des producteurs de céréales maritimes (UROPC-M), qui regroupe 2 431 producteurs.
Autre choc culturel : le conservatoire de la vie agricole, qui retrace notamment l’évolution de la mécanisation dans l’agriculture. «On a vu des machines agricoles au musée qui sont encore dans les champs chez nous», relève Kodjo Noumonvi, coordinateur de l’UROPC-M. Même constat de la part des représentants de l’Association pour la promotion de la filière du karité dans le Mamdoul (Aprofikam), au sud du Tchad, qui regroupe 3 778 agriculteurs, dont plus de 3 000 agricultrices. Mais si ces agriculteurs sont allés de surprise en surprise, ce qu’ils ont vu leur a apporté aussi des pistes pour leurs projets agricoles.
Des visites, source d’inspiration
L’Aprofikam œuvre à la transformation du karité, produit par ses adhérents, en beurre de karité, mais aussi de savons et de crèmes issus des sous-produits du beurre de karité. La commercialisation de leurs produits se fait essentiellement sur place, dans leur lieu de vente, et auprès de quelques grossistes. De la visite de l’exploitation de fabrication de savons, dans le Nord, ils ont retenu la commercialisation des produits dans des boutiques spécialisées, une bonne cinquantaine en région parisienne. «Ils ont un calendrier fixe de livraison tous les deux mois, qui permet d’assurer l’écoulement de leur production et de leur procurer des revenus fixes. C’est un système qui serait intéressant de développer chez nous, mais qui est difficile à mettre en place à cause des transports. Une fois cela dit, c’est une piste à explorer. Il nous faut identifier les clients potentiels que l’on peut toucher», commente Guedorum Kohom, agriculteur et secrétaire de l’Aprofikam.
Autre projet qui a émergé au vu de ce qu’ils ont pu observer : avoir des équipements performants tels que des baratteurs, des concasseurs, des presses à huile, pour produire en quantité et en qualité le karité. Reste cependant à trouver les financements et à voir comment l’Afdi peut les accompagner. Enfin, pour ce qui est du maraîchage, source de diversification dans leur système, «il faudrait, comme ce que l’on a pu voir ici, mécaniser les cultures maraîchères, du moins une partie, et mettre en place des moto-pompes. Et, en s’appuyant sur des ONG, on pourrait échanger des semences avec des groupements du centre du Tchad notamment, pour en récupérer et développer de nouvelles cultures telles que des salades, des choux, des carottes, etc.», réfléchit à voix haute Elisabeth Nadjiyam Maguebaye, agricultrice et présidente de l’Aprofikam.
De l’inspiration, Atsoupi Akpoto et Kodjo Noumonvi en ont trouvée aussi dans toutes les visites réalisées. La pratique des circuits courts pour leur projet d’élevages de volailles au Togo est incontestablement un débouché à explorer. «Bien que membre d’une coopérative, l’exploitant que nous avons rencontré vend une partie de sa production en direct, par des Amap et une association de consommateurs. Ces circuits-là n’existent pas chez nous. Si le modèle n’est pas transposable en tant que tel, il peut être adapté pour notre projet d’élevages de volailles, ce qui nous permettrait de centraliser les besoins des consommateurs», indique Kodjo Noumonvi. Dans une exploitation de volailles, leur attention a été retenue par un poulailler mobile landais installé sur des petits terrains. «Cela correspond exactement à ce que l’on veut faire. Nous allons donc explorer cette piste pour ce type de poulailler», dit Atsoupi Akpoto.
D’autres idées ne manqueront pas d’émerger au cours des visites qui vont suivre avant leur départ pour leurs pays respectifs, le 24 novembre prochain. Comme dit un proverbe africain, «si l’enfant ne voyage pas, c’est la mère qui fait la sauce». Eux en tout cas auront de nouveaux ingrédients à ajouter à leur sauce… agricole.
Bio express des projets
- Karité au Tchad : l’Aprofikam s’est créée en 2011 afin de développer un système plus technique pour la production de karité et assurer la formation de ses adhérents. En termes de commercialisation, les groupements dans les villages apportent leur production à des cellules, qui les livrent ensuite à l’association, celle-ci disposant d’un point de vente. Sur dix tonnes de karité produites dans la région, l’association en traite la moitié. Pour diversifier les sources de revenus de ses producteurs, l’association accompagne aussi des projets d’élevage de petits ruminants et des projets de maraîchage. De même, elle œuvre à l’alphabétisation des filles des agricultrices. Pour ce faire, elle a créé une école maternelle et une école de la seconde chance. Enfin, face aux taux élevés des crédits pour développer des petits commerces, l’association a mis en place une caisse mutuelle des femmes.
- Projet d’élevages de volailles au Togo : suite au conseil d’exploitation familial du village et face aux besoins de trésorerie des familles, l’UROPC-M a décidé de lancer un projet d’élevages de volailles. L’élevage de volailles et pas autre chose, car tous en font, mais de façon rudimentaire, et sont confrontés à des problèmes sanitaires. Le projet ? Mettre en place un modèle de poulailler (kit poulailler avec grillage, abreuvoir et mangeoire), développer les vaccinations et améliorer la productivité sur chacun des élevages. Sur les 2 431 producteurs de l’UROPC-M, 150 sont, pour l’heure, intéressés par ce projet. Le financement participatif lancé par l’Afdi a permis de collecter 6 580 €. Le projet sera lancé en 2019. Le but : améliorer le quotidien de chacun et commercialiser le surplus, s’il y en a.
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Elevages sans frontières : «Qui reçoit… donne»
Revue en détail des missions de l’association Elevages sans frontières, avec son président, Bruno Guermonprez.
Quand et pourquoi cette association a-t-elle été créée ?
Le créateur de cette association était un ancien éleveur de chèvres et directeur d’un GIE viande. Il estimait que la chèvre était un bon moyen de développement pour les populations défavorisées. C’est pour cela qu’il a lancé, en 2001, l’association Elevages sans frontières, filiale alors d’une ONG américaine. L’association a pris son indépendance dix ans plus tard. Son objectif, dès ses débuts, a été de développer des élevages familiaux dans une logique d’autonomie et de durabilité pour les familles vulnérables en Afrique de l’Ouest (Togo, Bénin, Sénégal et Burkina), mais aussi au Maroc, à Haïti, au Kosovo et en Albanie. Une fois l’amélioration de l’autonomie alimentaire atteinte, la seconde étape est de développer un partenariat avec elles pour la vente de leurs produits d’élevages.
Quels élevages aidez-vous
à développer et combien de familles ont-elles été aidées ?
Les élevages ciblés sont les poules, les pintades et les ovins. 12 200 familles ont bénéficié de notre aide depuis 2001, dont la moitié par notre système «Qui reçoit…donne».
En quoi consiste précisément cette aide ?
Le «Qui reçoit… donne» est un micro-crédit sous forme d’animaux. Concrètement, quand on fournit, par exemple, cinq chèvres à une famille, elle doit rembourser, dans un délai défini avec elle, cinq chevrettes qu’elle donne à d’autres agriculteurs. Nous fournissons aussi ce que j’appelle le mode d’emploi, soit une formation dispensée à des auxiliaires vétérinaires s’il y a des carences à l’échelle du pays, et des formations au niveau des organisations paysannes. Nous travaillons aussi avec les ONG locales. Nous proposons, enfin, des aides pour développer l’entreprenariat et organiser les filières.
Quelles sont vos sources de financement ?
C’est une autre originalité de notre association. 85 à 87 % de notre budget provient des financements du grand public, le reste vient de fondations d’entreprises. Notre budget est d’un million et demi d’euros.
Quelles sont les difficultés que vous pouvez rencontrer pour mettre en place ces aides ?
Le plus difficile est de trouver un groupe local pour la mise en route. Ce ne sont pas les groupes locaux qui manquent, mais beaucoup sont dans une démarche élitiste, laissant du coup de côté les familles les plus démunies. Ensuite, les délais de remboursement sont plus longs quand le produit est de la viande. Enfin, mais cela est vrai dans les agricultures de tous les pays, l’adéquation entre la production et la consommation n’est pas toujours évidente à faire coïncider.
Propos recueillis par F. G.