Agriculture de conservation : en finir avec la pratique du labour ?
Explications sur les principes de l’agriculture de conservation des sols (ACS) et sur le rôle des couverts étaient au menu d’une rencontre entre Victor Leforest, spécialiste, et les adhérents du Geda Scarpe-Hainaut.
Que ce soit dans le petit monde de l’agriculture de conservation des sols, comme au sein du Groupe d’étude et de développement agricole (Geda) Scarpe-Hainaut, Victor Leforestier n’est pas tout à fait un inconnu. Il y a deux ans, ce spécialiste était déjà venu dans le Nord partager ses travaux sur le strip-till (travail du superficiel sol en bandes) avec les adhérents du groupe de développement.
A la veille de l’assemblée générale de l’Association pour la promotion d’une agriculture durable (APAD), à l’Institut de Genech, qui se tenait le 5 février, le jeune homme est venu présenter les outils et bénéfices de l’agriculture de conservation des sols devant une assemblée d’une quarantaine de participants, à Sars-et-Rosières.
Travail sur la structure verticale du sol
Fils d’un agriculteur installé en Seine-Maritime converti à l’ACS, il est de plus en plus convaincu de la pertinence d’un modèle d’agriculture intermédiaire, «entre le bio et le conventionnel». Cette alternative, pour lui, c’est justement l’agriculture de conservation. En préambule à toute intervention technique sur les avantages de l’ACS en grandes cultures, le consultant indique ne pas être «un ayatollah du semis direct», même si cette technique constitue une étape supplémentaire dans la démarche d’appropriation de l’agriculture de conservation des sols. Autrement dit, «chacun peut continuer à travailler ses sols s’il sait le justifier et qu’il a une bonne connaissance de son terrain».
L’agriculture de conservation repose sur un triptyque : un minimum de travail du sol, une couverture du sol et des rotations équilibrées. «L’objectif ultime est de limiter la fertilisation, diminuer les charges de mécanisation et les interventions mécaniques», détaille l’expert. Et d’ajouter : «Le principe fondamental de l’ACS est de s’intéresser et développer la structure verticale du sol plutôt que sa structure horizontale qui tend à créer des strates.»
Au bout de quelques années, après abandon du travail du sol en profondeur, ce dernier retrouverait une meilleure portance que s’il avait été labouré. «La réussite d’un système en agriculture de conservation tient pour beaucoup à l’observation. Pendant les premières années de pratique, le temps qu’on ne passe plus à labourer est consacré à l’observation de ce qui se passe dans le sol pour se former», explique Victor Leforestier.
Adapter le matériel de l’exploitation
Vouloir semer la totalité des cultures d’une rotation sans travail du sol demande nécessairement de se munir de matériels nouveaux. L’exploitation de Victor Leforestier est désormais équipée d’un semoir à triple trémie (compartimentée) et à double distribution permettant de semer des petites graines. Les graines d’un diamètre supérieur peuvent être semées à la volée ou grâce à un distributeur à engrais de type Delimbe, installé à l’avant.
La réussite du semis tient ensuite à la densité de graines déposées, qui doit être supérieure à un semis classique, ainsi qu’à la date de semis. Une haute densité de semis va en effet assurer une structuration verticale du sol. Semer plusieurs espèces permet également de répartir les risques.
Problème, selon Victor Leforestier, «il n’existe pas dans le commerce de mélanges prêts à semer qui soient capables de répondre à cet objectif». L’implantation des couverts doit, par ailleurs, être réalisée suffisamment tôt, idéalement dès le ramassage de la paille. Des essais menés en Seine-Maritime montrent en effet un rendement en matière sèche (MS) supérieur pour un couvert composé d’avoine, de phacélie, de moutarde brune et de vesce semé au 13 août (2,8 t/hectare) par rapport à un couvert semé au 3 septembre (0,9 t/hectare), voire à un couvert semé une semaine plus tard (0,6 t/hectare).
«En prenant bien soin des couverts, constate le conseiller, on doit pouvoir se passer de glyphosate puisque, d’une part, les couverts étouffent les adventices, et, d’autre part, ne pas travailler le sol ne stimule plus la germination des adventices.» En termes de rendements, «si la structure du sol est bonne et que les couverts ont été réussis, on arrive sans problème au potentiel de rendement de la région». En résumé, Victor Leforestier étonne en affirmant «préférer investir dans la composition de couverts efficaces plutôt que dans du matériel (…) Certaines semences peuvent paraître chères, mais le retour sur investissement est réel et se fait sur le long terme».
«Peu importe que l’on ait un intérêt pour le non-labour ou non, les couverts ont un intérêt pour chaque système», avance Victor Leforestier. Et de poursuivre : «Quand on les réussit de manière systématique et qu’on ne laboure plus, on finit par voir ses terres évoluer au bout de quelques années.»
Une activité biologique du sol supérieure
L’expert estime ainsi à dix ans le temps nécessaire à un sol traditionnellement labouré pour retrouver une structure et une activité biologique comparables à un sol non labouré. Signe de cette bonne santé retrouvée ? Le nombre de vers de terre dans le sol est entre deux et sept fois plus abondant dans une terre cultivée sans travail profond qu’avec un système faisant appel au labour. En guise de conclusion, il rappelle que «le sol a besoin de temps pour se remettre à niveau, mais cela ne s’achète pas». Enfin, insiste-t-il, «on atteint aussi plus vite de meilleurs résultats si l’on est entouré de personnes qui veulent aller dans le même sens».