Agronomie : oser le lin en semis direct
Choix du couvert, densité et date de semis sont des facteurs majeurs dans la réussite d’une culture de lin sous couvert et sans travail du sol préalable.
Pour semer du lin sans travail du sol préalable, suivant les principes de l’agriculture de conservation, «le plus difficile a été de convaincre le technicien de la coopérative», expliquait Marc Bouquet, mi-mars, lors de l’assemblée générale de l’Apad 62. Agriculteur en Seine-Maritime depuis 1992, il pratique le non-labour depuis 2002, avant de devenir un adepte du semis direct depuis 2012.
Président de l’Apad 62 et agriculteur à Guînes, dans le Calaisis, Marc Lefebvre rappelait en préambule les objectifs de l’association de promotion de l’agriculture de conservation des sols (ACS) : réussir à appliquer les méthodes de l’ACS aux grandes cultures comme aux cultures industrielles, sans dégrader les sols et sans pénaliser le rendement. Les témoignages d’agriculteurs d’autres départements de France l’ont montré, il est tout à fait possible de cultiver maïs, betteraves ou encore lin à fibre sans un travail préalable du sol.
Bien choisir le couvert
Comme dans toute démarche d’agriculture de conservation, une importance capitale est apportée au choix du couvert. En ce qui concerne le lin, il devra être semé le plus tôt possible afin d’être suffisamment développé lors de l’étape de destruction et jouer un rôle positif sur la structure du sol . Un couvert développé est aussi plus facile à détruire. La destruction du couvert doit intervenir à partir de mi-janvier pour un semis à partir de mi-mars. L’association entre un couvert développé et un semis direct permet, en outre, de diminuer la germination des graines d’adventices. Le couvert «idéal» avant une culture de lin se compose d’un mélange avoine brésilienne (15 kg/ha), pois de printemps (50 kg/ha) et féverole de printemps (50 kg/ha). En revanche, les couverts fibreux sont à bannir.
Pour cultiver du lin en semis direct, Marc Bouquet a d’abord augmenté la densité de semis : «Je suis passé de 2 000 à 2 500 graines au m2 pour compenser les pertes à la levée», explique-t-il. Le semoir recommandé est équipé de disques, «pour gagner en précision». Le sol doit, quant à lui, être bien plat afin de sécuriser la profondeur d’implantation. Rouler le semis permet ensuite de favoriser le contact entre la graine et la terre, puis de fermer le sillon.
Enfin, en ce qui concerne la fertilisation, il est recommandé d’appliquer une base de 120 kg/ha de 18-46, qui sera ensuite complétée en azote selon les résultats du plan prévisionnel de fertilisation. En phase de croissance, Marc Bouquet constate alors un nombre de pieds moindre, mais un lin plus haut et des tiges plus épaisses. Le résultat est un poids de filasse plus élevé et de meilleure qualité, avec un risque de verse atténué.
Rendement : avantage au semis direct
Les résultats constatés par Marc Bouquet sur ses cultures de lin sont globalement positifs. Avec une pointe d’humour, et sans doute un peu d’ironie, il constate des résultats «intéressants» : «Je ne sais pas forcément l’expliquer, mais ça marche.» La comparaison des résultats de différentes modalités de culture donne l’avantage à la combinaison semis direct à 150 kg/ha dans un couvert non broyé, avec une densité de 1 700 pieds levés, une hauteur moyenne de 97 centimètres, un poids de paille de 11 041 kg/ha pour un rendement de 2 708 kilos de lin teillé par hectare et une richesse de 24,5 %.
La modalité la moins efficace repose sur un semis direct à 2 060 graines par m2 dans un couvert broyé. La densité de pieds levés n’y est plus que de 1 497 pieds levés, avec une hauteur de 100 centimètres, mais un poids de paille (1 037 kilos/ha) et de lin teillé (2 384 kilos/ha) inférieurs, et une richesse de 23 %.
Entre les deux, la modalité TCS, avec une densité de semis de
2 060 graines/ha dans un couvert broyé, est celle qui présente la richesse la plus élevée (26,5 %), mais la hauteur (95 cm), le poids de paille (9 953 kilos/ha) et le poids de lin teillé (2 639 kilos/ha) sont aussi inférieurs à la meilleure des modalités testées. En termes économiques, la modalité «semis direct» réalisé avec un semoir à disque de type Séméato est également celle qui présente le meilleur résultat.
Des semis plus tardifs
Après plusieurs années d’expérience (six ans), Marc Bouquet ne semble pas prêt à revenir en arrière. Les niveaux de rendement et de résultats économiques obtenus en semis direct s’affichent en effet «équivalents, voire supérieurs aux lins semés en techniques culturales simplifiées ou après un labour». Un point de vigilance reste néanmoins à observer : s’ils sont utiles et recherchés en agriculture de conservation, les vers de terre ont tendance à dégrader rapidement le lin arraché, qui reste trop longtemps sur un sol vivant.
Le principal frein à l’utilisation du semis direct est le taux d’humidité du sol. «Il faut patienter un peu plus qu’avec les autres techniques. Il y a souvent trop d’humidité dans le sol, et c’est le principal souci de cette culture. On a tendance à vouloir sortir le semoir en même temps que les collègues, alors qu’il faut souvent patienter encore quelques jours. Au final, on commence nos semis quand les autres ont terminé», explique l’agriculteur normand.
D’autres travaux sont en cours sur son exploitation autour de la culture du lin en agriculture de conservation. Il s’agit, par exemple, d’évaluer la substitution de fongicides et insecticides chimiques par l’utilisation d’extraits fermentés de plantes, d’avoir recours à une fertilisation localisée, de tester différents modes de destruction de couverts avant lin ou encore de semer le lin sous un couvert de trèfle.