Biodiversité : la Fdsea rencontre Jérôme Bignon
Rapporteur du projet de loi, le sénateur de la Somme cherche la voie entre économie et militantisme.
Le projet de loi sur la biodiversité est passé en première lecture à l’Assemblée nationale, et entrera en lecture au Sénat dans quelques semaines. Jérôme Bignon, sénateur de la Somme, en est le rapporteur. C'est dans ce cadre qu'une rencontre s'est tenue avec lui à la Fdsea. Autour de Françoise Crété, présidente de la Fdsea, figuraient Patricia Poupart, membre de la Chambre d’agriculture, Simon Catteau, président de la commission environnement de la Fdsea, et Olivier Faict, président de la commission environnement de la Chambre d'agriculture.
Une Agence nationale de la biodiversité
Derrière la volonté fédératrice et partagée de préserver et protéger la biodiversité, se retrouvent dans les textes à la fois des éléments constructifs, mais aussi un fourre-tout de mesures dans lesquelles les clichés ne manquent pas. Commençons par l’élément le plus constructif : la loi prévoit l'instauration d'une Agence nationale de la biodiversité.
Son rôle serait d’assurer une supervision nationale de l'état des lieux réel de la biodiversité, de l'application de la loi, et des pistes d'amélioration. Mais là où commencent les frictions, c'est au sujet de la composition du conseil de l'agence et de sa gouvernance. Chaque protagoniste craint une surreprésentation de ceux dont il se méfie... Un exercice qui exaspère la profession agricole, pour laquelle les notions de représentativité liées à un suffrage régulier doivent servir de base de légitimité...
Compensation et contribution écologique
Viennent ensuite tout un tas de mesures liées à la compensation écologique ou à la contribution à la biodiversité. La loi sur la biodiversité rouvre (complète) la loi de 1979 sur la compensation écologique. Celle-ci prévoit que tout prélèvement d'espace naturel peut donner lieu à une compensation écologique, donc à une action financée par le maître-d'oeuvre favorable à la biodiversité.
Dans les faits, on a le choix entre la double peine et la spéculation. Certains opérateurs n'hésitent pas à prélever deux hectares agricoles au lieu d’un, pour restituer le second sous forme de réserve de biodiversité. Par ailleurs, commence à s'instaurer un marché de surfaces intéressantes (landes, friches, talus...) acquis par des opérateurs fonciers et revendus dans ce cadre. Curieusement, la loi ne revient pas là-dessus...
Néanmoins, d'un côté, le sénateur Bignon cherche à focaliser cette compensation écologique sur des surfaces non-agricoles, de l'autre, la Fdsea propose de ramener cette compensation positive au crédit des agriculteurs, par exemple, en comptabilisant les aménagements spécifiques qui accompagnent les aménagements fonciers. En effet, plus un remembrement ne se fait sans implantation de bosquet, de haies, ou création de mare en fonction des pentes, des zones humides ou des zones non-cultivables.
Ces aménagements pourraient très bien satisfaire la notion de compensation écologique, avec un coût de mise en oeuvre modique et une grande efficacité. Une ligne rouge cependant : la loi vise à ériger la biodiversité au niveau de finalité des aménagements fonciers, voire des assolements communs. Un vrai problème que dénonce la Fdsea. En effet, dans un cas comme dans l'autre, on commence par refaçonner le paysage, et quelle que soit l'issue, c'est la première étape et, à ce titre, il ne faudrait pas que la biodiversité serve de prétexte au blocage pur et dur des projets, ni qu'elle engendre des coûts et des délais d'étude pharaoniques et périlleux.
La contribution écologique est une forme de financement potentiel d'accompagnement de mesures en faveur de la biodiversité. Aussi la Fdsea insiste-t-elle pour qu'un lien certain de faisabilité soit établi entre des mesures et la MAE, au risque de ne pas voir les agriculteurs comme possibles contributeurs positifs de la nature. Sur ce point encore, on peut lire dans les entrefilets des articles la possibilité de voir se créer un business de la contribution.... Vigilance donc !
Un fourre-tout de mesures
Enfin, il y a la partie fourre-tout dans le projet de loi. On y retrouve, par exemple, des articles visant à interdire les neonicotinoïdes, ces insecticides systémiques dont l'usage est de plus en plus encadré, tels que le Gaucho... Accusés d'être trop «éradiquants», le projet de loi vise simplement leur interdiction, en faisant fi des réglementations communautaires, des principes d'autorisation de mise en marché, et même de l'absence de solutions alternatives...
Si le sénateur s'est montré sceptique quant aux probabilités de voir ces articles retenus au final, ils sont tout de même présents après le passage à l'Assemblée. Bref, entre promesses de campagne et arrangements politiques, d'une loi qui devrait être fédératrice tant le sujet est commun, on retrouve encore les éléments qui cristallisent et opposent, parfois dans la droite ligne de clichés et de méconnaissance.
REACTION
Simon Catteau, secrétaire général adjoint de la Fdsea
Trois facettes inquiétantes
Vous l'avez tous entendu depuis plusieurs semaines... Reportages, chroniqueurs, personnalités publiques et parlementaires, tous ont la même phrase : «Quand j’étais enfant et que je traversais la France pour aller en vacances, le pare-brise était plein d'insectes, aujourd'hui, plus rien. La biodiversité est donc en danger !» Aborder le sujet sous cet angle est léger : qu'importe si le trafic routier a été multiplié par 10, et donc 10 fois moins de moustiques par pare-brise. Qu’importe si toutes les voitures ont un lave-glace.... Qu'importe si partir en vacances dans le sud, aller-retour et trajets sur place, ce sont 500 kg de plus de CO2 dans l'atmosphère... Non, ça c'est un autre débat.
Plus sérieusement, cette loi sur la biodiversité a trois facettes inquiétantes : d'une part, elle peut doter n'importe qui d'une qualité permettant, au nom de la biodiversité, de contraindre, d'entraver, de bloquer...
On sait où ça mène....
D'autre part, elle ouvre la voie à un business de la biodiversité, ce qui n'est pas moral quand on en fait un enjeu national. Enfin, elle ne reconnaît pas franchement les contributions actuelles ou potentielles de l'agriculture en la matière, puisqu'elle sert même de prétexte législatif à quelques règlements de comptes...
Notre responsabilité d'agriculteurs est d’être acteurs de la biodiversité, et ma responsabilité d’élu est de le défendre, car quand j’observe les champs, l’espèce la plus en recul, c'est l’agriculteur !