Blé tendre : une récolte insuffisante pour une reconquête des marchés
Selon Agritel, bien que la qualité du blé tendre devrait être
au rendez-vous, la quantité récoltée ne devrait pas permettre à la France de repartir à la conquête de
nouveaux débouchés à l’exportation. De plus, la hausse des prix du blé risque de ne pas suffire à rétablir la situation des exploitations.
L’entreprise experte des marchés agricoles, Agritel, a donné ses prévisions pour la récolte du blé. La production française totale de blé tendre devrait s’élever à environ 34,17 millions de tonnes (Mt) en 2018, selon ses estimations. Ce chiffre est en baisse par rapport à celui de la campagne précédente, qui s’élevait à 36,6 Mt. Ce repli s’explique, en partie, par le recul des surfaces, les prix bas ayant pu faire diminuer l’intérêt des producteurs pour la céréale.
Le rendement du blé devrait aussi être source de déception, le rendement moyen national serait autour de 69,18 quintaux/hectare, soit un retrait de - 6,67 % par rapport à la moyenne olympique sur cinq ans. La baisse du rendement s’observe particulièrement sur les territoires qui ont subi un excès d’eau au printemps, ce serait davantage ce facteur plutôt que les températures élevées qui serait en cause dans cette chute des rendements.
«Si la moisson est décevante en volume, elle est d’excellente qualité, ce qui devrait permettre de répondre aux cahiers des charges des importateurs les plus exigeants», souligne cependant Michel Portier, le directeur général d’Agritel. Les taux de protéines seraient aux alentours de 12 %, pour la troisième année de suite, les poids spécifiques devraient être supérieurs à la norme, et le blé ne semble pas avoir connu de problème de temps de chute d’Hagberg. Les résultats ne sont cependant pas homogènes sur toute la France.
Cette bonne qualité ne suffira pas toutefois à partir à la conquête de marchés à l’exportation, en raison du manque de quantités disponibles. La France n’est pas le seul pays européen en difficulté sur les volumes. Les pays du Nord et de l’Est de l’Europe ont subi un rude déficit hydrique. La Suède a, par exemple, connu sa pire sécheresse depuis soixante-quinze ans. La récolte européenne devrait s’afficher en baisse, à 136,6 Mt tous blés confondus, soit 15 Mt de moins qu’en 2017, son plus bas niveau depuis 2012.
La hausse des cours compense à peine les faibles rendements
Les autres principaux exportateurs risquent de vivre la même déception. La Russie, qui a connu une campagne 2017 record avec 85 Mt de blé tendre, devrait voir sa production baisser de 15 % en 2018, pour atteindre seulement 67,4 Mt. Ce repli est dû à la faible pluviométrie dans le sud du pays entre les mois d’avril et de juin, là où se localise la majorité de la production, mais aussi aux fortes pluies qui ont perturbé les semis en Sibérie. L’Ukraine a aussi été victime du déficit hydrique. Les trois pays de la mer Noire (la Russie, l’Ukraine et le Kazakhstan), risquent donc de voir leurs disponibilités en repli. Les exportations de la zone devraient donc baisser de 10 Mt, selon les estimations d’Agritel. «Il s’agit d’une grosse baisse, mais la production reste élevée. Les marchés mondiaux risquent tout de même d’avoir du mal à se passer de ce volume», explique Alexandre Boy, analyste chez Agritel.
En Australie, même si la récolte n’aura pas lieu avant plusieurs mois, l’Est du pays est déjà très marqué par le manque d’eau. La production pourrait donc être en dessous du niveau de 2017. Au Canada, le ministère de l’Agriculture est pessimiste, et espère faire à peine mieux que le bas niveau de l’année précédente. Le manque d’eau pourrait se faire sentir sur les rendements. La production des Etats-Unis devrait, elle aussi, rester en dessous de la moyenne des dix dernières années. Ceci s’explique, notamment, par la faible rentabilité du blé par rapport au maïs et au soja. Ils bénéficient cependant de stocks particulièrement élevés. Seule l’Argentine tire son épingle du jeu et pourrait atteindre les 20 Mt.
Pour la France, les exportations intra-européennes devraient être élevées, en raison de la baisse de production des pays du Nord de l’Union européenne, qui pourrait inciter les acheteurs européens à solliciter les volumes français. Les disponibilités étant faibles, la France devrait donc se concentrer sur ses clients historiques : l’Algérie, l’Afrique de l’Ouest, le Maroc et Cuba. Si les volumes risquent de rester faibles, les exportations en valeur pourraient bondir de 11 %, passant de 2,85 milliards d’euros à 3,2 milliards d’euros.
Face au manque de disponibilité mondiale et aux faibles stocks, le cours du blé pourrait en effet augmenter. Le prix du blé a augmenté d’environ 26 % depuis le 1er mai. Cette hausse risque de ne pas profiter énormément aux producteurs, une partie des récoltes ayant été vendue avant la montée des cours. Le prix moyen touché par les producteurs pourrait être compris seulement entre 170 et 175 Ä/t. De plus, les faibles rendements ne permettront pas de diluer les coûts de production, qui seront ainsi en forte hausse. «Les trésoreries pourraient s’améliorer un peu, mais cela ne comblera pas les dettes contractées après la récolte de 2016. La situation va rester compliquée dans les exploitations de grandes cultures», analyse Michel Portier.