Ces éoliennes qui font frémir les éleveurs de Rubempré
Quatre éoliennes pourraient tourner à Rubempré, au nord d’Amiens, dans les mois à venir. Le projet inquiète plusieurs éleveurs voisins, qui craignent un impact sur la santé de leurs animaux. En tant que citoyens, ils se sentent aussi méprisés.
Quatre éoliennes pourraient tourner à Rubempré, au nord d’Amiens, dans les mois à venir. Le projet inquiète plusieurs éleveurs voisins, qui craignent un impact sur la santé de leurs animaux. En tant que citoyens, ils se sentent aussi méprisés.
Des regroupements dans des coins de bâtiments. Un stress permanent. Une reproduction altérée… Et à la fin, toute la viabilité d’un élevage mise à mal. Les exemples de problèmes d’ondes électromagnétiques dans les exploitations d’élevage suite à une installation électrique se multiplient. C’est pour cette première raison que plusieurs éleveurs de Rubempré et alentour s’opposent à la construction dans la commune d’un parc de quatre éoliennes, d’une puissance totale de 14,4 mégawatts (MW), et d’une hauteur en bout de pale de 165 à 171,9 m.
C’est tout une activité d’élevage local que l’on sacrifie
«Mes charolaises et blondes d’Aquitaine ont besoin de calme. Nous manquons de données scientifiques, mais l’émission d’ondes électromagnétiques, le bruit des pâles qui tournent en continu et les spots qui clignotent la nuit seront forcément nocifs», s’inquiète Nicolas Debuysscher. Les vaches allaitantes de l’éleveur de Villers-Bocage passent l’hiver dans une stabulation située à 320 m de l’endroit où devrait être installée l’éolienne n°4, et pâturent autour l’été. «C’est tout une activité d’élevage local que l’on sacrifie. La production agricole est méprisée au profit de la production d’énergie que l’on qualifie de verte.»
Le projet présenté par la société Les Vents de la Plaine Picarde, filiale de Boralex, a déjà fait beaucoup de bruit. Les élus de Rubempré, ainsi que des communes voisines, ont voté contre. La consultation publique, désormais terminée, a recueilli une large majorité d’avis défavorables. L’association anti-éoliennes Vent de la colère Rub 80, présidée par un éleveur ovin, a même été constituée. Le commissaire-enquêteur doit rendre son verdict au plus tard le 8 mars, mais en attendant, les locaux persistent dans leur opposition.
Gonzague Moullart, lui aussi éleveur d’allaitantes installé à Septenville, hameau du Rubempré, regrette le manque de communication. «Un représentant d’Ecotera, un premier développeur éolien, est venu me démarcher en 2013. Il cherchait des terres pour pouvoir implanter des éoliennes. Après cela, plus personne n’est venu me voir. On se renseigne. On essaie de comprendre. Mais on est très mal informé.» Son corps de ferme se situerait à 840 m de la première éolienne. Aura-t-elle un impact sur son troupeau de soixante-dix mères charolaises ?
«Si la construction se fait, je pense réaliser un état des lieux avant la mise en fonctionnement, pour pouvoir prouver le bon fonctionnement actuel de l’élevage.» Pas question, pour le naisseur, de s’engager dans un projet d’engraissement qu’encourage sa coopérative. «Je ne veux pas faire d’investissements tant que la menace du projet éolien est présente.»
Quel héritage ?
Gonzague Moullart s’inquiète aussi pour d’autres aspects : «Combien de tonnes de béton va-t-on laisser dans les champs pour nos enfants ? Dans quelles conditions sera réalisé le démantèlement ? Le promoteur n’aura-t-il pas changé entre-temps ?» Cette artificialisation du sol est un sujet délicat, dans cette zone encline à l’érosion. Située à quelques kilomètres, la commune de Naours subit régulièrement des inondations et des coulées de boue. «Les prairies maintenues grâce à notre activité d’élevage jouent un rôle tampon. Si nous ne pouvons plus exercer, leur disparition pourrait avoir de lourdes conséquences», s’accordent à dire les éleveurs. La biodiversité pourrait aussi souffrir. L’étude écologique relève «une activité des chiroptères plus forte sur les milieux de lisières arborées, de haies et de prairies. Or, les éoliennes E3 et E4 sont respectivement situées à moins de 200 m. C’est en contradiction avec l’accord international Eurobats relatif à la conservation des populations de chauves-souris qui préconise une distance minimale de 200 m».
Un sentiment d’oppression
Au-delà de leur activité agricole, les éleveurs partagent les arguments de la population locale. «Je crains pour les nuisances sonores, pour la dégradation du paysage et pour la dévaluation de ma maison», regrette Gonzague Moullart. L’étude acoustique a d’ailleurs fait apparaître des dépassements des seuils règlementaires, et recommande un bridage des éoliennes pour réduire l’impact. «Nous avons la chance de vivre dans un rare petit coin de nature encore préservé de l’activité éolienne. Dans la Somme, nous subissons un sentiment d’oppression. Ce parc éolien, c’est le début de l’encerclement», ajoute Nicolas Debuysscher. Le rapport présenté à la population mentionne en effet, dans un rayon d’environ 20 km, 131 éoliennes à terme. Les agriculteurs, habitués à la multiplication des contraintes législatives, se sentent dédaignés. Pour Nicolas Debuysscher, «puissants ou misérables, tout le monde devrait être soumis aux mêmes règles». Or, les régimes contentieux d’exception dont bénéficie le secteur éolien font grincer des dents.