Coronavirus et nouvelles mesures : quid des secteurs agricoles ?
Dans une nouvelle adresse à la Nation le 16 mars, Emmanuel Macron a annoncé que les Français devront rester à leur domicile «pendant quinze jours au moins». Seuls restent autorisés «les trajets nécessaires»: faire les courses, se soigner, aller au travail (si le télétravail est impossible) et pratiquer une activité physique. «Nous sommes en guerre» contre le coronavirus, a répété le chef de l'Etat, appelant les Français à la «mobilisation générale» et à ne «céder à aucune panique». Les entreprises bénéficieront d'un «dispositif exceptionnel de report de charges fiscales et sociales, de soutien ou report d'échéances bancaires et de garanties de l'Etat à hauteur de 300 milliards d'euros pour tous les prêts bancaires contractés auprès des banques». Sur le plan institutionnel, outre le report du second tour des municipales, M. Macron a indiqué qu'un projet de loi «permettant au gouvernement de répondre à l'urgence» sera présenté au Conseil des ministres le 18 mars, puis examiné par le Parlement «dès jeudi». Ce texte permettrait «lorsque nécessaire, de légiférer par ordonnance dans les domaines relevant strictement de la gestion de crise». «Toutes les réformes en cours [sont] suspendues, à commencer par la réforme des retraites», a expliqué le président de la République.
Bruxelles appelle à limiter la perturbation des échanges, notamment alimentaires
La Commission européenne a appelé, le 16 mars dans des recommandations à l'attention des États membres, à éviter la formation d'embouteillages aux frontières intérieures de l'UE et à permettre le transport de biens malgré les contrôles destinés à lutter contre le coronavirus. Plusieurs États membres, dont l'Allemagne, ont fermé plus ou moins partiellement leurs frontières ou imposé des contrôles sanitaires. La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, le président du Conseil européen Charles Michel, le président français Emmanuel Macron et la chancelière allemande Angela Merkel, ont eu, le même jour par visioconférence, un échange sur la préparation des mesures à prendre dans l'espace Schengen pour permettre la libre circulation des camions transportant des denrées alimentaires et du matériel médical. La Commission européenne a par ailleurs proposé, le 13 mars, une Initiative d'investissement dans la lutte contre le coronavirus dotée de 37 milliards d'euros constitués de fonds dormants. Ursula von der Leyen a, à cette occasion, promis une «flexibilité maximale» dans l'application des traités, face aux potentielles entorses des pays européens aux règles budgétaires ou à celles liées aux aides d’État.
«Pas de rupture» ni à l'amont ni à l'aval, selon les coopératives
«Nous gérons au mieux heure par heure pour assurer la continuité. Tout est en alerte. Tout est en flux tendu, mais il n’y a pas de rupture à ce stade», garantit Dominique Chargé, président de la Coopération agricole, à Agra Presse le 16 mars, à la suite des annonces du gouvernement pour contrer l’épidémie de coronavirus. Seule modification pour l’instant : est privilégiée la production de masse aux produits plus segmentés. Si les taux d’absentéisme avoisinent 15-20 %, voire 30 %, dans certaines usines, ils sont «tout à fait gérables». Il assure que les coopératives sont mobilisées «pour fournir les clients, mais aussi approvisionner les usines» en maintenant la continuité de la collecte dans les exploitations. Parmi les points de vigilance pour les approvisionnements des exploitations figurent la nutrition animale et les semences pour les semis de printemps. De plus, si les commandes de la restauration hors domicile (RHD) sont en baisse de 50 à 70 % à la suite de la fermeture des restaurants, cela permet le «transfert de matière» vers les commandes de la grande distribution, qui, à l’inverse, augmentent fortement. L’ensemble des acteurs de la chaîne alimentaire échangent deux fois par jour autour des ministres de l’Économie et de l’Agriculture pour faire un point de situation.
Accueil de public : matériel et intrants agricoles épargnés par les restrictions
Dans un arrêté paru au Journal officiel le 16 mars, le ministre de la Santé détaille les nouvelles restrictions d'accueil de public annoncées le 14 mars par le Premier ministre. L'arrêté détaille une liste positive de types d'établissements ne pouvant plus accueillir de public jusqu'au 15 avril (restaurants, musées, commerces...). Dans le cas des «magasins de vente et centres commerciaux», l'interdiction exclut «leurs activités de livraison et de retraits de commandes». Et dans cette catégorie, certains types d'établissements échappent complètement à l'interdiction d'accueil de public, comme les «supermarchés», «commerces alimentaires», mais aussi les établissements d'«entretien et réparation de véhicules automobiles, de véhicules, engins et matériels agricoles», de «fourniture nécessaire aux exploitations agricoles» ou «location et location-bail de machines et équipements agricoles». Concernant la catégorie des «restaurants et débits de boissons», l'interdiction de recevoir du public exclut «leurs activités de livraison et de vente à emporter, le “room service” des restaurants et bars d'hôtels et la restauration collective sous contrat».
Alimentation animale : livrer les élevages, «une priorité» pour le Snia
En lien avec les pouvoirs publics, le Snia (fabricants d'alimentation animale) est en train «d'identifier les besoins» des industriels afin de «participer à notre niveau à la continuité de la chaîne de production alimentaire», indique le syndicat à Agra Presse le 16 mars. Ce travail s'appuie notamment sur une «cellule de suivi (…) mise en place par le secteur pour suivre l’évolution de la situation, identifier les difficultés et les besoins», d'après un communiqué du même jour. «Assurer les livraisons d’aliments en élevages est une priorité», insiste le syndicat. D'après le directeur du Snia Stéphane Radet, les principaux enjeux pour le secteur sont «d'avoir accès aux matières premières, de pouvoir fabriquer et de pouvoir livrer». Le Snia a «des demandes très précises pour plus de flexibilité en termes de transport et d'horaires de travail», précise-t-il à Agra Presse.
En viande, forte demande et peu de perturbations dans les abattoirs
«A ce jour, l'activité est très bonne avec une forte demande en produits frais et congelés, comme les poulets congelés et les steaks hachés», explique Paul Rouche, directeur délégué de Culture viande (industriels), interrogé par Agra Presse le 16 mars. Une situation qui pourrait toutefois rapidement se dégrader, prévient-il, notamment en raison du «syndrome du congélateur plein» (baisse des achats après une période de stockage dans les foyers). Le responsable de Culture viande alerte aussi sur la situation «très compliquée» des entreprises livrant à la restauration, qui représente selon lui «20 à 22 % de l'activité» du secteur. Interrogé sur l'impact de l'absentéisme des salariés lié à l'épidémie de coronavirus, M. Rouche estime que les abattoirs «ne sont pas encore pénalisés». «En cas de confinement généralisé (si les salariés ne pouvaient pas se rendre à leur travail, NDLR), l'activité des abattoirs risquerait d'être pénalisée», nuance-t-il, ajoutant que «si les abattoirs ralentissaient la cadence, ce serait une catastrophe, surtout en porc.»
Coronavirus: l'APCA fermée, les chambres s'organisent pour assurer la continuité
«La Maison des chambres d’agriculture (APCA) sera fermée à partir de mardi 17 mars», annonce un communiqué du 16 mars, précisant que «des mesures de travail à distance sont mises en place afin d’assurer la continuité du service». La situation dans les chambres départementales et régionales est plus confuse, le communiqué indiquant que le président de l'APCA Sébastien Windsor «a demandé dès dimanche que l’ensemble du réseau des chambres prenne des dispositions adaptées aux annonces du Premier ministre», tout en «s’organis[ant] pour continuer à être disponible et apporter des solutions aux demandes des agriculteurs». «L'APCA a préconisé que les établissements ferment», affirme de son côté Annabel Foury, secrétaire nationale de la FGA-CFDT, premier syndicat des salariés des chambres. La tête de réseau est aussi «en contact avec le ministère de l'Agriculture», rapporte la syndicaliste, notamment pour étudier la possibilité de reporter la déclaration Pac (normalement fixée au 15 mai).
La proximité avec les consommateurs limite la panique dans les magasins bio
«Nous n’avons pas eu de mouvement de panique en distribution bio», indique Henri Godron, président du Synadis et directeur de quatre magasins Biocoop, à Agra Presse. La distribution spécialisée a vu elle aussi une forte hausse de sa fréquentation et de ses ventes pendant le week-end, de 30 à 40 % selon le Synadis. Mais cette hausse n’a conduit à aucune rupture dans les magasins, qui disposent en moyenne de trente jours de stocks. «Nous connaissons mieux nos clients que dans la distribution conventionnelle, ils nous font confiance et nous avons pu leur expliquer que tous les produits resteraient disponibles», se félicite Henri Godron. Côté logistique et approvisionnement, «pas de signe d’inquiétude» non plus selon M. Godron, qui rappelle que le bio «a moins de produits importés du fait de la priorité donnée à l’agriculture française». La polyvalence des équipes, représentant dix salariés en moyenne, permettra par ailleurs de faire face aux arrêts maladies. «Nous pourrons rester ouverts, même avec 10 ou 15 % de salariés arrêtés», rassure Henri Godron. Sans avoir encore reçu d’indication du gouvernement, les membres du Synadis sont en discussion pour étendre leurs horaires d’ouverture et prévoir des plages dédiées aux personnes fragiles, malades et personnes âgées.
Christiane Lambert: «La continuité de l’activité agricole, c’est notre préoccupation»
«La continuité de l’activité agricole, c’est notre préoccupation du jour», indique Christiane Lambert, présidente de la FNSEA, à Agra Presse le 16 mars. Alors que les consommateurs font la queue dans les grandes surfaces, la responsable syndicale demande que le secteur dans son ensemble soit exempté des restrictions de déplacement et d'activité que le gouvernement pourrait annoncer. «Tout ce qui fait l‘activité agricole doit pouvoir continuer à fonctionner. Et cela va des usines, jusqu’aux approvisionnements en fuel, au matériel agricole, aux pièces détachées, à l’équarrisage», précise-t-elle. Autre inquiétude : la disponibilité en main-d’œuvre étrangère, essentielle pour le secteur maraîcher, qui s’apprête à cueillir les premières fraises et les premières asperges. «Des pays ont bloqué leurs frontières, or il faut du monde pour récolter, et les flux en provenance de Roumanie ou de Pologne doivent être maintenus», demande Christiane Lambert. Le 12 mars, dans son allocution télévisée, Emmanuel Macron avait évoqué «des décisions de rupture», notamment pour «reprendre le contrôle» dans le secteur alimentaire. «Quelles seront-elles ? Un budget plus important pour la Pac ? Des stocks stratégiques ? Une meilleure priorisation sur l’alimentation à la française ?», s’interroge Christiane Lambert. Des pistes qui, espère-t-elle, seront considérées avec autant de gravité une fois la crise passée.
La Conf’ et le Modef demandent de nouvelles mesures pour les paysans
La Confédération paysanne, dans un communiqué de presse du 16 mars demande au «gouvernement qu’il établisse des mesures de protection prioritaires pour que les paysans et l’ensemble des personnes impliquées dans l’alimentation puissent continuer leur travail». Le syndicat souhaite également que soit mis en place un recensement des filières et producteurs en difficulté afin qu’ils soient indemnisés et pour travailler à une réorientation rapide «vers des nouveaux débouchés qui répondent aux besoins du territoire». Après une première alerte le 5 mars, la Conf’ rappelle qu’elle souhaite le maintien des marchés de plein vent. De son côté, le Modef «demande en urgence» la mise en place de «prêts de trésorerie à 0 % auprès des banques afin d’assurer la continuité des exploitations agricoles, (…) un rééchelonnement des crédits bancaires et la mobilisation de Bpifrance pour garantir des lignes de trésorerie bancaire dont les entreprises pourraient avoir besoin à cause de l’épidémie et la prise en charge des cotisations sociales». Le syndicat souhaite également que le ministre de l’Agriculture «organise une réunion par vidéo-conférence entre les présidents des syndicats agricoles».