Alimentation animale
Quand le fourrage vient à manquer...
Avec la sécheresse 2022, les récoltes de maïs fourrage ont trinqué dans certains secteurs de la Somme. Pour de nombreux éleveurs, le compte n’y est pas. Chacun met en place des alternatives pour pallier. Témoignages et conseils d’expert.
Avec la sécheresse 2022, les récoltes de maïs fourrage ont trinqué dans certains secteurs de la Somme. Pour de nombreux éleveurs, le compte n’y est pas. Chacun met en place des alternatives pour pallier. Témoignages et conseils d’expert.
Culture fourragère intermédiaire (trèfle, seigle, vesce) qu’il récoltera au printemps, achat de pulpes surpressées supplémentaires, pesée des aliments encore plus stricte cette année… Jérôme Boinet, éleveur de quatre-vingt vaches laitières et leurs élèves à Buigny-lès-Gamaches, fait partie de ceux qui comptent les jours avant la prochaine récolte de maïs fourrage. «J’ai cumulé deux mauvaises années. 3 ha ont été ravagés par les corbeaux en 2021, puis le maïs a souffert de la sécheresse en 2022. Deux tiers des parcelles présentaient des pieds de 1,80 m de haut, avec une qualité détériorée. Dès l’automne, je savais que le stock ne suffirait pas pour la saison», confie-t-il. Des témoignages comme le sien sont nombreux cette année.
C’est aussi le cas d’Édouard Brunet, installé à Cayeux-sur-Mer avec un troupeau de 80 vaches laitières et un atelier d’engraissement de taurillons. «Au total, j’ai récolté 40 % de volume en moins. Ça montait à 60 % de moins dans les terres sableuses», commente le jeune agriculteur. Lui déplore aussi le manque d’herbe en début de saison. «Forcément, on a tapé tôt dans les stocks.» Il se creuse donc la tête pour trouver des solutions. «On a acheté de l’enrubannage a un agriculteur qui arrête l’élevage, et de l’Amyplus.» Pour ces éleveurs, les achats extérieurs «ont un coût». Tous les deux conduisent leur troupeau en conséquence. «Je ne remplis pas mon atelier de taurillons. Il y en a quarante contre cent d’habitude, et je vends les broutards», explique Édouard Brunet. Jérôme Boinet vend les génisses qui n’ont pas rempli à l’insémination. Tous espèrent désormais des conditions favorables à la pousse de l’herbe pour pouvoir valoriser les prairies. Mais celle-ci, qui souffre du retard de cumul des températures (d’environ trois semaines), laisse déjà prévoir une sortie tardive des animaux.
Le point sur les stocks
Pour Claire Leroy, conseillère en élevage à la Chambre d’agriculture de la Somme, la première chose à faire lorsqu’on craint une avancée trop rapide du silo est un point sur les stocks. «Si le fourrage est déficitaire, il faut limiter le nombre de bouches à nourrir, en anticipant des réformes, en tarissant un peu plus tôt, tout en faisant attention aux animaux qui graissent et qui peuvent rencontrer des difficultés au vêlage», indique-t-elle. Les animaux à l’engraissement peuvent aussi être vendus un peu plus tôt, même s’ils ne sont pas tout à fait finis. «Une astuce peut aussi être de passer les génisses en ration paille et concentrés.»
Pour les achats extérieurs, Claire Leroy préconise de s’y prendre à l’avance. «Il peut s’agir d’Amyplus, de Corn gluten feed, de purée de pomme de terre ou de pois, ou de maïs en silo chez des éleveurs qui cessent leur activité...» Pour renflouer les stocks au plus vite, 1 ou 2 ha d’une variété précoce de maïs peuvent être semés. «Même s’il ne sera pas bien sec ou parfaitement mûr, ça peut dépanner.» Certains ont recours à l’ensilage de céréales immatures, au stade laiteux-pâteux. «À 0,7 UFL et un potentiel de 8 t de MS/ha, ce n’est pas la solution miracle, mais c’est une piste.» Surtout, pour la conseillère, il faudra savoir valoriser ses prairies au mieux. «Quand l’herbe sera là, il ne faudra pas la gâcher.» La pousse d’automne n’est parfois pas exploitée. S’il est compliqué de ressortir les génisses, une fauche de l’herbe peut être effectuée.
Voir à long terme
Des leviers peuvent aussi être actionnés pour des solutions à plus long terme. «Le potentiel des prairies peut être amélioré, avec du sur-semis par exemple.» Les cultures fourragères de sorgho, betteraves, luzerne, silphie ou cultures intermédiaires avec une base seigle sont des compléments bienvenus. Quant au troupeau, il s’agit d’élever au plus juste le nombre de génisses. «L’âge au vêlage peut être optimisé. Pour exemple, 4 t de fourrage par génisse et par an sont économisés lors d’un vêlage à vingt-six mois, contre un vêlage à trente-six mois.» Une chose est sûre : une année comme celle de 2022 doit inciter les éleveurs à adapter leurs pratiques.
En bio, une dérogation pour du fourrage conventionnel
La Somme est loin d’être la seule à souffrir du manque de fourrage. En Bretagne, l’observatoire des fourrages a relevé un déficit de pousse de l’herbe de 43 % par rapport à la moyenne des vingt dernières années, entre le 1er février et le 31 août 2022. Les premiers à trinquer sont les systèmes bio, très souvent des systèmes herbagers. Pour ceux-ci, il existe une possibilité à titre individuel de demander une dérogation pour acheter des fourrages non bio. Les conditions à réunir sont les suivantes : être en déficit de production fourragère avéré ou en zone sécheresse avec un arrêté préfectoral. En cas d’absence d’arrêté préfectoral, demander une attestation à la DDT ; ne pas trouver de fourrages bio dans un rayon de 100 km ; présenter un bilan fourrager pour plusieurs mois pour l'ensemble du troupeau et ainsi justifier le déficit fourrager ; prévoir d’acheter en non bio seulement des fourrages grossiers, à savoir luzerne à l’exclusion de la luzerne déshydratée, trèfles, herbe (foin, ensilage, enrubannage ; réserver en priorité les fourrages non bio aux animaux non productifs. La demande peut se faire en ligne (sve.derogationbio.inao.gouv.fr). Un formulaire papier est également disponible sur ce site. La demande est à faire pour toute la période où des animaux seront alimentés avec ces fourrages achetés. Elle est à retourner à l’organisme de certification qui transmet à l'Inao. Il faut impérativement attendre d’avoir l’autorisation de l’Inao avant de faire tout achat de fourrage non bio.