Emmanuel Hyest : «La financiarisation du foncier agricole est inquiétante»
Emmanuel Hyest, président de la FNSafer.
L’agriculture perd de plus en plus de terres au profit de l’urbanisation. Sentez-vous une véritable volonté d’endiguer ce phénomène ? Avec quels moyens juridiques ?
Il y a, une véritable volonté politique, notamment des services de l’Etat. Les élus ont pris conscience du fait que le foncier agricole n’est pas un espace illimité. Certains persistent à croire que c’est un tas dans lequel on peut piocher sans vergogne, mais ils sont moins nombreux. Preuve que notre discours sur l’économie du foncier commence à porter. Il y a, d’ailleurs, des avancées avec les Scot et les PLU intercommunaux qui permettent aux élus d’avoir une vision plus large de leur territoire et cela apporte une réelle cohérence.
En cela, on peut dire que les moyens juridiques existants font leurs preuves. Néanmoins, le foncier agricole reste moins bien protégé que le foncier forestier. Essayez de changer la destination d’une forêt et vous verrez les difficultés pour y parvenir : compensations, études… L’idéal serait que le foncier agricole jouisse des mêmes protections. Je dis cela, non par esprit corporatiste, mais parce qu’il s’agit d’un véritable enjeu d’intérêt général.
Quelle est votre opinion sur la financiarisation du marché foncier ?
L’acquisition de foncier agricole par des sociétés financières est un phénomène qui se développe et qui n’est pas sans nous inquiéter. Ces sociétés sont opaques et il est difficile de savoir qui est réellement propriétaire. La loi d’avenir et la loi Sapin ont rendu obligatoire la notification des cessions de parts à la Safer. Mais uniquement avec droit de préemption si 100 % des parts sont vendues. Il est difficile de savoir ce que recouvrent exactement ces parts de société : foncier, matériel… Notre demande est que le foncier soit séparé du capital d’exploitation dans ces parts. Les nouvelles sociétés qui seront créées devront le faire. C’est une nouveauté de la loi qui doit se mettre en œuvre.
Plus globalement, je pense que l’agriculture n’a rien à gagner de la financiarisation du foncier. Le modèle d’agriculture familiale que nous promouvons a fait ses preuves : c’est l’agriculteur qui doit garder la maîtrise de ses outils de production et les décisions financières. Si des fonds financiers interviennent, le risque est grand pour l’agriculteur de perdre son autonomie.
Cette tendance pousse à avoir des sociétés de capitaux de plus en plus importantes, qui posent la question de leur transmissibilité. Même si ces exploitations sous forme sociétaire sont rentables, qui pourra racheter les parts ? Rarement la famille, et c’est bien là la crainte.
Quelles sont les relations entre la FNSafer et la SCI Labelliance ?
Labelliance propose un placement financier dans du foncier à moyen terme et cela pose une réflexion sur le financement de l’agriculture. La SCI Labelliance donnerait à bail à un ou des agriculteurs les terres qui lui auront été attribuées. Ceux-ci seront libres ensuite dans le temps de les acheter ou pas. Nous essayons de travailler avec Labelliance pour tester cet outil qui mérite d’être regardé lorsqu’il y a des difficultés de financement. Mais nous restons prudents pour l’instant.
Nous le savons, les pas-de-porte sont monnaie courante dans le Nord de la France. Quels en sont les impacts sur le marché des biens loués ?
L’impact est réel sur le prix du foncier que les pas-de-porte font monter. C’est d’autant plus vrai, lorsqu’il y a des montages sociétaires avec un risque de sur-évaluation du prix des biens loués. Cela a, bien entendu, des conséquences fiscales, notamment dans le cadre de transmissions familiales qui sont ré-évaluées et donc plus fiscalisées. Le problème est qu’il y aura toujours des agriculteurs pour faire monter les prix. L’idéal serait de définir la valeur économique d’une exploitation agricole et de fixer une fourchette autour de cette valeur. Cela serait moins impactant pour la compétitivité de l’agriculture.
Dans le Nord de la France, le phénomène de location à l’année de terres par des agriculteurs belges, entre 1 000 et 1 500 euros/ha se développe. Cette pratique ne va pas encourager les propriétaires à signer des baux ruraux. La Safer a-t-elle les moyens d’intervenir ?
La Safer n’a malheureusement aucun moyen d’action dans ce cadre. Mais c’est une question de volonté politique de la profession agricole et de partage de la valeur ajoutée entre agriculteurs. Si on n’a pas assez de terres pour faire des pommes de terre ou des cultures industrielles, pourquoi vouloir en faire plus?
On peut par ailleurs rappeler que la sous-location par un fermier est interdite et que c’est même un motif de résiliation de bail. Attention à ces pratiques.
Des propriétaires peuvent aussi être tentés par ces pratiques et, ainsi, échapper au statut du fermage. D’ailleurs, certains ne souhaitent plus louer et font exploiter leurs terres.
La Safer développe de plus en plus l’intermédiation locative. Pouvez-vous nous expliquer en quoi cela consiste ?
L’intermédiation consiste en la recherche d’un ou de plusieurs fermiers pour des surfaces dont les propriétaires ne veulent pas choisir eux-mêmes. La Safer recherche les exploitants, effectue toutes les démarches administratives et ces dossiers sont aussi souvent l’occasion de faire de la restructuration foncière au passage. Cela concerne donc essentiellement des terres en location et permet un règlement global, aussi bien social que fiscal.
Revenons aux missions classiques des Safer. Quelle proportion d’interventions sur le marché foncier l’année dernière ? Combien d’installations ? Quel type d’intervention ?
En 2016, 10 500 acquisitions ont été réalisées, correspondant à 93 800 ha et 12 700 attributions, pour 96 400 ha. Ces surfaces se répartissent notamment en 34 400 ha en faveur de l’installation (soit 36 % du total des surfaces) et 28 100 ha en faveur de l’agrandissement d’exploitations existantes (29 % du total des surfaces). Les Safer ont contribué à 1 500 premières installations.
Les préemptions ne concernent que 1 300 ha environ, dont environ le quart à la demande des collectivités. C’est extrêmement peu, moins de 1 % des surfaces notifiées par les notaires.
Les rétrocessions se font majoritairement pour l’agriculture, mais aussi pour le développement local ou dans le cadre de la protection pour l’environnement.
Chiffres 2015
Nombre de ventes notifiées par les notaires
220 300 (+ 10 %) Biens acquis
10 300 (+ 2 %) Surface des biens acquis
83 800 ha (+ 1 %) Valeur des biens acquis
1 040 Meuros (+ 1 %) Préemptions
1 260
• 0,6 % des 220 300 notifications de vente
• 26 % à la demande des Collectivités