Emplois en agriculture biologique : le savoir-être employeur
La Fédération nationale d’agriculture biologique organisait
son assemblée générale en Hauts-de-France, à l’institut Charles-Quentin (60). Un colloque s’est tenu le 10 avril sur l’emploi en agriculture bio.
La première table ronde se focalisait sur une question : comment lever les freins à la création d’emplois salariés dans les fermes ? Pierre Maclart, agriculteur bio dans l’Oise, fait part de la difficulté d’embaucher pour la première fois. «Avec nos nouvelles productions, il a fallu embaucher huit saisonniers. Nous avons eu de la chance, car ces personnes sont venues vers nous et, comme j’avais déjà managé une équipe quand j’étais salarié, nous n’avons pas eu trop de difficulté.» Seul souci, le temps passé à les former aux différentes tâches à accomplir, récolte et embouteillage des cidres et jus de pommes : environ une semaine pour chaque salarié.
Même son de cloche pour Véronique Cany, productrice bio dans le Nord, qui insiste sur l’aspect collectif de la démarche. «Nous nous sommes regroupés pour acheter du matériel en Cuma, puis avons embauché ensemble pour éliminer les betteraves montées. Progressivement, avec l’augmentation des surfaces en légumes bio, nous avons eu besoin de plus en plus de main-d’œuvre : 43 000 heures effectuées en 2018. Nous embauchons des salariés qui sont parfois loin du monde du travail et, pour les fidéliser d’une année à l’autre, il faut un vrai management et animer les équipes : des contrats assez longs, varier les tâches à accomplir, de la mixité dans les équipes, former des salariés pour qu’ils puissent encadrer, prendre en compte les difficultés de mobilité.» Véronique Cany déploie des trésors d’imagination pour animer ses équipes : jeu-concours au sein des équipes, mise en ligne des plannings de travail sur Facebook… Pour un résultat probant, puisque 40 % des salariés reviennent l’année suivante.
Ensuite, Véronique Thiébaut, vice-présidente de la Communauté de communes Sud Artois, expliquait les actions de son territoire pour former des salariés et les mettre, au travers un groupement d’employeurs pour l’insertion et la qualification (Geiq), à disposition des entreprises, et notamment des exploitations agricoles, essentiellement en conventionnel pour l’instant. Mais elle ne cachait son intérêt pour le bio «qui permet d’employer plus de main-d’œuvre et de garder une production locale, tout en participant à des projets agricoles de petite taille. En ce sens, producteurs bio et collectivités peuvent travailler de concert.»
Claudine Bourey, directrice de l’agence Pôle emploi de Noyon, quant à elle, rappelait les services que peut apporter Pôle emploi aux agriculteurs en recherche de main-d’œuvre, même si rien de spécifique n’existe actuellement en agriculture bio. Mais elle invite les potentiels employeurs à venir directement présenter leur exploitation dans les agences Pôle emploi pour susciter des vocations. Pôle emploi peut proposer des formations de quatre cents heures préalables à l’embauche, bâties en fonction des besoins de l’employeur.
Autre intervenant, le Service de remplacement qui, selon Camille Montfourny, a bien pressenti le potentiel de développement de l’agriculture bio et de ses besoins en emploi. Une enquête est en cours de construction avec Agriculteurs biologiques en Hauts-de-France afin d’évaluer les besoins et de proposer par la suite des formations aux agents des Services de remplacement qui pourraient intervenir sur des exploitations bio.
Enfin, Rachel Silmon, chargée de l’élaboration d’un bloc de compétences en bio au Fafsea, expliquait que des certificats de qualification professionnelle existent déjà dans le domaine de l’agriculture bio et que l’objectif est de monter en compétences et de certifier les salariés. Des formations courtes existent et des dispositifs de financement peuvent aider à former les salariés. Aujourd’hui, des actions de formation en situation de travail peuvent être reconnues, dispensées par l’agriculteur lui-même sous certaines conditions. Les exploitants ne doivent pas hésiter à se rapprocher de leur délégation régionale Fafsea.
Pour clore la table ronde, les présents étaient invités à classer par ordre de priorité les points importants à développer pour favoriser les emplois salariés en agriculture biologique. Renforcer l’attractivité, former les producteurs au management et accompagner les agriculteurs à objectiver leur rapport au travail sont les propositions qui ont le plus retenu l’attention de la salle.
Assurer le renouvellement des générations
Et si cela passait par des paysans bien formés et heureux ? Tel était le thème de la deuxième table ronde qui a réuni différents acteurs autour de la formation et de la question «qualité de vie et travail».
Pour introduire les échanges, un premier quizz original proposé à l’assemblée portait sur trois questions. En France, combien d’agriculteurs ont plus de cinquante ans ?
quelle est la proportion de candidats à l’installation qui ne sont pas issus du monde agricole ?
Et, parmi ces porteurs de projet, combien envisagent de produire bio ? Les réponses ont créé un effet de surprise. 30 % des agriculteurs ont plus de cinquante ans, le taux de porteurs de projet non issus du milieu agricole est de 65 %. C’est aussi le pourcentage de candidats à l’installation qui envisagent, au niveau national, de produire en agriculture biologique.
Lors d’une première séquence autour de la formation, les intervenants se sont interrogés sur la place donnée à la bio dans les lycées agricoles. Philippe Vinçon, directeur général de l’enseignement et de la recherche au ministère de l’Agriculture, évoque l’évolution de l’enseignement agricole au sein duquel l’agriculture tient une place minoritaire. Les enfants d’agriculteurs représentent 10 % du public accueilli dans les établissements. Une campagne de formation proposée aux jeunes lors de l’orientation consiste à faire connaître les formations proposées. «On s’adresse prioritairement à des jeunes non issus du milieu agricole».
Pour Philippe Poussin, secrétaire général du Cneap (Centre national de l’enseignement agricole privé), la question de l’enseignement doit être posée comme une réponse aux attentes de la société. La question du service à la personne est importante, mais également la cohérence des métiers dans les territoires. Pour la bio, «on peut faire mieux, c’est incontestable». Quelques initiatives sont présentées, dont celle d’Agrobio Périgord, qui consiste à proposer des certificats de pratique en AB auprès des candidats à l’installation. Quelques participants dans l’assemblée font remarquer que l’enseignement agricole n’apporte pas suffisamment d’agronomie dans ses programmes, un prérequis indispensable pour évoquer l’agriculture bio.
Qualité de vie et travail
Deuxième séquence : plusieurs personnes évoquent la question de la qualité de vie et du travail. Emmanuel Houeix, maraîcher dans la métropole d’Amiens, témoigne de ses choix : limiter la charge de travail, prendre plusieurs semaines de congé et obtenir un salaire décent. Pour le jeune maraîcher, ses différents objectifs sont atteints en maîtrisant les investissements et en se fixant ces objectifs comme des priorités dès l’installation.
Cette même démarche est évoquée par Patrick Guillerme, éleveur laitier dans le Morbihan. «Il est possible de vivre avec 100 000 l de lait par actif quand on maîtrise les moyens de gestion et de suivi de son exploitation». Pour Emmanuel Béguin, ingénieur à l’Idele (Institut de l’élevage), l’attractivité du métier d’éleveur est un enjeu majeur. Il faut pouvoir répondre aux questions diverses posées par les différents modes d’organisation du travail.
Sylvie Bourgeais, représentante Vivea, présente une expérience lancée en région Limousin, centrée sur le questionnement autour du bien-être au travail. «Aborder cette question n’a rien d’évident». Le programme, auquel sont associés plusieurs établissements d’enseignement et l’Idele, a permis de mettre en avant une démarche d’accompagnement basée sur de nouvelles compétences et des moyens d’animation renforcés. L’idée est de passer par une prise de conscience du rapport au travail et du recul par rapport à des objectifs personnels.
La deuxième table ronde était conclue par Guillaume Riou, président de la Fnab : «50 % des agriculteurs vont cesser leur activité dans les douze années à venir. Cela représentera près de 12 millions d’hectares libérés. Le plus grand danger pour la ferme France, c’est la démographie agricole». Et un enjeu apparaît : favoriser des exploitations qui mettent en valeur les territoires.
Gilles Salitot (CA60)
L’emploi en agriculture biologique
Entre 2010 et 2015 : 1,1 % de perte d’emploi agricole globale par an
En 2012 : + 9,5 % d’emploi agricole bio
En Hauts-de-France : en 2018, trois fois plus d’emplois générés en agriculture bio qu’en conventionnel
33 % des producteurs cherchent à embaucher
En 2018, seuls 15 % des salariés en agriculture bio avaient une expérience en ce domaine
Plus de 60 % des sondés pensent qu’il y a du travail dans les fermes bio mais qu’il n’est pas assez attractif