Faut-il aérer ses prairies au risque de favoriser les adventices ?
Les essais menés par Arvalis à la station de Saint-Hilaire-en-Woëvre (55) confirment l’absence d’effets positifs
du passage d’outils destinés à aérer les prairies. Ils peuvent même, pour les plus agressifs, générer des chutes de production allant jusqu’à 30 % du témoin.
de qualité tant au pâturage qu’en fauche.
Il existe aujourd’hui sur le marché près d’une centaine d’outils destinés à l’entretien mécanique des prairies sous une vingtaine de marques. Certains ne possèdent qu’une fonction (ébousage, étaupinage, émoussage...), d’autres proposent de nouvelles fonctions (aération, scarification…). Peu d’études existent sur l’intérêt d’aérer les prairies et il est bien souvent difficile de faire la part entre les arguments marketing annoncés et les résultats techniques mesurés.
Destinée à aérer superficiellement (2 à 5 cm) les prairies, la scarification ouvre le sol pour fractionner les racines et favoriser la circulation de l’air et la minéralisation de la matière organique. Certaines prairies de longue durée ont tendance à accumuler de la matière organique sur les premiers centimètres du profil et ce feutrage asphyxiant (le mat racinaire) peut limiter leur productivité.
Certains outils pour décompacter permettent un travail encore plus en profondeur (de 5 à 20 cm selon les outils) et sont destinés à redonner du volume à un sol très tassé par le piétinement des animaux. Ces techniques d’aération sont censées améliorer la productivité de la prairie grâce à un meilleur fonctionnement du sol, une meilleure circulation de l’air et de l’eau, un meilleur réchauffement… Qu’en est-il ?
Références expérimentales
Afin de répondre aux interrogations des éleveurs, un essai a été conduit à la station expérimentale Arvalis de Saint-Hilaire-en-Woëvre (55) entre 2007 et 2011. Arvalis-Institut du végétal l’a conduit en partenariat avec l’Inra de Mirecourt, les Chambres d’agriculture de Haute-Marne et de Haute-Saône, et le Cesam des Vosges. Leur objectif : mesurer l’impact de l’aération sur la flore, la qualité et la productivité de la prairie.
La parcelle est une ancienne prairie temporaire implantée en 1991 avec un mélange ray-grass anglais-trèfle blanc exploitée en fauche tardive (foin) et pâturée ensuite. Son faible niveau de production semblait traduire un problème de compaction. L’essai a été conduit en bandes de 100 m de long sur 6 m de large sans répétition.
Trois outils ont été choisis en fonction de leur profondeur de travail : une herse Ponge qui découpe les deux à trois premiers centimètres, la herse Prairial de Carré qui découpe les quatre à six premiers centimètres, l’A-Airsol de Grégoire qui décompacte sur 10 à 15 cm. Ce dernier outil a été évalué selon deux réglages : en position agressive (angle d’attaque des dents de 4,75°) et en position non agressive.
Les outils sont passés tous les ans en fin d’hiver pour les moins agressifs (Herse Ponge, Prairial, A-Airsol en position non agressive) et seulement deux fois au cours de l’essai pour l’A-Airsol en position agressive à l’automne.
Parmi les critères suivis, l’évolution du taux de sol nu apparaît surtout liée à l’effet année. Cependant, en moyenne sur cinq ans, ce taux est au mieux égal au témoin (5,4 %) et au pire plus de deux fois supérieur (12,8 %) pour l’outil travaillant le plus en profondeur.
Moins de bonnes graminées
Concernant la flore, l’élément le plus marquant est l’augmentation du taux de légumineuses (trèfle blanc) sur les bandes travaillées, au détriment des bonnes graminées (ray-grass essentiellement). Ainsi, le taux de légumineuses a été multiplié par 3,5 en moyenne sur les bandes travaillées entre 2007 et 2011 quand il n’a été multiplié que de 1,6 sur la même période pour le témoin. Le développement de plantes diverses, et notamment de la mousse, est lié à un effet année, mais il est en général toujours plus important sur les bandes travaillées.
Aucun effet positif du passage des outils d’aération sur le rendement de la prairie n’est observé : celui-ci est au mieux égal à celui du témoin. Mais il peut, certaines années et pour les outils les plus agressifs, être inférieur de 30 % à celui du témoin.
Enfin, le passage d’outils d’aération du sol n’a pas eu d’effet significatif sur les indices de nutrition P et K, pas plus que sur la valeur alimentaire du fourrage récolté au premier cycle.
Ces résultats corroborent ceux obtenus dans deux autres séries d’essais. Le premier, réalisé par les Chambres d’agriculture des Pays de la Loire entre 2002 et 2004, concluait que dans quatre situations sur cinq, le passage d’un outil d’aération du sol n’avait pas eu d’effet significatif sur la production. La seule situation où cette décompaction avait eu un impact positif concernait une prairie fortement tassée suite à du piétinement en conditions humides au printemps. Le passage de l’outil à l’automne a permis un gain de 1,5 t MS/ha au printemps suivant (soit 20 % du rendement annuel).
Le second essai a été réalisé par l’Institut de l’élevage dans le Massif central entre 2003 et 2006 sur deux parcelles présentant un mat racinaire épais et justifiant a priori l’emploi d’un outil d’entretien mécanique. Le passage des outils d’aération a conduit au développement des plantes diverses au détriment des graminées et des légumineuses.
D’autre part, quel que soit l’outil utilisé, aucun n’a montré une réelle efficacité vis-à-vis de la litière et de sa décomposition. Les indices de nutrition évoluent de façon identique sur la modalité témoin et sur les modalités avec passage d’un outil. Ceci confirme l’absence d’effet du passage de ces outils sur la fertilité du sol. Il en est de même pour la production d’herbe, avec des niveaux analogues dans les différentes modalités.
Les préconisations d’Arvalis
Le passage d’outils d’entretien mécanique des prairies assurant notamment les fonctions d’ébousage et d’étaupinage de la prairie n’est pas remis en cause. Au contraire, il participe à la bonne conduite de la prairie et concourt à la fourniture d’un fourrage de qualité tant au pâturage qu’en fauche. En revanche, l’aération des prairies semble rarement justifiée, quelle que soit la profondeur de travail : elle n’a pas d’incidence positive sur la production et la fertilité des sols, elle génère une dégradation de la qualité de la flore, un coût et du temps de travail.