Franck Riester : "sans garanties, nous nous opposerons à l’Accord sur le Mercosur»
Franck Riester, ministre du Commerce extérieur, détaille la stratégie de Paris auprès de ses partenaires européens et des institutions internationales.
Franck Riester, ministre du Commerce extérieur, détaille la stratégie de Paris auprès de ses partenaires européens et des institutions internationales.
La Commission européenne présentait le 18 février une proposition de révision de la politique commerciale de l’UE. Quelles sont vos priorités pour cette politique ?
Nous voulons tirer les leçons de la crise sanitaire, et des défis environnementaux auxquels nous sommes confrontés, le tout dans un monde peu coopératif et marqué par de fortes tensions commerciales. Nous souhaitons donc développer notre autonomie stratégique et nous doter d’instruments robustes pour faire face aux pratiques commerciales déloyales. La politique commerciale doit être pleinement cohérente avec nos engagements pour le développement durable et le changement climatique.
Nous avons défini quatre axes dans notre contribution française. D’abord, construire une autonomie stratégique ouverte et durable, puis renforcer et améliorer l’utilisation des instruments de l’Union pour veiller à une concurrence plus équitable, moderniser l’OMC pour apporter des solutions pérennes aux déséquilibres du commerce mondial et, enfin, mieux prendre en compte nos intérêts stratégiques et nos attentes en matière de développement durable dans nos relations avec nos partenaires.
La naïveté européenne est souvent reprochée à l’UE face à des concurrents qui se posent moins de questions. Avons-nous les moyens d’être moins naïfs ?
En ce qui concerne l’agriculture, nous avons besoin de renforcer les outils qui nous permettent de garantir notre sécurité alimentaire. Nous allons veiller à trouver les moyens adaptés dans notre politique commerciale. Nous devons également mieux défendre nos droits et renforcer notre arsenal européen pour lutter contre les pratiques commerciales déloyales de certains États tiers. Je pense notamment à l’instrument qui sera bientôt proposé par la Commission européenne pour nous permettre de répondre rapidement à toute mesure de coercition économique contre nos intérêts.
Comment défendez-vous l’application de clauses miroirs ?
C’est une question de cohérence. Nous demandons à nos producteurs de respecter des normes strictes sur le plan environnemental et sanitaire, et il est important que ces efforts ne soient pas amoindris par une augmentation des importations qui viendraient de zones appliquant des standards moins ambitieux. Nous militons pour la mise en place de clauses miroir à chaque fois qu’il y a une justification au regard de nos objectifs environnementaux et sanitaires. Par exemple, à partir de janvier 2022, toutes les viandes importées dans l’Union devront avoir été produites sans antibiotique comme facteur de croissance. C’est une mesure miroir qui permet de lutter contre le phénomène mondial d’antibiorésistance.
Nous allons travailler sur d’autres sujets, en rappelant que les intérêts concernant la santé et l’environnement demeurent au-dessus des intérêts commerciaux. C’est pour cela aussi que nous avons défendu la création d’un procureur commercial européen.
Avec la récente nomination de la Nigériane Ngozi Okonjo-Iweala à la tête de l’Organisation mondiale du commerce, un souffle nouveau est attendu à l’OMC. Quels sont les travaux à mener en priorité ?
Je me réjouis de la nomination du docteur Okonjo-Iweala, qui est une femme d’expérience, avec un vrai poids politique. Le fait que les Américains aient levé leur veto est aussi une très bonne chose. Il y a beaucoup de défis à relever à l’OMC. Nous avons particulièrement besoin d’une réponse multilatérale pour que le commerce et l’économie, au niveau mondial, soient apaisés et résilients. Il faut des règles qui ne seront pas du protectionnisme, mais qui, au contraire, seront au service de l’environnement, de la santé, de l’intérêt général et du bien commun. Il faut aussi que l’organe d’appel puisse jouer son rôle en matière de règlement des différends, parce qu’il en va du bon fonctionnement de l’OMC.
Nous avons également besoin de mieux encadrer les pratiques déloyales. Par exemple, certaines pratiques chinoises posent problème, notamment en matière de subventions industrielles. Nous pouvons aussi travailler à plus de transparence sur un certain nombre de subventions agricoles. Sur ce point, nous devons à la fois conforter le modèle de la Pac et veiller à ce que tout le monde puisse avoir le même niveau d’information sur ce que sont les aides de certains États.
La Commission européenne finalise la mise en forme juridique et la traduction dans toutes les langues de l’UE de l’accord de libre-échange signé avec le bloc du Mercosur. La France a des réserves sur le volet climatique du texte. Et certaines dispositions inquiètent beaucoup le secteur agricole, notamment celui de la viande. Êtes-vous prêt à redemander une ouverture partielle de certains chapitres de l’accord, et dans quelle mesure est-il encore possible de faire évoluer le texte ?
Le président, le Premier ministre, le ministre de l’Agriculture, et moi-même en tant que ministre du Commerce extérieur, nous l’avons tous affirmé d’une même voix : nous ne soutiendrons pas l’accord en l’état. On ne peut pas être plus clair. Si le texte venait à être présenté en l’état, nous nous y opposerions au Conseil. Cet accord doit rester un accord mixte, qui serait donc soumis à une ratification dans chaque État membre de l’UE.
Avant de pouvoir avancer, nous voulons des garanties très fortes sur la question du respect de l’accord de Paris, sur le respect des règles sanitaires et phytosanitaires européennes, sur la question de la lutte contre la déforestation. En aucun cas cet accord ne devra entraîner une augmentation de la déforestation importée au sein de l’Union européenne. Il faut que les politiques publiques des États du Mercosur soient pleinement conformes avec les engagements de l’accord de Paris, et que les produits agroalimentaires qui rentreraient sur le marché unique avec un accès préférentiel respectent, de droit et de fait, les normes sanitaires et environnementales de l’Union. Au vu des exigences que nous fixons, il est extrêmement peu probable que les pays du Mercosur les atteignent dans un horizon proche.
Comment obtenir ces garanties ?
Il faut travailler avec nos partenaires européens et avec la Commission qui doit négocier avec les États du Mercosur. Nous ne nous contenterons pas d’une simple déclaration politique qui viendrait en parallèle de l’accord. Pour l’instant, nous travaillons avec nos partenaires européens sur le contenu de ces garanties, et nous verrons ensuite comment les traduire juridiquement pour qu’elles soient crédibles, contraignantes et vérifiables. Cela pourrait passer par l’instrument européen qui sera prochainement proposé par la Commission européenne sur la lutte contre la déforestation importée. Cela devrait aussi passer par des engagements additionnels des États du Mercosur dans la lutte contre le changement climatique et la déforestation. Nous avons aussi besoin d’une vérification plus stricte des normes sanitaires et phytosanitaires avec notamment un renforcement des audits.
Des discussions sont en cours avec l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Chili ou encore l’Indonésie. Avez-vous des inquiétudes sur ces discussions ?
Nous sommes vigilants sur les négociations, en particulier concernant les filières agricoles les plus fragiles, en veillant à demander des contingents limités et des clauses de sauvegarde renforcées. Je m’entretiens régulièrement avec le commissaire européen au Commerce, Valdis Dombrovskis, à qui je rappelle cette position ferme de la France. Mais on voit aussi, par exemple avec le Ceta (accord de libre-échange UE/Canada), que nous exportons beaucoup de produits agricoles et agroalimentaires. En termes de commerce extérieur pour la France, le secteur agroalimentaire est un de nos excédents les plus importants et un des secteurs qui ont le mieux tenu pendant la crise du Covid-19. Nous avons des filières agricoles qui sont exportatrices et même très exportatrices, et nous sommes attachés à ce que cela reste le cas. Nous ne pouvons pas nous battre pour que les marchés s’ouvrent davantage aux produits agricoles et agroalimentaires français, et en même temps demander davantage de fermeture européenne de l’autre. Ce qu’il faut, c’est plus d’exigences vis-à-vis des producteurs dans les pays qui sont nos partenaires commerciaux, pour que les normes soient respectées. Il faut donner à nos producteurs la possibilité de jouer à armes égales avec les autres producteurs, d’où notre obsession d’avancer sur les clauses miroir.
Le solde européen augmente, mais il se dégrade côté français. En quoi le plan de relance va permettre d’apporter des solutions ?
Il y a eu une contraction des exportations en 2020, notamment liée aux boissons dont les exportations ont diminué, en partie à cause des taxes des États-Unis. Mais, hors boissons, les exportations ont progressé dans le secteur alimentaire, et le volet agricole est stable. On peut aller plus loin. Notamment avec l’accompagnement que nous apportons aux entreprises avec Jean-Yves Le Drian, Bruno Le Maire et Julien Denormandie. Dans le cadre du plan de relance export, nous avons prévu une enveloppe de 250 millions d’euros pour faciliter les exportations des entrepreneurs et à destination des PME et ETI, avec un chèque relance export pour accompagner les exploitants et les entreprises à l’international et réduire leurs coûts de prospection. Nous avons aussi mis en place un accès à une information de marché spécifique pour les secteurs agricoles et agroalimentaires. Des VIE filières seront mis en place pour les filières vins et spiritueux et nous regardons ce qui est faisable sur le secteur agricole. Nous avons enfin créé deux e-vitrines pour rendre plus visible l’offre agroalimentaire française d’un côté et vin et spiritueux de l’autre. Il faut aller chercher des débouchés et de nouveaux marchés.