Grand témoin : Luc Desbuquois, président de Cénalia
Rendements des petits pois en dessous des prévisions, complications en production de haricots, la filière légumes d’industrie est à la peine. Le potentiel français est-il en perte ? Le point avec Luc Desbuquois, président du Cénaldi.
Doit-on s’attendre à une pénurie de légumes pour cette année ?
Parler de pénurie, c’est beaucoup dire, mais il y aura, à l’évidence, une tension sur le marché. De fait, pour la troisième année consécutive, les rendements de production de petits pois pour l’industrie sont en dessous des prévisions, aggravés, de surcroît, par l’abandon des emblavements de l’ordre de près de 800 ha. Les conditions climatiques humides du printemps, puis chaudes et extrêmement sèches de l’été, ont une nouvelle fois pénalisé ces cultures réalisées en plein champ. Alors que la récolte est avancée aux trois quarts, il manque déjà 12 % de volume par rapport aux attentes, et la sécheresse persistante ne permet pas aux rendements de progresser. A noter que c’est un phénomène européen.
A cela s’ajoute des complications en production de haricots. Dans le Sud-Ouest, premier bassin de production pour ce légume, alors que la culture démarre tout juste, près de 500 ha ont déjà été abandonnés, en grande partie suite aux violents épisodes orageux subis dans cette région. Plus au nord, la sécheresse pourrait compromettre la réalisation des derniers semis. Et c’est sans compter les conséquences de l’interdiction du traitement de semence des haricots contre la mouche du semis, qui se font déjà sentir, avec un potentiel de production amputé sur une part significative des premières parcelles semées, les pertes de pied pouvant dépasser 25 %.
Quelles sont les conséquences à attendre ?
Elles sont multiples. Comme les producteurs ne pourront pas fournir les volumes demandés par les industriels, les usines ne seront pas approvisionnées à la hauteur de leurs besoins, ce qui aura une incidence sur la rentabilité de ces outils. Pour les agriculteurs, cela aura des conséquences sur leurs revenus. Il est évident que l’on aura une baisse du rendement de référence en 2019. Certes, les organisations de producteurs (OP) ont un peu d’argent pour accompagner leurs adhérents dans de telles situations et, dans les contrats signés avec les industriels, une participation financière de leur part est prévue pour remonter le prix payé aux agriculteurs. Reste que d’un industriel à l’autre, cette participation est très différente. Ce que doivent bien avoir à l’esprit les industriels, c’est que lorsqu’ils accompagnent bien les agriculteurs, ces derniers poursuivent les cultures de légumes. Dans tous les cas, il est inconcevable pour les agriculteurs que les prix n’augmentent pas de manière significative.
Quelle est la politique en matière de prix que vous défendez au sein des OP ?
Nous défendons des prix à l’hectare qui soient intéressants pour les agriculteurs. La ligne que l’on s’est donnée définit un prix relativement stable, même si le prix des semences, des engrais et autres fournitures agricoles augmentent. Concrètement, dans le prévisionnel fixé pour les petits pois, on demande une marge nette utile (produit brut - les frais de récolte - l’achat des semences, ndlr), autour de 2 000 e/ha pour que ce soit intéressant pour les producteurs. Actuellement, le prévisionnel est entre 1 600 e/ha et 1 900 e/ha. Côté haricots, dans le prévisionnel, la marge nette utile est entre 1 800 e à 2 400 e/ha alors qu’on devrait être autour de 2 500 e/ha, voire plus, car l’irrigation et les coûts de production pour les haricots verts sont importants. C’est un travail de longue haleine d’obtenir une revalorisation des prix. Pour y arriver, il est nécessaire d’échanger avec les autres pays européens.
Entre la répétition des mauvaises années, des prix pas toujours au rendez-vous et des pertes de surfaces, la filière est-elle en déclin ?
La filière n’est pas sur le déclin, mais on constate qu’elle n’est pas en développement. Même si les surfaces d’emblavement ont enregistré une légère hausse cette année, de l’ordre de 7 à 8 % (arrivée d’une nouvelle OP), après des baisses régulières durant les huit dernières années. Reste qu’avec des volumes en chute depuis trois ans, des prix pas suffisants et le fait que le soin des légumes intéresse peu les firmes phytosanitaires, les agriculteurs s’interrogent beaucoup et se posent la question de continuer ou d’arrêter.
Par ailleurs, le marché de la consommation des légumes n’est pas en développement. Enfin, les industriels ont beaucoup structuré leurs outils et en ont implanté dans d’autres pays. Les industriels français ont perdu un peu de surfaces, gagnées par des Belges notamment. Là où nous sommes inquiets aussi, c’est sur l’avenir de la production au vu de la pyramide des âges des exploitants agricoles. On craint une difficulté à renouveler les générations, d’autant que les jeunes veulent de la simplification. Les risques sanitaires, la sensibilité aux aléas climatiques, le revenu et les contraintes réglementaires freinent la culture de légumes d’industrie.
Est-ce que les Etats généraux de l’agriculture et de l’alimentation ont répondu à vos attentes ?
On nous a annoncé une aide de 5 milliards d’euros avec les plans de filière. Il n’y a rien aujourd’hui. Autre déception : le travail des plans s’est fait avec l’ensemble des ministères, qui disent aujourd’hui que ceux-ci ne sont pas assez ambitieux alors qu’ils étaient autour de la table. En revanche, le choix fait sur les produits transformés en France est une bonne décision, car elle représente une sécurité alimentaire pour les consommateurs. Pour le reste, on est sur notre faim.
Chiffres 2017
- 69 900 ha consacrés aux légumes d’industrie, dont 27 800 ha aux pois et garden peas, et 27 600 ha aux haricots verts, plats et beurre
- Sur les 69 900 ha, 32 900 en Nord-Picardie-Centre, 23 000 ha se situent en Bretagne, et 14 000 ha dans le Sud-Ouest
- 908 000 t de légumes produits, dont 423 000 t en Nord-Picardie-Centre, 338 000 t en Bretagne et 147 000 t dans le Sud-Ouest
- Sur les 908 000 t de légumes, 346 000 t sont des haricots, 170 000 t des petits pois et 164 000 t des carottes