Huile de palme : mobilisation en région
De lundi à mercredi, les agriculteurs ont bloqué les dépôts pétroliers de Total à Mardyck et de Saint-Pol-sur-Mer. Retour sur un temps fort de l’action syndicale.
Un camion-citerne blanc remonte la route qui contourne l’immense tank rouillé arborant un logo Total. En travers de la route aux pieds d’un gros tracteur bleu, trois femmes aux gilets orange fluo lèvent le nez de leur barquette de frites, et lui font signe de faire demi-tour d’un air intraitable. L’ambiance plutôt calme en ce lundi midi sur le barrage du dépôt pétrolier Total de Mardyck, près de Dunkerque, était trompeuse. Car les membres de la FRSEA et des JA ont lutté au petit matin pour s’établir à cet endroit. «Nous avions prévenu de notre action», explique Jean-Christophe Rufin, secrétaire général FRSEA Hauts-de-France, «et quand nous sommes arrivés vers 4 h 30 du matin, les CRS nous attendaient.» Un coup de fil à la préfecture règle la situation. 1-0 pour les tracteurs.
L’avenir du colza français en péril
Cela fait longtemps que les agriculteurs français ont du mal à avaler les traités internationaux – signés «à tour de bras» selon les mots de Christiane Lambert – qui mettent sur le marché français des produits ne respectant pas les standards qui leur sont imposés. Entrée en application du Ceta en 2017, accord conclu avec le Mexique en mai puis avec l’Australie, la Nouvelle-Zélande… Mais c’est un événement particulier qui a cette fois mis le feu aux poudres : l’autorisation donnée par le gouvernement au groupe pétrolier Total d’importer de l’huile de palme pour faire tourner sa raffinerie de biocarburants de La Mède, dans les Bouches-du-Rhône, menaçant la filière française du colza. «Les agriculteurs ont pris des engagements forts à travers les états généraux de l’alimentation pour garantir une alimentation saine, sûre, durable et accessible à tous», explique la FRSEA des Hauts-de-France. «Dans le même temps, le gouvernement cautionne l’importation de produits ne répondant pas aux exigences sociales, environnementales et sanitaires que le consommateur attend. Dernière incohérence : il donne son aval à l’importation massive d’huile de palme pour la production de biodiesel.
Négociations fertiles
Lancée dans la nuit de dimanche à lundi dernier, la mobilisation a été suspendue mercredi matin. Au moment où nous bouclons ce journal, Christiane Lambert vient d’annoncer la suspension des barrages, saluant au passage une action syndicale «exemplaire» qui a mobilisé 3000 agriculteurs et bloqué 18 dépôts de carburant dans toute la France. «Mais ça ne veut pas dire qu’ils sont définitivement levés, nuance Jean-Christophe Rufin. À l’origine de l’apaisement : des engagements pris durant la nuit de mardi à mercredi par le gouvernement sur plusieurs points. D’abord, la mise en place du Comité de rénovation des normes en agriculture (Corena), qui se réunira pour la première fois le 13 juillet. «Cela faisait un moment qu’on nous en parlait, mais nous n’arrivions jamais à concrétiser», se réjouit Jean-Christophe Rufin. Mais aussi : l’engagement ferme de l’État de mettre en place des outils pour maintenir la filière colza française en l’état, et de réduire les importations d’huile de palme ; un plan d’investissement précis, notamment sur la méthanisation et sur les plans filière définis dans la loi sur les EGA ; le TODE, un dispositif qui permet l’abattement de charges sur les emplois temporaires, «même si c’est là le point le moins clair de la liste». Sur le pied de guerre depuis lundi à l’aube, le représentant syndical s’excuse au passage d’être un peu trop confus. «Nous avons eu une réunion téléphonique ce matin de 1h30 à 3h30. Comme ça fait trois nuits qu’on ne dort plus beaucoup…» Les agriculteurs des Hauts-de-France vont donc maintenant pouvoir dormir... d’un œil, tout en surveillant que le gouvernement tienne bel et bien les promesses qu’il a faites.
Des actions locales dès le 7 juin
Jeudi et vendredi dernier, les stations Total de Longueau, Dury, Abbeville et Villers-Bretonneux ont été l’objet de «visites» des agriculteurs qui ont distribué ou stické leurs revendications, apposer des messages syndicaux, et engager les discussions avec les consommateurs qui passaient. Cette action trouvait l’adhésion du public, sensible au slogan : «n’importons pas l’agriculture que nous ne voulons pas dans nos assiettes».
REACTION
Laurent Degenne, président de la FRSEA Hauts-de-France
Un coup de semonce
Notre réseau FNSEA/JA a pris le risque d’entamer un bras de fer avec ce gouvernement qui a oublié l’agriculture dans sa stratégie politique. Pari risqué dans le contexte que l’on connait. Notre mobilisation est une réussite : 13 puis 18 raffineries ont été bloquées pendant trois jours, la preuve de la force de notre réseau et de notre capacité à mobiliser en masse et dans la durée. Nous avons réussi à ramener le ministre à la table des négociations et ramener l’agriculture au centre des débats avec le sujet crucial des distorsions de concurrence. Nous avons dans le même temps alerté l’opinion publique, qui a pris conscience qu’elle avait été flouée par des décisions politiques contradictoires avec ses attentes.
Notre mobilisation a conduit l’Etat à rediscuter avec la FNSEA et les Jeunes agriculteurs sur les quatre sujets majeurs de revendications : les importations distorsives, cristallisées par l’importation d’huile de palme en vue de produire des biocarburants, et plus largement les importations de produits agricoles produits avec des substances interdites chez nous ; la révision des normes en agriculture, la compétitivité des filières et les distorsions sociales.
A l’heure où nous bouclons cette édition, nous suspendons la manifestation et les barrages se lèvent partout en France. Nous voulions alerter le gouvernement sans gêner le citoyen. C’est chose faite et nous suspendons le mouvement alors que la pénurie de carburant commence à se faire sentir. Même si les annonces ne sont pas satisfaisantes, le gouvernement a pris des engagements : sur l’huile de palme, le ministre s’engage à ce que la France défende un abaissement des contingents importés ; l’impact sera indirect sur l’usine de la Mède. Sur les importations, le ministre a indiqué que les négociations en cours avec le Mercosur sont en passe d’entériner la position de la France, à savoir pas de viande «aux antibiotiques de croissance». Sur les normes, un engagement à étudier les impacts technico-économiques de toute nouvelle norme. Sur la compétitivité, une priorité mise sur les investissements en agriculture lors de la mise en œuvre des plans de filière. Tout cela semble encore flou et mérite du concret. Tout cela est consigné par écrit par le ministre et va se décliner par des travaux dès juillet avec la FNSEA et les JA.
C’est un coup de semonce que nous avons donné au gouvernement. Le retour à un dialogue entre nos instances et l’Etat était loin d’être acquis. C’est un crantage que nous avons mis. Notre mobilisation doit désormais associer toute la ruralité pour faire prendre conscience à notre président de la République, qu’il n’y a pas la France des villes d’un côté et la France rurale, laissée pour compte, de l’autre.
Un grand merci de votre mobilisation, votre engagement pour cette action dont nous devons être fiers. Merci d’avoir passé du temps à défense de notre métier. Nous avons su porter fermement nos revendications dans la dignité, pour la reconquête de valeur pour nos exploitations.