«Il n’y a pas d’avenir sans activité économique sur le territoire»
Agriculture, élevage et citoyenneté : pour Laurent Degenne, président de la Fdsea de la Somme, l’activité agricole et rurale fait la vitalité et l’attractivité des communes.
Laurent Degenne, les assemblées cantonales de la Fdsea ont débuté ce mois-ci. Dans quel état d'esprit se déroulent-elles ?
En ce début d'année, on constate dans le monde agricole des doutes profonds. Des doutes liés à la fois à des incertitudes économiques sur le monde végétal, à des incertitudes économiques, sociales et réglementaires sur le monde animal, à une réforme de la PAC dont on ne voit pas le sens et à une stigmatisation sociétale de plus en plus mal perçue à l'approche des élections municipales. Tant et si bien que même quand les résultats économiques ont été corrects, la confiance n’y est pas.
Comment expliquez-vous ce phénomène ?
Il est multiple, mais il trouve une partie de son fondement dans le fait que le pays tout entier a perdu le sens de la production. Pour pouvoir vivre, créer des emplois, développer des services partout sur le territoire, il faut de la production primaire. Certaines personnes ont les moyens, le temps et la déraison de cultiver une utopie contraire, et quand cette minorité trouve la fierté et son plaisir dans le fait d’entraver son prochain par principe, les agriculteurs sont en première ligne.
Est-ce un phénomène "1 000 vaches" ?
A la base, non, c’est général. Mais il est vrai que la médiatisation du dossier accroît sur tous les agriculteurs la pression sociétale déraisonnée. Les clichés sur le fameux coq ou les cloches qui empêchent l'habitant de dormir, on connaît ça depuis longtemps, mais la proportion prise aujourd'hui n'est plus acceptable. L'agriculteur n’est plus majoritaire dans les communes, c’est vrai. Mais c’est encore bien l’activité agricole et rurale qui fait la vitalité, l’attractivité des communes. Quand une commune perd ses fermes, ses élevages, s’en suivent les métiers connexes, les commerces, les services, et à la fin, la même population qui s’était opposée à une étable ou un silo manifeste contre la fermeture d’une école ! Mais les choses sont intimement liées, et c'est cette évidence qu'il faut faire renaître dans les esprits.
Concernant les "1 000 vaches", quel est le regard de la Fdsea ?
Nous avons publié nos positions il y a deux ans maintenant, et nous avons toujours agi en cohérence. Le schéma de gouvernance ne nous convient pas, et c’est ce qui a dicté nos positions dans la loi d’avenir pour un contrôle des structures sur les parts de société. Le code de la route s’applique à toutes les cylindrées de voiture. Le contrôle des structures et le statut du fermage, c’est le code de la route de l’agriculture. Pour l’étable, il y a des lois, des normes, des réglementations, et nul n’est au-dessus des lois. Ni le promoteur du projet, qui a dû avoir les autorisations, et qui doit les respecter faute de quoi il s’expose au même sanction que tout autre éleveur ; ni le militantisme qui s’exprime contre.
C’est-à-dire ?
Si le projet respecte les règles techniques, il doit pouvoir se faire. D’un point de vue normatif, il correspond aux mêmes règles que s’il y avait 201 vaches, et si un agriculteur ou un groupe d’agriculteurs subissaient la même pression pour 250 vaches, ils trouveraient toute la profession agricole unie et affichée à leurs côtés. Donc je suis très réservé à l’idée d’en rajouter sur ce projet, car si on en rajoute, ce qu’on lui imposera, affectera tôt ou tard les exploitations de taille inférieure, que ce soit à 200, 150, 100 ou 50 vaches. Il n y a pas de modèle de production, et il y a de la place pour tous, mais si on charge la barque, ce seront les élevages les plus petits qui ne pourront pas supporter cette tendance.
Pour le militantisme ?
Président d’un syndicat, on se doit d’avoir une action cohérente. Quand je vois des militants débarquer en bus d’on ne sait où, mais en tout cas, pas de la Somme, avec un renfort de média, qui s’introduisent chez vous, détériorent votre matériel, et sont plutôt mis en valeur, je m’inquiète et je m’offusque. Ces gens-là pensent-ils au mal qu’ils font aux éleveurs voisins quel que soit leur taille ou leur mode de production, qu’ils laissent avec la suspicion sur leur mode d’élevage, la qualité de leur produit, et leur place dans la société. Assurément non, et c’est honteux ! On peut se dire qu’en France, on aime bien les victoires des petits contre les gros, et que le promoteur a les moyens de supporter cette pression, mais ceux qui vont en souffrir le plus ce seront ceux qui modestement essaieront de faire le même métier, sans un staff juridique autour d’eux, sans une forme de sécurité financière, et ça commence à se généraliser.
A quels secteurs d’activité ?
À tous les secteurs d'activité ! On le voit pour 1000 porcs, c’est à dire 120 truies, mais ce n’est pas tout ! On voit maintenant des maires refuser le passage des camions de betteraves ou de fécule parce que ça fait du bruit, remettre en cause les installations de stockage s’il y a des ventilateurs ou des frigos, et même vouloir éloigner le maïs des résidences à cause du frémissement des feuilles... Jusqu’où ira-t-on ?
Comment lutter contre cela ?
A plusieurs niveaux : d’abord au niveau administratif. Avec tous les atermoiements, les délais d’instruction des projets agricoles, l’administration porte une part de responsabilité dans le fait que le doute s’installe. Deux ans pour un dossier d’installation classée, c’est qu’il y a un problème soit dans la réglementation, soit dans la responsabilité ou dans la compétence de ceux qui doivent la mettre en pratique.
Ensuite, l’électoralisme et le populisme local font des ravages. Quand on compte les voix, celles des agriculteurs sont moins nombreuses aujourd’hui et un maire n’a aucun intérêt à court terme, surtout en période d'élection municipale, à s’afficher pour un projet économique quel qu’il soit. Rares sont ceux qui assument publiquement qu’il n’y a pas d’avenir sans activité économique et que leur présence doit être acceptable pour être durable. En ayant les yeux rivés sur les municipales et le compteur des voix, certains sont en train de tuer les territoires ruraux dont ils se vantent d’être les défenseurs.
Enfin, reconnaissons aussi qu’individuellement ou collectivement nous devons progresser dans notre communication. Nous n’avons rien à cacher, la preuve, on nous contrôle de toute part ! Si le phénomène d’opposition agricole prend une telle ampleur, c’est qu’une minorité «anti tout» arrive à capter l’attention d’une majorité plutôt en manque d’information. Les minorités obstinées et aveugles ne méritent pas le temps qu’on leur consacre. Par contre la majorité qui se pose des questions sans à priori mérite qu’on prenne du temps pour lui faire découvrir ce que sont les fermes aujourd’hui, en quoi elles ont progressé techniquement et sanitairement, et en quoi opposer modernité et qualité n’a pas de sens.
Quel message adressez-vous aujourd’hui aux agriculteurs du département ?
D’abord, être fier de leur métier, et de l’assumer. C’est un des rares pans de l’économie qui tient encore, et si je pousse un peu le cynisme, même chez Goodyear la seule option c’est l’agricole. Ensuite, ne pas baisser les bras face à une déferlante de bêtises que l’on peut entendre aujourd’hui. L’enjeu des municipales, c’est entre autre de savoir si on confie les clés des communes rurales à ceux qui veulent en faire un dortoir aseptisé ou si on continue à revendiquer, à assumer, et à faciliter la coexistence des activités économiques et l’accueil dans un territoire privilégié de tous les habitants qui le souhaitent.
Qu’on nous laisse produire, qu’on nous laisse créer des emplois, s’est une condition indispensable pour garder les territoires ruraux vivants et attractifs.
Ce sera tant durant la campagne des élections municipales que durant toute l’année 2014 un axe fort de la Fdsea et de l’ensemble des organisation professionnelles agricoles du département.