Ils ont sauté le pas de la conversion bio en grandes cultures
La conversion en bio trottait depuis plusieurs années dans la tête de Romain et Valentin Courtin, exploitants
associés à Belleuse, près de Conty. Des problèmes de santé ont été le déclic en 2019. Ils témoignent de leur parcours.
La conversion en bio trottait depuis plusieurs années dans la tête de Romain et Valentin Courtin, exploitants
associés à Belleuse, près de Conty. Des problèmes de santé ont été le déclic en 2019. Ils témoignent de leur parcours.
Des solutions chimiques de moins en moins efficaces. Des rendements qui plafonnent dans des terres de craie à faible potentiel. Et surtout, des soucis de santé qui ont été un déclic. «Nous pensions à la conversion de notre exploitation en bio depuis un moment, et nous avons sauté le pas en 2019, avec la conversion de 120 ha. Les 120 autres ha ont été convertis l’année suivante», témoignent Romain et Valentin Courtin ce 25 novembre, dans le cadre du «mois de la bio», une série de visites organisées par Bio en Hauts-de-France. Cette campagne sera donc leur dernière année de C2 (cultures en deuxième année de conversion).
Un changement radical de pratiques ? «Pas tant que ça, souligne Romain. Nous avions déjà un assolement très diversifié, avec de longues rotations. On n’apprend rien de nouveau, mais on est plus vigilant car nous n’avons plus de solution de secours.» Le cadre apporté par les instances techniques (Bio en Hauts-de-France, la chambre d’agriculture et leur coopérative Noriap) est rassurant. «Aujourd’hui, l’accompagnement est sérieux, et le recul suffisant pour nous apporter des leviers efficaces.» L’investissement a lui aussi été limité : une herse étrille, financé à 60 % par les aides du PCAE (Plan de compétitivité et d’adaptation des exploitations agricoles), et une coupe andaineuse bien utile avant moisson. «Nous semons sous couvert au printemps. Le couvert s’est parfois tellement développé que nous devons andainer avant de pouvoir récolter.»
Les variétés résistantes permettent de limiter le risque de maladies, et la préservation de la biodiversité permet de trouver un équilibre entre ravageurs et auxiliaires. «Il se peut que nous perdions quelques quintaux, mais comme les charges sont moindres, la marge brute n’est pas impactée», précise Valentin. Côté rotations, les agriculteurs ont tout de même remplacé certaines cultures, comme la betterave sucrière, par d’autres plus propices au bio, comme le sarrasin, les lentilles, la caméline et la luzerne porte-graines. Blé, triticale, épeautre, orge de prin-temps, vesces semences ou encore féveroles d’hiver complètent l’assolement.
Délicate gestion des adventices
Leur inquiétude repose surtout sur la gestion des adventices. «Avant le passage en bio, nous avions des problèmes de gestion des graminées. Désormais, avec moins d’apport d’azote chimique et des semis plus tardifs, nous arrivons à bien les gérer. Mais nous craignons les vivaces, surtout chardons et laiterons.» La stratégie des frères Courtin repose sur des cultures couvrantes et mécanisables (cf. encadré). Il faut dire qu’ils ont en tout 600 ha à leur charge, car les voisins pour qui ils réalisaient de la prestation de services depuis des années les ont suivis dans le projet de conversion bio. «La main-d’œuvre est un critère important dans nos choix.»
La réflexion sur les cultures ne cesse d’évoluer. Près de 90 ha de luzerne porte-graines ont par exemple été implantés. «Sur le papier, c’était un super choix. Une culture qui reste en place deux ans, qui apporte de l’azote au sol, nettoyante… Mais en réalité, les conditions météo n’ont pas du tout été favorables et nous avons pris une grosse gamelle, avec une récolte quasi nulle. On se rend compte que cette plante est trop délicate», avouent-ils. Le maïs grain devrait aussi disparaître de l’exploitation pour d’autres raisons. «Les corbeaux et les sangliers causent trop de dégâts. C’est ingérable.»
Romain et Valentin pensent au tournesol, tête de rotation en terres blanches qui semble se plaire sous le soleil samarien. «Nous craignons cependant les attaques d’oiseaux.» Le colza pourrait aussi être faisable. «Nous le sèmerions tôt, dans un précédent riche type luzerne ou féveroles, avec un apport organique, pour un développement rapide et une résistance aux bioagresseurs, précise Valentin. En cas d’échec, nous pourrons toujours le retourner pour semer une culture de printemps.»
Seule crainte : le marché
Aujourd’hui, les nouveaux agriculteurs bio sont confiants. Les techniques sont plutôt bien maîtrisées, et l’étude réalisée avec Cerfrance leur laisse espérer un EBE stable sur cinq ans, par rapport à leur activité en conventionnel. «Notre seule crainte repose sur les prix du marché (cf. encadré). Le bio doit absolument être bien rémunéré pour compenser la perte de rendement et le travail fourni», martèlent-ils.
Un essoufflement palpable du marché bio
«Aujourd’hui, on est dans une période de tension, avec un pouvoir d’achat contraint, pompé par la hausse des prix de l’énergie, par le logement, etc. Les consommateurs délaissent des produits dits haut de gamme, plus chers, comme le bio», décrypte Philippe Goetzmann, spécialiste du secteur, pour Agra Presse. Mais cette situation pourrait être structurelle. «On est sur deux marchés matures, qui pourraient avoir atteint leur sommet», ajoute le consultant. «La situation pourrait ralentir les conversions. En Hauts-de-France, la dynamique est moins forte cette année», avoue Louison Caron. Les objectifs des politiques poussent pourtant dans ce sens : la France vise 15 % des surfaces agricoles cultivées en bio d’ici la fin du quinquennat - taux qui ne sera pas atteint à cette échéance – et l’Union européenne vise 25 % de terres bio d’ici 2030 dans sa stratégie «De la ferme à la fourchette».