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«La bonne biodiversité est celle sur laquelle on marche tous les jours»

«La ruralité est tellement attaquée qu’il faut être à son chevet», défend Willy Schraen, le président de la fédération nationale des chasseurs (FNC), auteur d’un livre dans lequel il partage sa passion de la chasse, ses chantiers pour la réformer, les liens entre chasse et agriculture ou, encore, ses souhaits pour la ruralité.

Willy Schraen dans les jardins de la fédération des chasseurs du Pas-de-Calais dont il est président en même temps qu’il occupe la présidence de la fédération nationale des chasseurs.
Willy Schraen dans les jardins de la fédération des chasseurs du Pas-de-Calais dont il est président en même temps qu’il occupe la présidence de la fédération nationale des chasseurs.
© V. F.



La ruralité est-elle à ce point en danger pour que vous ayez eu l’envie d’y consacrer un livre sous le titre «Un chasseur en campagne, pour une défense de la ruralité» ?

On a depuis longtemps une fracture sociale entre les territoires ruraux et urbanisés, mais aujourd’hui, s’ajoute une fracture idéologique et des messages de plus en plus violents.

Comment en est-on arrivé là ?
L’écologie est monopolisée par des gens issus d’associations environnementalistes ou de groupuscules extrémistes rattachés à ces associations. C’est une erreur et l’on en voit les effets. Pour faire une bonne politique pour les territoires ruraux, il faudrait d’abord commencer par écouter ceux qui y vivent. Quand je veux un gâteau, je demande à un pâtissier et pas à un poissonnier (…) On aurait dû se défendre plus tôt et monter au créneau. N’oublions pas que la nature telle qu’on la connait a été façonnée par l’homme. Vouloir enlever l’homme de cette nature serait une erreur monumentale. Dès qu’on enlève la main de l’homme d’un territoire, on voit la nature reprendre ses droits et avec cela, un certain nombre d’espèces disparaître. Le problème, c’est que certains vivent dans le mensonge, s’imaginent dans le monde des Bisounours et perçoivent le chasseur comme celui qui a tué la mère de Bambi. Dans d’autres pays que le notre, on n’a pas ce rapport. Aux États-Unis par exemple, le chasseur est celui que l’on vient voir quand on a une question sur une espèce animale. Nous souffrons d’un manque de reconnaissance alors que nous agissons au quotidien. Au cours de l’été, quand il a fait chaud, ce sont les chasseurs et les agriculteurs qui sont allés installer des abreuvoirs dans les champs, les remplir avec des tonnes à eau... Pendant trop longtemps, le monde de la chasse a vécu caché.Cela a laissé le champ à d’autres et nous a donné une image suspecte. La chasse n’a pas besoin d’être défendue, mais expliquée. Quand elle s’exerce dans un cadre précis, la chasse ne crée pas de déséquilibre écosystémique, au contraire, elle y contribue.

Y voyez-vous une similitude avec le monde agricole ?
Le monde agricole doit montrer qu’il est un acteur important pour la biodiversité, même si certains agriculteurs font des conneries. Et si nous pouvons le faire ensemble, agriculteurs et chasseurs, ce sera d’autant mieux. La bonne biodiversité est celle sur laquelle on marche tous les jours. Nous ne voulons pas d’une inquisition verte, ni de donneurs de leçons. Je n’ai pas le monopole de la ruralité, mais ceux qui se disent écologistes n’ont pas plus le monopole de l’écologie. Il devrait d’ailleurs y avoir une loi en France qui interdise à un parti politique d’avoir le terme «écologie» dans sa dénomination.  

Quelles relations entretenez-vous avec l’agriculture ?
Avec l’agriculture, on est un vieux couple. On peut s’engueuler un jour et se rabibocher le lendemain, mais il ne faut pas toucher aux enfants. On peut tout à fait ne pas être d’accord sur un sujet et être d’accord sur un autre. L’indemnisation des dégâts de grand gibier, par exemple, est une plaie ouverte entre nous, mais il va bien falloir qu’on se saisisse du sujet. Même s’il s’agit d’un problème entre l’État et les chasseurs, je veux que le monde agricole soit associé aux discussions. Si on ne fait rien, dans les cinq ans qui viennent, je perds vingt-cinq fédérations départementales de chasseurs puisqu’elles auront été contraintes de déposer leur bilan. Le système actuel d’indemnisation étouffe le monde de la chasse et pose problème aux agriculteurs. Une chose est sûre, c’est que les chasseurs ne peuvent pas être responsables économiquement de tous les dégâts alors que 100 % du territoire national n’est pas chassé. Il doit y avoir une réforme, mais je veillerai à ce que le monde de la chasse n’y perde pas de plumes.

Le projet de Référendum d’initiative partagée (RIP) sur le bien-être animal initié par Hugo Clément apparaît typiquement comme un sujet sur lequel monde agricole et communauté cynégétique pourrait faire front commun. Pourquoi cela n’est pas encore complètement le cas ?
Pour la chasse, ce projet de référendum ne contient que des interdictions. Pour l’agriculture, il concerne surtout l’élevage, mais on se demande ce qu’il va bien pouvoir rester puisque les notions sont floues. Je trouve surprenant que le RIP ne mobilise pas plus que cela le monde agricole. Nous sommes tous d’accord sur le fait qu’il y a des choses à améliorer, mais il faut du temps et tenir compte de réalités économiques. Derrière le RIP, on retrouve qui ?
Des mecs du Cac 40 qui investissent en parallèle dans la production de viande artificielle. L’issue ultime de l’idéologie de ceux qui portent le RIP, c’est de rompre le lien entre l’homme et l’animal en allant jusqu’à l’interdiction d’en posséder. Il faut donc le tuer dans l’œuf, même si en face, on a des gens hyper organisés et méthodiques.  

De quels moyens auriez-vous besoin, monde cynégétique comme agricole, pour mieux faire passer vos messages ?
On doit s’entourer de boîtes de com’ et y consacrer des moyens suffisants comme nos opposants savent le faire. Nous ne sommes pas suffisamment présents dans les médias. Quand nous y sommes, c’est en général pour répondre à une situation de crise, mais c’est à peu près tout alors que le Français aime bien ce que nous représentons.

Depuis quelques semaines, une campagne de communication digitale tente de donner une autre image des chasseurs en invitant des non-chasseurs à se laisser tenter et à «révéler leur vraie nature», en adoptant un ton décalé. Quel est le sens de cette initiative ?
Je veux tout explorer. Cette campagne de communication s’adresse aux non-chasseurs, à ceux qui n’ont pas reçu la chasse en héritage. C’est clairement une campagne de recrutement, et c’est pour cela que l’on utilise des messages qui nous paraissent décalés, mais c’est assumé. Et c’est aussi les prémices d’autres initiatives.

Qu’envisagez-vous pour «garder» des chasseurs déjà détenteurs d’un permis de chasser mais tentés de raccrocher le fusil ?
La pyramide des âges ne joue pas en notre faveur, mais ma priorité est de faire rendre au chasseur la fierté d’être chasseur. Aujourd’hui, beaucoup trop d’entre nous se sentent exclus. On n’ose plus dire que l’on est chasseur. Il faut aussi que nous nous intéressions aux jeunes et aux femmes pour savoir ce qui les intéressent. Enfin, il faut aussi faire tout notre possible pour garder le petit gibier dans nos campagnes. Il est à la base d’une chasse populaire.

Comment vivez-vous les insultes, les intimidations dont les menaces de mort qui vous sont adressées ? Bénéficiez-vous encore aujourd’hui d’une protection policière ?
C’est effectivement quelque chose qui est difficile. Pour moi, mais aussi pour mon épouse, pour mes enfants qui sont aussi pris pour cible. On ne vit jamais bien un tel débordement de violence. Je reçois de nombreux soutiens et je sais que si je cède, c’est foutu. Depuis le mois de mai dernier, je suis sous protection policière et c’est encore le cas aujourd’hui. Ce week-end, j’irai à la fête de la ruralité à Compiègne avec un service de sécurité. C’est la première fois, mais je n’ai pas le choix.

Même si l’on constate que vous y avez un certain nombre de «fans», on constate que les réseaux sociaux et notamment Facebook sont un véritable défouloir pour vos opposants. Comment faites-vous face à cela ?
Il y a un «no man’s land» juridique autour de tout ce qui se passe sur les réseaux sociaux. Quand je partage sur mon mur Facebook une copie des menaces que je reçois, avec l’identité de leur auteur, c’est mon compte qui est suspendu ! Il est encore aujourd’hui très difficile de faire aboutir une plainte pour diffamation, insulte ou menace. Ce qui est dingue, c’est qu’il n’y a pas besoin de chercher longtemps pour trouver les auteurs. Certains agissent même à visage découvert. Le 24 septembre, je serai au tribunal de Saint-Omer après une plainte que j’ai déposé contre plusieurs dizaines d’auteurs de messages injurieux. Je voudrais quand même montrer à d’autres qu’une procédure peut aller au bout et imaginer une sorte de jurisprudence pour les chasseurs qui se font sans cesse insulter.  

À la lecture de votre livre, on pourrait avoir le sentiment qu’il s’agit d’un livre «programme» pour la ruralité. Faut-il y avoir une étape du basculement de votre engagement associatif vers un engagement politique ?
À ma manière, je fais déjà de la politique, même si ce n’est pas de la politique politicienne. La politique m’intéresse, mais j’ai déjà refusé plusieurs sollicitations pour rester libre dans mes choix. Lorsqu’on se lance dans une carrière politique, ce n’est plus pareil. On m’a demandé si je suis candidat à l’élection présidentielle, mais j’ai trop de respect pour la fonction et je n’ai pas la compétence pour cela.

Selon vous, la représentation des territoires ruraux et de leurs habitants est-elle optimale dans l’organisation actuelle de l’État ?
De toute évidence, la réponse est non. Les ruraux ont le sentiment de subir des lois faites par des gens qui vivent en ville pour des gens qui vivent à la campagne. Est-ce qu’il est normal de compter douze sénateurs à Paris, un seul en Lozère, un seul en Auvergne ?
Que les députés soient élus sur une circonscription en fonction du nombre d’habitants, je le conçois. En revanche, la manière dont sont élus les sénateurs crée un déséquilibre, alors que le Sénat est censé représenter les territoires.

Pendant sa campagne, comme depuis le début de son quinquennat, le président de la République Emmanuel Macron a témoigné à plusieurs reprises d’une attention particulière pour le monde de la chasse. Dans le même temps, il a nommé des ministres de la Transition écologique pas franchement favorables à la chasse (Hulot, Pompili) et un secrétaire d’État à la ruralité signataire d’un référendum d’initiative populaire pour le bien-être animal. Comment appréhendez-vous cette ambivalence ?
La différence entre le président de la République Emmanuel Macron et ses prédécesseurs est son écoute. Il n’ignore pas la frange de population que je représente en tant que président des chasseurs de France. Nous avons pu mener un certain nombre de réformes pour la chasse française et il en reste. Mais être à l’écoute ne signifie pas forcément qu’il dise oui à tout (…) Il est dommage que jusqu’à présent, quand un ministre de la Transition écologique est nommé, il s’agit à chaque fois de quelqu’un qui soit déconnecté du terrain. Pour moi, le profil-type et idéal du ministre de l’Écologie, c’est un maire d’une commune rurale de moins de 1 000 habitants, agriculteur et chasseur. Avec ce type de profil, on aurait quelqu’un qui connaît les sujets dont il aurait la responsabilité. Avec Barbara Pompili, on a quelqu’un qui est d’abord une militante associative. Quant à Joël Giraud (secrétaire d’État à la ruralité, ndlr), ce mec n’existe pas pour moi.

Lors de la prochaine élection présidentielle en 2022, quel candidat pourriez-vous soutenir et appeler à soutenir ?
Dès que je connaîtrais les candidats, je pourrais me positionner, mais pas avant. Je les inviterai, comme je l’ai fait en 2017, à exprimer leurs intentions pour la chasse et la ruralité et, ensuite, je les ferai connaître.


Après la chasse à la glu, quel(s) mode(s) dans le viseur ?

C’est par le président de la République en personne que le président de la fédération nationale des chasseurs a appris la nouvelle, mercredi 26 août. Dans son fief du Pas-de-Calais jusqu’en début d’après-midi, Willy Schraen était invité en fin de journée à rencontrer Emmanuel Macron accompagné de la ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili et ainsi apprendre la nouvelle : le quota de prélèvement sera en 2020 fixé à zéro. Autrement dit, la chasse aux gluaux est suspendue jusqu’à la prochaine saison. Cette pratique n’était jusqu’alors autorisée en France que dans cinq départements du Sud-Est, à titre dérogatoire : Alpes-de-Haute-Provence, Alpes-Maritimes, Bouches-du-Rhône, Var et Vaucluse.

Manifestation le 12 septembre
Réunie en assemblée générale le 29 août, l’association nationale de défense des chasses traditionnelles de la grive (ANDCTG) s’est montrée très remontée suite à la suspension de la chasse aux gluaux. Pour l’association, il s’agit en effet d’un renoncement de la part du chef de l’État alors qu’il s’était engagé à «ne pas toucher aux chasses traditionnelles» et ce, «avant même que la Commission européenne ne se soit prononcée sur le maintien de ce mode de chasse». Pour son président, Éric Camoin, plusieurs initiatives sont donc envisagées : action en justice, lancement d’une pétition nationale pour la sauvegarde de ce mode de chasse traditionnelle, mais aussi manifestation le 12 septembre prochain à Prades, la ville du Premier ministre Jean Castex ou, encore, «une action d’envergure lors du prochain congrès de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) qui doit se tenir à Marseille, en janvier prochain».
Pour Éric Camoin, c’est bien l’ensemble du monde cynégétique qui sera «associé» à ces actions. Après la remise en cause de la chasse aux gluaux, il considère que ce sont «tous les modes de chasse qui sont menacés, qu’il s’agisse des chasses traditionnelles (…), des chasses du gibier d’eau ou même aux chiens courants». «Plus largement, poursuit le président de l’ANDCTG, il sera proposé aux élus ruraux de s’associer à notre démarche car c’est toute la ruralité qui est désavouée par une décision injuste, unilatérale et strictement politique.»

«Un pan de culture française disparaît»
Affirmant «prendre acte» de la décision du président de la République, la fédération nationale des chasseurs (FNC) rappelait en milieu de semaine dernière que la chasse aux gluaux n’impacte «que 0,001 % de la population européenne des grives et des merles qui, elle-même est estimée à 700 millions d’individus». Pour la centrale cynégétique, «la réalité est que cette chasse traditionnelle ne nuit en rien à la biodiversité et qu’elle est sélective». Selon Willy Schraen, il apparaît «incompréhensible» que ce mode de chasse soit «sacrifié au nom d’un affichage politique vert, sans fondement réel pour qui se préoccupe réellement de biodiversité au sein des territoires, comme nous le faisons au quotidien ! C’est tout un pan de la culture française et rurale qui est en passe de disparaître».

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